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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Qui détient/doit détenir le pouvoir politique ?
 "Ce n'est pas pour les richesses ni pour les honneurs que les gens de bien consentent à gouverner : ils ne souhaitent aucunement être considérés comme des salariés en exerçant ouvertement leur fonction de commander contre un salaire, pas plus qu'ils ne souhaitent être traités de voleurs en retirant personnellement de leur fonction des avantages occultes. Ils ne le font pas davantage en vue des honneurs, car ils ne recherchent pas les honneurs. Il est donc nécessaire que la perspective d'une punition vienne les contraindre à s'engager, s'ils doivent consentir à prendre le commandement. De là vient, pour celui qui s'engage spontanément dans l'exercice du gouvernement sans avoir subi la pression de la contrainte, le risque de s'attacher une réputation déshonorante. Or, la punition la plus sévère est d’être commandé par quelqu'un de plus médiocre que soi, si on ne consent pas à gouverner soi même. C'est parce qu'ils redoutent cette punition, me semble-t-il, que les gens valeureux prennent le pouvoir quand ils le font. Ils s'engagent alors dans l'exercice du gouvernement sans rechercher leur intérêt personnel, ni comme s'ils en attendaient de l'agrément, mais bien par nécessité, et parce qu'il ne leur est pas loisible de confier le pouvoir à des gens meilleurs qu’eux-mêmes, ou tout simplement semblables à eux. Si, d’aventure, une cité composée d'hommes de bien venait à exister, l'abstention des fonctions de gouvernement serait l'objet de bien des rivalités, comme on le fait à présent pour parvenir à gouverner, et il serait tout à fait manifeste que le gouvernant véritable n'est pas disposé naturellement à rechercher son intérêt personnel, mais bien celui du sujet qu'il gouverne."
 
Platon, La République, Livre I, 347b-347d.


  "L'ATHÉNIEN : Fort bien : mais dans les États grands ou petits, comme aussi dans les familles, quels sont les titres en vertu desquels les uns commandent et les autres obéissent, et combien y en a-t-il ? Le premier n'est-il pas celui de père et de mère, et, en général, ne reconnaît-on pas en tous pays que les parents sont naturellement qualifiés pour commander à leurs descendants ?
  CLINIAS : C'est bien certain.

  L'ATHÉNIEN : À la suite de ce premier titre, il y en a un deuxième, celui qu'ont les nobles de commander aux roturiers ; puis un troisième, en vertu duquel les plus vieux commandent et les plus jeunes obéissent.
  CLINIAS : Sans doute.

  L'ATHÉNIEN : Il y en a un quatrième, qui attribue le commandement aux maîtres et l'obéissance aux esclaves.
  CLINIAS : Sans contredit.

  L'ATHÉNIEN : Le cinquième est, je pense, celui qui veut que le plus fort commande et que le plus faible obéisse.
  CLINIAS : C'est un commandement imposé par force, celui-là.

  L'ATHÉNIEN : C'est aussi le plus commun chez tous les êtres et qui a, comme l'a dit autrefois Pindare le Thébain, un droit dans la nature. Mais le titre le plus grand, ce me semble, c'est le sixième, qui ordonne à l'ignorant d'obéir et au sage de guider et de commander; et cet empire, très sage Pindare, j'oserai dire qu'il n'est pas contraire à la nature, et que l'obéissance volontaire à la loi y est, au contraire, tout à fait conforme et ne lui fait pas du tout violence.
  CLINIAS : Tu as parfaitement raison.
  L'ATHÉNIEN : Mettons le sort pour le septième titre, qui dépend de la faveur des dieux et de la chance, et disons qu'il est très juste que le commandement revienne à celui qu'il a désigné, et l'obéissance à celui qu'il a rejeté.
  CLINIAS Rien de plus vrai.

  L'ATHÉNIEN : Tu vois donc, législateur, pourrions-nous dire en badinant à quelqu'un de ceux qui se chargent facilement d'établir des lois, tu vois combien il existe de titres au commandement et qu'ils sont naturellement opposés les uns aux autres; car nous avons tout à l'heure découvert là une source de séditions, à laquelle tu dois porter remède."

 

Platon, Les Lois, Livre III, 690 a-c, tr. fr. Émile Chambry.



  "Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l'état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d'une autre origine que la nature. Qu'on examine bien et on la fera toujours remonter a l'une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s'y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l'autorité.
  La puissance qui s'acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent : en sorte que, si ces derniers deviennent a leur tour les plus forts, et qu'ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c'est la loi du plus fort.
  Quelquefois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature ; c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu'on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l'était arrogée devenant alors prince cesse d'être tyran.
La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l'usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l'homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C'est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l'un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve afin que la créature ne s'arroge pas les droits du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l'idolâtrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n'est qu'une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu, qui demande le cœur et l'esprit, ne se soucie guère, et qu'il abandonne à l'institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d'un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement, qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n'a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie que ce qu'on a voulu qu'il signifiât ; mais livrer son cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d'une pure créature, en faire l'unique et le dernier motif de ses actions c'est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef."

 
Diderot, Article "Autorité politique" de l'Encyclopédie, 1751.
 
  "Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c'est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l'état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d'une autre origine que la nature. Qu'on examine bien et on la fera toujours remonter a l'une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s'y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l'autorité.
  La puissance qui s'acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent : en sorte que, si ces derniers deviennent a leur tour les plus forts, et qu'ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c'est la loi du plus fort.
  Quelquefois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature ; c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu'on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l'était arrogée devenant alors prince cesse d'être tyran.
La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l'usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l'homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C'est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l'un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve afin que la créature ne s'arroge pas les droits du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l'idolâtrie.  […]
  D'ailleurs le gouvernement, quoique héréditaire dans une famille, et mis entre les mains d'un seul, n'est pas un bien particulier, mais un bien public, qui par conséquent ne peut jamais être enlevé au peuple, à qui seul il appartient essentiellement et en pleine propriété. Aussi est-ce toujours lui qui en fait le bail: il intervient toujours dans le contrat qui en adjuge l'exercice.[...] Celui qui porte la couronne peut bien s'en décharger absolument s'il le veut: mais il ne peut la remettre sur la tête d'un autre sans le consentement de la nation qui l'a mise sur la sienne. En un mot, la couronne, le gouvernement, l'autorité publique sont des biens dont le corps de la nation est propriétaire, et dont les princes sont les usufruitiers, les ministres et les dépositaires."

 
Diderot, Article "Autorité politique" de l'Encyclopédie, 1751.

 
  "Le pouvoir est le plus grand des biens lorsque celui qui en est dépositaire a reçu de la nature et de l'éducation une âme assez grande, assez noble, assez forte pour étendre ses heureuses influences sur des nations entières, qu'il met par-là dans une légitime dépendance, et qu'il enchaîne par ses bienfaits : l'on n'acquiert le droit de commander aux hommes qu'en les rendant heureux.
  Les droits de l'homme sur son semblable ne peuvent être fondés que sur le bonheur qu'il lui procure ou qu'il lui donne lieu d'espérer ; sans cela le pouvoir qu'il exerce sur lui serait une violence, une usurpation, une tyrannie manifeste ; ce n'est que sur la faculté de nous rendre heureux que toute autorité légitime est fondée. Nul mortel ne reçoit de la nature le droit de commander à un autre ; mais nous l'accordons volontairement à celui de qui nous espérons notre bien-être. Le gouvernement n'est que le droit de commander à tous conféré au souverain pour l'avantage de ceux qui sont gouvernés. Les souverains sont les défenseurs et les gardiens de la personne, des biens, de la liberté de leurs sujets, ce n'est qu'à cette condition que ceux-ci consentent d'obéir ; le gouvernement n'est qu' un brigandage dès qu' il se sert des forces qui lui sont confiées pour rendre la société malheureuse."

 
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre XVI, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 370.


 "On peut essentiellement se poser trois questions à propos du gouvernement. La première : à quelle autorité le peuple peut-il, pour son bien, être soumis ? La seconde : comment peut-on l'amener à obéir à celle-ci ? Les réponses à ces deux questions peuvent varier indéfiniment selon le degré et la forme de civilisation et de culture auxquels est déjà parvenu un peuple ainsi que son aptitude à les améliorer. Mais la troisième de ces questions, qui est de savoir par quels moyens les abus de ce pouvoir peuvent être contrôlés, ne souffre pas tant de variations quant à sa réponse. Et c'est à cette seule question que Bentham s'est vraiment intéressé pour lui donner la seule réponse possible : la Responsabilité, la responsabilité envers ceux dont l'intérêt, évident et parfaitement identifié, s'accorde avec le but recherché, celui d'un bon gouvernement. Ceci accordé, il faut ensuite se demander dans quel groupe d'individus on peut trouver réalisée cette identité entre l'intérêt (personnel) et le bon gouvernement, c'est-à-dire l'intérêt de toute la communauté. Dans rien de moins, répond Bentham, que dans la majorité numérique. Et nous ajoutons, quant à nous, que ce n'est même pas dans la majorité numérique elle-même ; car jamais l'intérêt d'une portion quelconque, inférieure au tout, de la communauté ne coïncidera en permanence et sur tous les points avec l'intérêt de tous. Mais puisque le pouvoir qui est donné à tous revient en fait, dans un gouvernement représentatif, à la majorité, il nous faut retourner à notre première question, à savoir quelle est l'autorité à laquelle le peuple doit se soumettre pour son bien ? Si l'on répond qu'il faut qu'il se soumette à ceux qui constituent la majorité, le système de Bentham devient indiscutable."
 
John Stuart Mill, Essai sur Bentham, 1838, tr. fr. Patrick Thierry, PUF, 1998, p. 225-226.


 "Il doit exister, comme il va de soi dans toute société, un pouvoir qui l'emporte sur tout autre ; que ce pouvoir doive résider dans la majorité paraît être ce qu'il y a de plus juste : non pas juste en soi, mais moins injuste que toute autre solution. Mais il est nécessaire que les institutions sociales comportent des dispositions convenables pour que soit maintenue en existence une forme d'opposition permanente à la volonté de la majorité, afin de corriger ses vues partielles et de protéger tant la liberté de penser que l'individualité du caractère. Les pays qui ont su progresser durablement ou se conserver dans leur grandeur sont ceux où l'on trouve une opposition organisée face au pouvoir dominant, quel qu'il soit – les plébéiens face aux patriciens, le clergé aux rois, les libres penseurs au clergé, les rois aux barons, les communes aux rois et à l'aristocrate."
 
 
John Stuart Mill, Essai sur Bentham, 1838, tr. fr. Patrick Thierry, PUF, 1998, p. 228-229.


  "D'après les défenseurs de l'État, sans le pouvoir gouvernemental les mauvais violenteraient les bons et les domineraient ; tandis qu'aujourd'hui il permet aux bons de maîtriser les méchants.
  Mais, en l'affirmant, les défenseurs de l'ordre des choses actuel décident d'avance l'indiscutabilité du principe qu'ils veulent prouver. En disant que le sans le pouvoir gouvernemental les méchants domineraient les bons, ils considèrent comme démontré que les bons sont ceux qui aujourd'hui sont au pouvoir, et les méchants ceux qui se soumettent. Mais c'est justement cela qu'il faudrait prouver. Ce ne serait vrai que si, dans notre société, les choses se passaient comme elles se passent, ou plutôt comme on suppose qu'elles se passent en Chine, c'est-à-dire que ce soient toujours les bons quii arrivent au pouvoir et qu'ils soient renversés aussitôt qu'ils cessent d'être les meilleurs.
  C'est ce que l'on suppose en Chine, mais qui n'est pas en réalité. D'ailleurs cela ne peut pas être, car, pour renverser le pouvoir de l'oppresseur, il ne suffit pas d'en avoir le droit, il faut encore en avoir la force. De sorte que ce n'est qu'une supposition en ce qui concerne la Chine, et, dans notre monde chrétien, il n'y a même pas lieu à supposition. Ce sont ceux qui se sont emparés du pouvoir, et non les meilleurs, qui le gardent pour eux et pour leurs héritiers.
  Pour acquérir le pouvoir et le conserver, il faut aimer le pouvoir. Et l'ambition ne s'accorde pas avec la bonté, mais, au contraire, avec l'orgueil, la ruse, la cruauté.
  Sans l'exaltation de soi-même et l'humiliation d'autrui, sans l'hypocrisie et la fourberie, sans les prisons, les forteresses, les exécutions, les assassinats, aucun pouvoir ne peut naître ni se maintenir.
  « Si on supprimait le gouvernement, le méchant dominerait le bon », disent les défenseurs de l'État. Les Égyptiens ont vaincu les Juifs ; les Perses, les Égyptiens ; les Macédoniens, les Perses ; les Romains, les Grecs ; les Barbares, les Romains : est-ce que réellement les vainqueurs valaient mieux que les vaincus ? Et de même, lors de la transmission du pouvoir dans un État, passe-t-il toujours au meilleur ? Lorsque a été renversé Louis XVI et que le pouvoir a passé à Robespierre, puis à Napoléon : qui était au pouvoir, le meilleur ou le pire ? Qui étaient les meilleurs, les versaillais ou les communards ? Charles Ier ou Cromwell ? Et lorsqu'on a tué le tsar Pierre III et que Catherine est devenue l'impératrice d'une partie de la Russie et Pougatchev le souverain de l'autre, lequel d'entre eux était le méchant ? lequel le bon ?
  Dominer veut dire violenter, violenter veut dire faire ce que ne veut pas celui sur lequel est commise la violence et certes ce que ne voudrait pas supporter celui qui la commet ; par conséquent, être au pouvoir veut dire faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit, c'est-à-dire faire du mal.
  Se soumettre veut dire préférer la patience à la violence, et préférer la patience à la violence veut dire être bon ou moins méchant que ceux qui font aux autres ce qu'ils ne voudraient pas qu'on leur fit.
  Par conséquent, selon toutes probabilités, ce ne sont pas les meilleurs, mais les pires qui ont toujours été au pouvoir et qui y sont encore. Il peut y avoir des méchants parmi ceux qui se soumettent au pouvoir, mais il est impossible que les meilleurs dominent les pires."

 

Léon Tolstoï, Le Salut est en vous, 1893, chapitre IX, tr. fr. Ély Halpérine-Kaminsky, in Inutilité de la violence, Petite Bibliothèque Payot, 2022, p. 40-4



  "Il arrive [...] un moment dans les sociétés politiques, où les qualités personnelles d'un chef, si considérables soient-elles, sont impuissantes à justifier l'autorité qu'il exerce. La conscience politique des gouvernés, devenue plus exigeante, refuse d'admettre que toute l'organisation de la Cité repose sur une volonté individuelle. La coïncidence entre les actes du chef et les besoins de la masse, et même l'assentiment généralisé que rencontre son action, ne suffisent plus à fon­der sa puissance au regard du groupe. D'autre part les inconvénients du Pouvoir individualisé deviennent intolérables, notamment l'instabilité qu'il provoque dans l'exercice de la fonction gouvernementale. Les gouvernés et les gouvernants eux-mêmes se prennent à songer à une continuité durable dans la gestion des intérêts collectifs, à un mode de dévolution de l'autorité qui couperait court aux rivalités et aux luttes qui accompagnent le changement de personnalités dirigeantes. [...]
  Ainsi se fait jour l'idée d'une dissociation possible de l'autorité et de l'individu qui l'exerce. Mais, comme le Pouvoir, cessant d'être incorporé dans la personne du chef, ne peut subsister à l'état d'ectoplasme, il lui faut un titulaire. Ce support sera l'institution étatique envisagée comme siège exclusif de la puissance publique. Dans l'État, le Pouvoir est institutionnalisé en ce sens qu'il est transféré de la personne des gouvernants qui n'en ont plus que l'exercice, à l'État qui en devient désormais le seul propriétaire."

 

Georges Burdeau, L'État, 1966, Points Seuil, p. 31.


Date de création : 12/11/2011 @ 09:58
Dernière modification : 12/04/2024 @ 07:58
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