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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
La relativité du bonheur
  "L'erreur est énorme de faire résider le bonheur dans les réalités : il dépend de l'opinion qu'on a d'elles. Il y a tant d'obscurité, tant de diversité dans les choses humaines, qu'il est impossible d'en rien élucider, comme l'ont justement dit mes Académiciens, « les moins orgueilleux des philosophes » ; ou bien, si quelqu'un arrive à la connaissance, c'est bien souvent aux dépens de son bonheur.
  L'esprit de l'homme est ainsi fait qu'on le prend beaucoup mieux par le mensonge que par la vérité. Faites-en l'expérience ; allez à l'église quand on y prêche. S'il est question de choses sérieuses, l'auditoire dort, bâille, s'embête. Que le crieur (pardon, je voulais dire l'orateur), comme cela est fréquent, entame un conte de bonne femme, tout le monde se réveille et se tient bouche bée. De même, s'il y a quelque saint un peu fabuleux et poétique, à la façon de saint Georges, de saint Christophe ou de sainte Barbe, vous verrez venir à lui beaucoup plus de dévots qu'à saint Pierre, à saint Paul ou même au Christ. Mais ces choses-là n'ont rien à faire ici.
  Qu'un tel bonheur coûte peu ! Les moindres connaissances, comme la grammaire, s'acquièrent à grand-peine, tandis que l'opinion se forme très aisément ; et elle contribue tout autant au bonheur et même bien davantage. Tel homme se nourrit de salaisons pourries, dont un autre ne pourrait supporter l'odeur ; puisqu'il y goûte une saveur d'ambroisie, qu'est-ce que cela fait à son plaisir ? Par contre, celui à qui l'esturgeon donne des nausées n'y peut trouver aucun agrément. Une femme est laide à faire peur, mais son mari l'égale à Vénus ; c'est tout comme si elle était parfaitement belle. Le possesseur d'un méchant tableau, barbouillé de cinabre et de safran, le contemple et l'admire, convaincu qu'il est d'Apelle ou de Zeuxis ; n'est-il pas plus heureux que celui qui aura payé très cher une peinture de ces artistes et la regardera peut-être avec moins de plaisir ? J'ai connu quelqu'un de mon nom qui fit présent à sa jeune femme de fausses pierreries et lui persuada, étant beau parleur, qu'elles étaient non seulement vraies et naturelles, mais rares et d'un prix inestimable. Voyons, qu'est-ce que cela faisait à la jeune dame ? Elle ne repaissait pas moins joyeusement ses yeux et son esprit de cette verroterie ; elle n'en serrait pas moins précieusement ces riens comme un trésor. Le mari cependant évitait la dépense et profitait de l'illusion de sa femme, aussi reconnaissante que si elle avait reçu un cadeau princier.
  Trouvez-vous une différence entre ceux qui, dans la caverne de Platon, regardent les ombres et les images des objets, ne désirant rien de plus et s'y plaisant à merveille, et le sage qui est sorti de la caverne et qui voit les choses comme elles sont ? Si le Mycille de Lucien avait pu continuer à jamais le rêve doré où il était riche, il n'aurait pas eu d'autre félicité à souhaiter. Il n'y a donc pas de différence ou, s'il en est une, c'est la condition des fous qu'il faut préférer. Leur bonheur coûte peu, puisqu'il suffit d'un grain de persuasion ; ensuite, beaucoup en jouissent ensemble."

 

Érasme, Éloge de la folie, 1509, Chapitre XLV, tr. fr. Pierre de Nolhac.


 

  "Si les mêmes objets ne sont pas en état de faire constamment le bonheur d'un même individu, il est aisé de sentir qu'ils peuvent encore bien moins plaire à tous les hommes, ou qu'un même bonheur ne peut leur convenir à tous. Des êtres variés pour le tempérament, les forces, l'organisation, pour l' imagination, pour les idées, pour les opinions et les habitudes, et qu' une infinité de circonstances soit physiques soit morales, ont modifiés diversement, doivent se faire nécessairement des notions très différentes du bonheur. Celui d'un avare ne peut être le même que celui d' un prodigue ; celui d' un voluptueux que celui d'un homme flegmatique ; celui d' un intempérant que celui d' un homme raisonnable qui ménage sa santé. Le bonheur de chaque homme est en raison composée de son organisation naturelle et des circonstances, des habitudes, des idées vraies ou fausses qui l'ont modifiée ; cette organisation et ces circonstances n' étant jamais les mêmes, il s' ensuit que ce qui fait l'objet des vœux de l'un, doit être indifférent ou même déplaire à l'autre, et que, comme on l'a dit ci-devant, personne ne peut être le juge de ce qui peut contribuer à la félicité de son semblable."
 
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre XV, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 355.
 

Date de création : 05/02/2012 @ 20:39
Dernière modification : 03/04/2015 @ 17:47
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