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Le pouvoir de la technique |
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"L'homo faber est dès l'origine des temps un inventeur : déjà le bâton, la massue dont il arme son bras pour gauler les fruits, pour assommer les bêtes sont des instruments par lesquels il agrandit sa prise sur le monde ; il ne se borne pas à transporter au foyer des poissons cueillis au sein de la mer : il faut d'abord qu'il conquière le domaine des eaux en creusant des pirogues ; pour s'approprier les richesses du monde il annexe le monde même. Dans cette action il éprouve son pouvoir; il pose des fins, il projette vers elles des chemins : il se réalise comme existant. Pour maintenir, il crée ; il déborde le présent, il ouvre l'avenir. C'est pourquoi les expéditions de pêche et de chasse ont un caractère sacré. On accueille leurs réussites par des fêtes et des triomphes ; l'homme y reconnaît son humanité. Cet orgueil il le manifeste aujourd'hui encore quand il a bâti un barrage, un gratte-ciel, une pile atomique. Il n'a pas seulement travaillé à conserver le monde donné : il en a fait éclater les frontières, il a jeté les bases d'un nouvel avenir."
Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, 1949, I, Deuxième partie, Chapitre I, Édition du Club France Loisirs, La Bibliothèque du XXe siècle, 1990, p. 124-125.
"Les principes de la science moderne ont été structurés a priori d'une manière telle qu'ils ont pu servir d'instruments conceptuels à un univers de contrôle productif qui se renouvelle par lui-même. À l'opérationalisme pratique correspond en fin de compte un opérationalisme théorique. Ainsi, la méthode scientifique qui a permis une maîtrise toujours plus efficace de la nature en est venue à fournir aussi les concepts purs de même que les instruments pour une domination toujours plus efficace de l'homme sur l'homme au moyen de la maîtrise de la nature [...] Aujourd'hui la domination se perpétue et s'étend non seulement grâce à la technique mais en tant que technique, et cette dernière fournit sa grande légitimation à un pouvoir politique qui prend de l'extension et absorbe en lui toutes les sphères de la civilisation.
Dans cet univers, la technologie fournit aussi à l'absence de liberté de l'homme sa grande rationalisation et démontre qu'il est techniquement impossible d'être autonome, de déterminer soi-même sa propre vie. Car ce manque de liberté [...] se présente bien plutôt comme la soumission à l'appareil technique qui donne plus de confort à l'existence et augmente la productivité du travail. Ainsi la rationalisation technique ne met pas en cause la légitimité de la domination, elle la défend plutôt, et l'horizon instrumentaliste de la raison s'ouvre sur une société rationnellement totalitaire."
Herbert Marcuse, L'Homme unidimensionnel, Essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée, 1964, tr. fr. M. Wittig, éd. de Minuit, 1968, p. 181-182.
Date de création : 14/10/2011 @ 13:38
Dernière modification : 08/02/2023 @ 06:49
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