"Dans chacun des systèmes de moralité que j'ai jusqu'ici rencontrés, j'ai toujours remarqué que l'auteur procède pendant un certain temps selon la manière ordinaire de raisonner, établit l'existence d'un Dieu ou fait des observations sur les affaires humaines, quand tout à coup j'ai la surprise de constater qu'au lieu des copules habituelles, est et n'est pas, je ne rencontre pas de proposition qui ne soit liée par un doit ou un ne doit pas. C'est un changement imperceptible, mais il est néanmoins de la plus grande importance. Car, puisque ce doit ou ce ne doit pas expriment une certaine relation ou affirmation nouvelle, il est nécessaire qu'elle soit soulignée et expliquée, et qu'en même temps soit donnée une raison de ce qui semble tout à fait inconcevable, à savoir, de quelle manière cette relation nouvelle peut être déduite d'autres relations qui en diffèrent du tout au tout. Mais comme les auteurs ne prennent habituellement pas cette précaution, je me permettrai de la recommander aux lecteurs et je suis convaincu que cette petite attention renversera tous les systèmes courants de moralité et nous fera voir que la distinction du vice et de la vertu n'est pas fondée sur les seules relations entre objets et qu'elle n'est pas perçue par la raison."
Hume, Traité de la nature humaine, 1740, Livre III, Partie I, Section 1, tr. fr. Philippe Saltel, GF, p. 65.