"Où s'arrête une religion –ce qui doit être respecté – et où commence une secte – ce qui doit être combattu ? La réponse ne va pas de soi et dépend des critères retenus. Le débat oppose deux grandes conceptions : l'approche doctrinale et l'approche comportementale.
Une première définition de ce qu'est une « secte » privilégie le contenu doctrinal, c'est-à-dire la nature du message, l'idéal proposé, la filiation spirituelle du « gourou » fondateur, les exigences demandées aux fidèles et les textes ou philosophies auxquelles se rattache le « maître ». Cette approche est héritée de la vision classique des sociologues du XIXe siècle. Pour Max Weber, par exemple, la secte se définit par rapport à 1'Église : la première s'identifie à un groupe de salut « contractuel », la seconde à une institution de salut universel. Mais cette définition a vécu. [...] Au fond, se pencher sur la doctrine de telle ou telle secte pour définir sa nocivité par rapport à une ligne « officielle » ou « institutionnelle » conduit à une triple méprise.
Premièrement, on risque de ranger parmi les sectes des groupes qui sont en rupture avec les Églises tout en n'ayant d'autre corps de doctrine que le message évangélique lui-même. C'est le cas des quakers, des pentecôtistes ou des adventistes... Deuxièmement, en se penchant sur le message des sectes, on finit toujours par y trouver une intention généreuse qui les relie de près ou de loin aux valeurs chrétiennes et rend difficile une ferme condamnation. C'est la situation des Témoins de Jéhovah et des mormons... Enfin lorsque la secte s'inspire d'une philosophie orientale étrangère au christianisme, on ne sait quelle attitude adopter et on perd tout repère. Sur quelle base contrer les Krishna ou la Sokka Gakkaï, qui font florès en se réclamant de la liberté de pensée ?
Pour toutes ces raisons, l'approche doctrinale est notoirement insuffisante.
[…] D'où la seconde approche, dite comportementale, défendue depuis plus de quinze ans, de façon assez isolée, par le père Trouslard, ancien vicaire général de l'évêché de Soissons, devenu « chasseur de sectes ». Jacques Trouslard retient un seul critère, celui de la nocivité, qu'il décline selon trois caractéristiques aisément identifiables : le triple conditionnement des adeptes (par la technique du bourrage de crâne, de la soumission, de l'adhésion personnelle au « maître »), la triple destruction (d'eux-mêmes, de leur famille, de la société) et la triple escroquerie (intellectuelle, morale et financière). On peut ainsi apporter la preuve du caractère dangereux d'une secte sans préoccupation doctrinale mais par l'observation de faits précis, répétitifs, collectifs et coercitifs."
Christian Makarian, Sophie Bonis, « Sectes ou religions ? », Le Point, n° 1217, 13 janvier 1996, p. 68.
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