"Dans un État où un seul homme dispose d'un pouvoir perpétuel, et à plus forte raison si c'est un pouvoir royal, même s'il s'y trouve aussi un sénat, comme ce fut le cas à Rome du temps des rois, ou à Sparte, en vertu des lois de Lycurgue, et même si on accorde quelque droit à ce peuple, comme on le fit sous nos rois, malgré tout, ce titre même de roi l'emporte et l'État en question ne peut être de fait et de nom qu'une royauté. Or cette constitution politique est extrêmement instable, pour la raison suivante : la faute d'un seul homme suffit à la ruiner et à l'entraîner irrésistiblement sur la pente la plus funeste. En effet, en lui-même, le régime politique de la royauté est non seulement irréprochable, mais peut-être (si je pouvais donner mon adhésion à une forme pure de gouvernement) bien préférable aux autres formes pures ; mais il ne l'est qu'à condition de conserver sa constitution propre. Or, selon celle-ci, il faut que la sécurité, l'égalité des droits et la tranquillité des citoyens soient maintenues sous la direction d'un seul, grâce à son pouvoir perpétuel, à sa justice et à sa sagesse. Le peuple qui vit sous un roi manque en général de bien des avantages et surtout de la liberté, qui ne consiste pas à vivre sous un maître juste, mais à n'en avoir aucun."
Cicéron, La République, Livre II, XXIII, 43, tr. fr. Esther Bréguet, Gallimard tel, 1994, p. 74.
"De même que le village apparaît avec la génération, de même, la cité commence toujours sous la direction d'un roi. La lignée peut, elle aussi, connaître une royauté, et certaines cités auront alors plus d'un souverain. Car cités et lignées se constituent autour de l'émergence d'une monarchie. Le domaine, en effet, est soumis à l'autorité du patriarche, comme les fils à leur père, et tout le village constitué par les liens du sang est dirigé, au nom de la parenté, par l'aïeul du clan, comme la cité l'est par un roi. Homère l'a écrit : chacun donne sa loi à sa femme et à ses enfants comme un roi à sa cité. C'est pourquoi ce régime se transmet du domaine à la commune, puis à la société civile. Car plusieurs villages sont comme autant de villes dispersées dans l'espace puisque autrefois les hommes habitaient des bourgs et ne se regroupaient pas encore en une cité unique. À l'évidence, la royauté sur la ville ou sur la lignée est née du patriarcat domestique et villageois. C'est si naturel que toutes les nations ont imaginé leurs dieux eux-mêmes soumis à un roi comme Jupiter. Aujourd'hui encore en effet, beaucoup d'hommes vivent sous une monarchie, et quasiment tous ont connu dans le passé ce régime qui fut le premier. Or, concevant la divinité à leur ressemblance, ils lui ont donné figure humaine et ont calqué sur les leurs, le mode de vie des dieux et leurs relations. Aristote, à la façon des platoniciens, veut parler ici des substances séparées de la matière, créées par un Dieu suprême unique, à qui les païens attribuèrent faussement les mœurs et l'aspect des hommes."
Thomas d'Aquin, Première leçon du Commentaire de la Politique d'Aristote, 1272.
"Je lui demandai en quoi consistait l'autorité du roi, et il me répondit : « Il peut tout sur le peuple; mais les lois peuvent tout sur lui. Il a une puissance absolue pour faire le bien, et les mains liées dès qu'il veut faire le mal. Les lois lui confient les peuples comme le plus précieux de tous les dépôts, à condition qu'il sera le père de ses sujets. Elles veulent qu'un seul homme serve, par sa sagesse et par sa modération, à la félicité de tant d'hommes; et non pas que tant d'hommes servent, par leur misère et par leur servitude lâche, à flatter l'orgueil et la mollesse d’un seul homme. Le roi ne doit rien avoir au-dessus les autres, excepté ce qui est nécessaire ou pour le soulager dans ses pénibles fonctions, ou pour imprimer aux peuples le respect de celui qui doit soutenir les lois. D'ailleurs le roi doit être plus sobre, plus ennemi de la mollesse, plus exempt de faste et de hauteur, qu'aucun autre. Il ne doit point avoir plus de richesses et de plaisirs, mais plus de sagesse, de vertu et de gloire que le reste des hommes. Il doit être au dehors le défenseur de la patrie, en commandant les armées ; et au dedans, le juge des peuples, pour les rendre bons, sages et heureux. Ce n'est point pour lui-même que les dieux l'ont fait roi : il ne l'est que pour être l'homme des peuples : c'est aux peuples qu'il doit tout son temps, tous ses soins, toute son affection : et il n'est digne de la royauté qu'autant qu'il s'oublie lui-même pour se sacrifier au bien public. Minos n'a voulu que ses enfants régnassent après lui qu'à condition qu'ils régneraient suivant ces maximes : il aimait encore plus son peuple que sa famille. C'est par une telle sagesse qu’il a rendu la Crète si puissante et si heureuse; c'est par cette modération qu'il a effacé la gloire de tous les conquérants qui veulent faire servir les peuples à leur grandeur, c'est-à-dire à leur vanité; enfin, c'est par sa justice qu’il a mérité d'être aux enfers le souverain juge des morts. »"
François Fénelon, Les aventures de Télémaque, 1699, Livre V.
"Pour qu'un homme parvienne à se faire accepter comme souverain par une république populaire, il faut que le peuple le chérisse et le soutienne ; et c'est ce que le peuple se gardera bien de faire, si le candidat à la monarchie ne proclame pas pour tous ses sujets l'égalité devant la loi, s'il ne protège le peuple contre l'oppression des nobles, en humiliant ces derniers ; s'il ne s'assure la satisfaction des besoins de la vie et la jouissance de la liberté naturelle ; et enfin, s'il n'accorde des privilèges, soit à des classes entières, soit à des individus dont le mérite extraordinaire justifie le bonheur. Les monarchies sont donc nécessairement soumises à un régime populaire ; et comme les lois que nous venons d'indiquer, et qui les gouvernent, sont les plus conformes à l'équité naturelle, il s'ensuit que, de toutes les formes de gouvernement, la monarchie est la plus conforme à la nature humaine et au droit raisonnable."
Giambattista Vico, La science nouvelle, 1725, tr. fr. Christina Trivulzio Princesse de Belgiojoso, Gallimard, tel, 1993, p. 387.
"La monarchie se perd, lorsqu'un prince croit qu'il montre plus sa puissance en changeant l'ordre des choses, qu'en le suivant ; lorsqu'il ôte les fonctions naturelles des uns, pour les donner arbitrairement à d'autres ; et lorsqu'il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés.
La monarchie se perd, lorsque le prince, rapportant tout uniquement à lui, appelle l'état à sa capitale, la capitale à sa cour, et la cour à sa seule personne.
Enfin elle se perd, lorsqu'un prince méconnaît son autorité, sa situation, l’amour de ses peuples ; et lorsqu'il ne sent pas bien qu'un monarque doit se juger en sûreté, comme un despote doit se croire en péril.
Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude ; lorsqu'on ôte aux grands le respect des peuples, et qu'on les rend de vils instruments du pouvoir arbitraire. Il se corrompt encore plus, lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l'on peut être à la fois couvert d'infamie et de dignités.
Il se corrompt, lorsque le prince change sa justice en sévérité ; lorsqu'il met, comme les empereurs Romains, une tête de Méduse sur sa poitrine ; lorsqu'il prend cet air menaçant et terrible que Commode faisait donner à ses statues.
Le principe de la monarchie se corrompt, lorsque des âmes singulièrement lâches tirent vanité de la grandeur que pourrait avoir leur servitude ; et qu'elles croient que ce qui fait que l'on doit tout au prince, fait que l'on ne doit rien à sa patrie."
Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748, Livre VIII, Chapitres 6-7.
"Une nation qui met un de ses citoyens à sa tête, et principalement celle qui serait soumise aux lois de la simple nature, n'est-elle pas en droit de lui dire : « Nous vous chargeons de nous faire observer les conventions faites entre nous ; et comme elles tendent à entretenir parmi nous une réciprocité de secours si parfaite, qu'aucun ne manque non seulement du nécessaire et de l'utile, mais même de l'agréable, nous vous enjoignons de veiller exactement à la conservation de cet ordre, de nous avertir des moyens efficaces de l'entretenir, de nous faciliter ces moyens, et de nous encourager à les mettre en usage. La raison nous a prescrit ces lois, et nous vous prescrivons de nous y rappeler sans cesse ; nous vous conférons le pouvoir, l'autorité de ces lois et de cette raison sur chacun de nous ; nous vous en faisons l'organe et le héraut ; nous nous engageons à vous aider à contraindre quiconque de nous serait assez dépourvu de sens pour leur désobéir : vous devez comprendre que si vous-même osez enfreindre les devoirs communs, ou négliger ceux de votre emploi ; si vous voulez nous imposer quelque obligation que les lois ne prescrivent point, ces mêmes lois vous déclarent, dès l'instant, déchu de tout pouvoir : alors personne n'écoute plus votre voix ; on vous impose silence, et vous rentrez parmi nous pour être comme un simple particulier, contraint de vous conformer à nos institutions.
« Nous vous jugeons capable de nous gouverner, nous nous abandonnons avec confiance aux directions de vos prudents conseils : c'est un premier hommage que nous rendons à la supériorité des talents dont la nature vous a doué. Si vous êtes fidèle à vos devoirs, nous vous chérirons comme un présent du ciel, nous vous respecterons comme un père : voilà votre récompense, votre gloire, votre grandeur. Quel bonheur de pouvoir mériter que tant de milliers de mortels, vos égaux, s'intéressent à votre existence, à votre conservation !
« Dieu est un Être souverainement bienfaisant ; il nous a fait sociables, maintenez-nous ce que nous sommes : ainsi qu'il est le moteur de la nature entière, où il entretient un ordre admirable, soyez le moteur de notre corps politique ; en cette qualité vous semblerez imiter l'Être suprême. Du reste, souvenez-vous qu'à l'égard de ce qui vous touche personnellement, vous n'avez d'autres droits incontestables, d'autre pouvoir que ceux qui lient le commun des citoyens, parce que vous n'avez pas d'autres besoins ; vous n'éprouvez pas d'autres plaisirs ; vous n'avez, en un mot, rien de plus excellent, ni qui puisse vous donner la préférence sur le commun des hommes. Si nous trouvons notre utilité à vous proroger le commandement ; si nous jugeons que quelqu'un des vôtres en soit capable après vous, nous pourrons agir en conséquence, par un choix libre et indépendant, de toute prétention. »
Je demande quelle capitulation, quel titre, quel droit d'antique possession peut prescrire contre la vérité de cette Charte divine, peut en affranchir les souverains ?"
Étienne-Gabriel Morelly, Code de la nature, 1755, Éditions sociales, 1970, p. 91-92.
Date de création : 09/01/2012 @ 17:21
Dernière modification : 05/09/2019 @ 17:08
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