"[…] la pensée est excitée à l'action par l'irritation du doute, et cesse quand on atteint la croyance : produire la croyance est donc la seule fonction de la pensée. Ce sont là toutefois de bien grands mots pour ce que je veux dire ; il semble que je décrive ces phénomènes comme s'ils étaient vus à l'aide d'un microscope moral. Les mots doute et croyance, comme on les emploie d'ordinaire, sont usités quand il est question de religion ou d'autres matières importantes. Je les emploie ici pour désigner la position de toute question grande ou petite et sa solution. […] La plupart du temps, les doutes naissent d'une indécision, même passagère, dans nos actions. Quelquefois il n'en est pas ainsi. Par exemple, on attend à une station de chemin de fer. Pour tuer le temps, on lit les affiches sur le mur. On compare les avantages de différents trains et de différentes routes qu'on ne s'attend pas à prendre jamais : on fait seulement semblant de balancer parce qu'on est las de n'avoir à s'inquiéter de rien. L'hésitation feinte dans un but de simple amusement ou dans un but de haute spéculation joue un grand rôle dans l'engendrement de l’investigation scientifique. Quelle que soit son origine, le doute stimule l'esprit à une activité faible ou énergique, calme ou violente. La conscience voit passer rapidement des idées qui se fondent incessamment l'une dans l'autre, - cela peut durer une fraction de seconde, une heure ou des années, - jusqu'à ce qu'enfin, tout étant terminé, nous avons décidé comment nous agirons en des circonstances semblables à celles qui ont causé chez nous l'hésitation, le doute. En d'autres termes, nous avons atteint l'état de croyance."
Charles Sanders Peirce, "La logique de la science", La Revue philosophiques de la France et de l'étranger, tome VII, janvier 1879.