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Texte à méditer :  

Là où se lève l'aube du bien, des enfants et des vieillards périssent, le sang coule.   Vassili Grossman


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Hors des sentiers battus
Le déclin religieux
 "La raison première [du déclin de la religion] en est dans ceci. Comme nous  l'avons vu, une foule de choses qui, avec un degré de culture moins avancée, éveillaient en l'homme des sentiments religieux, sont reconnues aujourd'hui comme conformes à l'ensemble des lois de la nature, et par conséquent n'excitent plus qu'indirectement et faiblement la piété. L'autre raison, la principale, du déclin de la religion à notre époque […] est due à  cette circonstance que nous ne pouvons plus nous représenter aussi vivement que nos ancêtres l'Être absolu comme personnel. Tel est le cours des choses : jusqu'à  un certain point la religion et la culture de l'esprit se développent de concert, mais aussi longtemps seulement que la civilisation des peuples se tient dans le domaine de l'imagination. Aussitôt que la raison domine, aussitôt surtout qu'elle demande des forces à  l'observation de la nature et de ses lois, un contraste commencera naître, qui, grandissant sans cesse, restreint de plus en plus le cercle de la religion. Le domaine religieux dans l'âme humaine a quelque chose d'analogue au domaine des Peaux-Rouges en Amérique, lequel, qu'on s'en plaigne ou le regrette autant qu'on voudra, se resserre d'année en année sous l'action de leurs voisins les Peaux-Blanches.
  Mais limitation ou même transformation ne veut pas dire anéantissement. La religion n'est plus en nous ce qu'elle était en nos pères, mais il ne s'ensuit nullement qu'elle soit disparue.
 En tout cas l'élément fondamental de toute religion nous est resté, le sentiment d'une complète dépendance. Que nous disions Dieu ou l'Univers, nous nous sentons absolument dépendants de l'un comme de l'autre. En face du dernier nous nous reconnaissons comme « partie d'une partie », nous apprécions notre force comme un néant en proportion de la toute-puissance de la nature, notre pensée, comme en état seulement d'embrasser lentement et péniblement la plus infime portion de ce que le monde nous offre pour objet de notre savoir."
 
David Friedrich Strauss, L'Ancienne et la nouvelle foi : confession, 1872, tr. fr. Louis Narval, C. Reinwald et Cie, 1876, p. 124-125.


 "Or, s'il est une vérité que l'histoire a mise hors de doute, c'est que la religion embrasse une portion de plus en plus petite de la vie sociale. À l'origine, elle s'étend à tout ; tout ce qui est social est religieux ; les deux mots sont synonymes. Puis, peu à peu, les fonctions politiques, économiques, scientifiques s'affranchissent de la fonction religieuse, se constituent à part et prennent un caractère temporel de plus en plus accusé. Dieu, si l'on peut s'exprimer ainsi, qui était d'abord présent à toutes les relations humaines, s'en retire progressivement ; il abandonne le monde aux hommes et à leurs disputes. Du moins, s'il continue à le dominer, c'est de haut et de loin, et l'action qu'il exerce, devenant plus générale et plus indéterminée, laisse plus de place au libre jeu des forces humaines. L'individu se sent donc, il est réellement moins agi ; il devient davantage une source d'activité spontanée. En un mot, non seulement le domaine de la religion ne s'accroît pas en même temps que celui de la vie temporelle et dans la même mesure, mais il va de plus en plus en se rétrécissant. [...]
    Sans doute, si cette décadence était, comme on est souvent porté à le croire, un produit original de notre civilisation la plus récente et un événement unique dans l'histoire des sociétés, on pourrait se demander si elle sera durable ; mais, en réalité, elle se poursuit d'une manière ininterrompue depuis les temps les plus lointain (c'est ce que nous nous sommes attachés à démontrer). L'individualisme, la libre pensée ne datent ni de nos jours, ni de 1789, ni de la Réforme,ni de la scolastique, ni de la chute du polythéisme gréco-latin ou des théocraties orientales. C'est un phénomène qui ne commence nulle part, mais qui se développe, sans s'arrêter, tout le long de l'histoire."
 

Émile Durkheim, De la division du travail social, 1893, PUF, Quadrige, 1986, p. 143-144 et p. 146.


 
 "Historiens et sociologues en conviennent et, somme toute, il est des fois où nous devrions les croire : on a assisté à un net déclin du rôle joué par les systèmes religieux officiels, par les Églises, dans la société occidentale.
 Les origines et les causes de ce déclin peuvent être diversement datées et argumentées, et, naturellement, elles n'ont pas manqué de l'être. D'aucuns les situeraient dans l'essor du rationalisme scientifique au cours de la Renaissance. D'autres les imputeraient au scepticisme, au sécularisme explicite des Lumières avec ses ironies sur la superstition et toutes les Églises. D'autres encore soutiendraient que c'est le darwinisme et la technique moderne qui, au cours de la révolution industrielle, ont rendu obsolètes les croyances et la théologie systématiques, ont fait perdre aux Églises leur place centrale d'antan. Mais, sur le phénomène lui-même, chacun s'accorde. Progressivement, pour des raisons fort compliquées et diverses, les confessions chrétiennes ('insiste sur le pluriel), qui avaient tant structuré la vision occidentale de l'identité de l'homme et de notre fonction dans le monde, dont les pratiques et le symbolisme avaient si profondément envahi notre vie quotidienne depuis la fin du monde romain et hellénistique, ont perdu leur emprise sur la sensibilité et la vie quotidienne. À un degré plus ou moins important, le noyau religieux de l'individu et de la communauté a dégénéré en convention sociale. Ces religions sont devenues une espèce de courtoisie, un ensemble de réflexes occasionnels ou de pure forme. Pour la très grande majorité des hommes et des femmes de réflexion – lors même qu'ils continuent d'aller à l'office -, les sources vitales de la théologie, d'une conviction doctrinale transcendante et systématique, se sont taries.
 Cette dessiccation, ce dessèchement, touchant au cœur même de l'existence morale et intellectuelle de l'Occident, a laissé un vide immense. Et dès qu'il y a un vide surgissent des énergies et substituts nouveaux. Sauf méprise de ma part, l'histoire politique et philosophique de l'Occident au cours des cent cinquante dernières années peut se comprendre comme une série d'efforts - plus ou moins délibérés, plus ou moins systématiques, plus ou moins violents – pour combler le vide central laissé par l'érosion de la théologie."
 
George Steiner, Nostalgie de l'absolu, 1974, tr. fr. Pierre-Emmanuel Dauzat, 10/18, 2003, p. 7-8.

 
 "Ce qui caractérise la modernité, c'est l'affirmation par l'homme de son autonomie, de sa capacité de maîtriser son propre monde et la nature qui l'environne, de sa capacité de créer lui-même le cadre matériel et social dans lequel il vit. L'avancée de la science et de la technique permet à l'homme moderne de rationaliser le monde : il en découvre les lois et les rouages, et il agit sur ces rouages pour orienter sa propre histoire. Dans ce processus, à l'œuvre en Occident depuis des siècles, l'homme se découvre comme conscience et comme liberté (comme « sujet ») : il échappe à la soumission à ces puissances surnaturelles qu'il croyait voir se manifester mystérieusement à travers les phénomènes naturels. Il entend fixer lui-même les lois et les normes auxquelles il accepte de se référer. […]
 En se plaçant ainsi lui-même au centre de ce monde dont il se rend le maître, l'homme moderne le vide de son mystère : il le « désenchante ». Bien sûr, l'homme moderne ignore encore beaucoup de choses, mais l'avancée de la science doit, en droit, résorber ce qui est encore incompréhensible ou inconnu. Bien sûr, il ne contrôle pas encore tout à fait la nature, mais, en droit, la technique devrait lui permettre de s'en rendre de plus en plus complètement maître : la modernité se développe à partir de ces deux grandes idées motrices. Les hommes modernes s'approprient (ou projettent de s'approprier) les qualités des dieux du passé : l'omniscience et la toute-puissance. Cette « divinisation » de l'homme qui se passe désormais des dieux fait écho à ce que le sociologue allemand Max Weber appelait le « désenchantement » du monde.
 Tout est-il dit alors de la religion ? [...] L'attente du Royaume de Dieu qui orientait la vie des hommes du passé en Occident s'est-elle entièrement résorbée dans la gestion du monde, ici et maintenant, et dans la confiance, purement séculière, dans les avancées prochaines du progrès ? Les choses ne sont pas tout à fait aussi simples. Car ces avancées du progrès ne comblent pas entièrement les attentes humaines. Chaque pas en avant fait surgir de nouvelles questions, de nouveaux possibles, et donc de nouvelles attentes. [...] Bien sûr, les hommes modernes, dans leur immense majorité, ne fondent plus leur espoir sur la certitude de la venue du Messie à la fin des temps. Mais, sur un mode qui n'est plus « religieux », ils continuent à vivre dans l'attente."
 
Danièle Hervieu-Léger, "Religion et modernité", in La religion au lycée – Conférences au lycée Buffon, 1989-1990, éd. Du Cerf, 19902, p. 20-24.
 

 


Date de création : 01/06/2012 @ 11:24
Dernière modification : 27/03/2024 @ 19:33
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