"Saussure n'anticipait-il pas notre adhésion, lorsqu'il comparait le langage à « l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. » ? Personne ne contestera que l'anthropologie compte, dans son champ propre, certains au moins de ces systèmes de signes, auxquels s'ajoutent beaucoup d'autres : langage mythique, signes oraux et gestuels dont se compose le rituel, règles de mariage, systèmes de parenté, lois coutumières, certaines modalités des échanges économiques.
On peut se demander si tous les phénomènes auxquels s'intéresse l'anthropologie sociale offrent bien le caractère de signes. Cela est suffisamment clair pour les problèmes que nous étudions le plus fréquemment. Quand nous envisageons tel système de croyances - disons le totémisme - telle forme d'organisation sociale - clans unilinéaires, mariage bilatéral - la question que nous nous posons est bien : « qu'est-ce que tout cela signifie ? », et, pour y répondre, nous nous efforçons de traduire, dans notre langage, des règles primitivement données dans un langage différent. [...]
En posant la nature symbolique de son objet, l'anthropologie sociale n'entend donc pas se couper des realia. Comment le ferait-elle, puisque l'art, où tout est signe, utilise des truchements matériels ? On ne peut étudier des dieux en ignorant leurs images ; des rites, sans analyser les objets et les substances que fabrique ou que manipule l'officiant ; des règles sociales, indépendamment des choses qui leur correspondent. L'anthropologie sociale ne se cantonne pas dans une partie du domaine de l'ethnologie ; elle ne sépare pas culture matérielle et culture spirituelle. Dans la perspective qui lui est propre - et qu'il nous faudra situer - elle leur porte le même intérêt. Les hommes communiquent au moyen de symboles et de signes ; pour l'anthropologie, qui est une conversation de l'homme avec l'homme, tout est symbole et signe, qui se pose comme intermédiaire entre deux sujets."
Claude Lévi-Strauss, « Leçon inaugurale au Collège de France » (5 janvier 1960), Anthropologie structurale, t. II, Éd. Plon, 1973, pp. 18-20.
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