"Plus nous ferons d'expériences et plus nous aurons occasion de nous convaincre que le mot esprit ne présente aucun sens, même à ceux qui l'ont inventé, et ne peut être d'aucun usage ni dans la physique ni dans la morale ; ce que les métaphysiciens modernes croient entendre par ce mot, n'est dans le vrai qu'une force occulte, imaginée pour expliquer des qualités et des actions occultes, et qui au fond n'explique rien. Les nations sauvages admettent des esprits pour se rendre compte des effets qu'ils ne savent à qui attribuer ou qui leur semblent merveilleux. En attribuant à des esprits les phénomènes de la nature et ceux du corps humain, faisons-nous autre chose que raisonner en sauvages ? Les hommes ont rempli la nature d'esprits, parce qu'ils ont presque toujours ignoré les vraies causes. Faute de connaître les forces de la nature on l'a cru animée par un grand esprit faute de connaître l'énergie de la machine humaine on l'a supposée pareillement animée par un esprit.
D'où l'on voit que par le mot esprit l'on ne veut indiquer que la cause ignorée d'un phénomène qu'on ne sait point expliquer d'une façon naturelle. C'est d'après ces principes que les américains ont cru que c'étaient leurs esprits ou divinités qui produisaient les effets terribles de la poudre à canon. D'après les mêmes principes l'on croit encore aujourd'hui aux anges, aux démons, et nos ancêtres ont cru jadis aux dieux, aux mânes, aux génies et en marchant sur leurs traces nous devons attribuer à des esprits la gravitation, l'électricité, les effets du magnétisme. Etc."
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre VII, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 227.