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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Hors des sentiers battus
Travail et technique
 "Au point de vue de l'homo faber, qui compte entièrement sur les outils primordiaux de ses mains, l'homme, comme disait Benjamin Franklin, est un fabricant d'outils. Les mêmes instruments qui ne font qu'alléger le fardeau et mécaniser le travail de l'animal laborans, l'homo faber les invente et les destine à l'édification d'un monde d'objets, et leur commodité, leur précision sont dictées par les buts « objectifs » qu'il invente à son gré, plutôt que par des désirs et besoins subjectifs. Outils et instruments sont si bien objets-du-monde qu'ils peuvent servir de critères pour classer des civilisations entières. Mais leur caractère d'objets-du-monde n'est jamais plus manifeste que lorsqu'on les emploie dans les processus du travail, où ils sont vraiment tout ce qui survit de tangible au travail comme au processus de consommation. Ainsi pour l'animal laborans, en tant que soumis et constamment occupé aux processus dévorants de la vie, la durabilité, la stabilité du monde sont représentées avant tout par les outils et instruments dont il se sert, et dans une société de travailleurs, les outils risquent fort d'acquérir des caractères ou des fonctions qui dépassent la simple instrumentalité.
 On déplore souvent la perversion des fins et des moyens dans la société moderne, où les hommes deviennent les esclaves des machines qu'ils ont inventées et « s'adaptent » aux exigences de ces machines au lieu de les mettre au service des besoins humains : c'est se plaindre de la situation de fait de l'activité de travail. Dans cette situation, où la production consiste avant tout en une préparation à la consommation, la distinction même de la fin et des moyens, si nettement caractéristique des activités de l'homo faber, n'a tout simplement aucun sens ; et les instruments que l'homo faber a inventés et avec lesquels il vient en aide au travail de l'animal laborans perdent ainsi leur caractère instrumental dès que ce dernier les emploie. Au sein du processus vital, dont l'activité de travail fait intégralement partie et qu'elle ne transcende jamais, il est vain de soulever les questions qui supposent la catégorie de la fin et des moyens, comme de savoir si les hommes vivent et consomment afin d'avoir la force de travailler, ou s'ils travaillent afin d'avoir les moyens de consommer."
 
Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1958,tr. fr. Georges Fradier,Calmann-Lévy, 1961-1993, p. 162-163, Pocket, p. 196-197.

Date de création : 01/10/2011 @ 13:53
Dernière modification : 07/02/2012 @ 15:43
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