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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Cours sur la liberté
Introduction
 

 Au premier abord, aucun terme ne semble plus facile à définir que celui de liberté : être libre, c’est pouvoir agir par soi-même, sans être empêché ni contraint par une force étrangère. Cependant, peu de notions recouvrent autant de significations diverses, et sont de ce fait aussi dangereuses, car le mot «liberté» change de sens selon le domaine auquel on l’applique. Grande est donc l’ambiguïté de celui-ci, à propos duquel Paul Valéry (1871-1945) écrit dans ses Fluctuations sur la liberté :
 
« Liberté : c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique, mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence»[1].
 
 Qu’est-ce alors qu’être libre ? Est-ce faire tout ce que l’on veut, est-ce faire n’importe quoi, est-ce être indépendant des lois de la nature, est-ce agir au hasard, est-ce agir conformément à la raison, ou contre la raison ?
 Comme l’a fait remarqué Valéry, il paraît difficile de s’interroger sur le concept de liberté sans qu’interviennent des implications théologiques, morales ou politiques car ce sont ces dernières qu’il faut convoquer si l’on veut tenter de résoudre cette première et fondamentale alternative concernant la liberté : Sommes-nous libres ou bien déterminés ? Ici en effet, aucun consensus n’existe entre les différents penseurs qui se sont penchés sur la question, d’où cette boutade de Valéry :
 
«Les uns, donc, ayant rêvé que l’homme était libre, sans pouvoir dire au juste ce qu’ils entendaient par ces mots, les autres aussitôt, imaginèrent et soutinrent qu’il ne l’était pas. Ils parlèrent de fatalité, de nécessité, et, beaucoup plus tard, de déterminisme, mais tous ces termes sont exactement du même degré de précision que celui auquel ils s’opposent»[2].
 
 Devant un tel désarroi, est-il possible d’apporter un éclairage philosophique afin de mettre en évidence les illusions et les réalités de la liberté ?
 
 
I.                   Sommes-nous des « automates spirituels » ?
 
 
 Dans un registre strictement philosophique, le mot liberté désigne le pouvoir qu’aurait notre volonté de choisir ses fins et d’agir de son propre mouvement, sans résulter entièrement des facteurs qui agissent sur elle. Cette liberté-là serait le propre de l’homme et elle ferait de lui l’auteur responsable de son action, à la différence des autres êtres de notre monde, simples objets ou êtres vivants.
 Ainsi, la tuile qui tombe du toit et blesse un passant n’a pas agi, car c’est sous le fait des lois de la nature qu’il en a été ainsi.
 De même, l’animal qui agit par son seul instinct ne peut être tenu responsable, car cet instinct le dépasse est n’est pas du ressort de sa volonté.
 L’homme agit, dans la mesure où il est la cause première de ses actes. Il est responsable des conséquences de ses actes, s’il a le pouvoir de choisir entre faire et ne pas faire. C’est en cela qu’on reconnaît l’homme comme un sujet libre, auteur de ses actes et responsable de leurs conséquences. Toutefois, plusieurs doctrines semblent aller à l’encontre d’une telle vision des choses, à commencer par le fatalisme.
 
  1.  
  1. Le fatalisme
 
 Le fatalisme est une doctrine ancienne qui a pour centre une certaine vénération à l’égard de la puissance du langage, de la vertu bénéfique et surtout maléfique de certaines formules. Le fatal, c’est exactement ce qui est dit (le fatum) et qui arrivera parce qu’il est dit. Le fatalisme en est la généralisation : tout l’avenir est irrévocablement inscrit au grand livre du destin.
® possibilité de la divination chez les Grecs (la Pythie)
Tout ce qui doit arriver arrivera nécessairement quoi que je fasse. Mon action n’aura pas d’effet parce que tout a été fixé une fois pour toutes par une puissance surnaturelle qui ne tient pas compte de mes actes.
 Ainsi, les philosophes stoïciens[3] de l’Antiquité considéraient que la nature est soumise à un ordre invariable, à un destin auquel les actions humaines ne peuvent rien changer.
 
L’exemple du médecin : S’il existe un destin pour chacun de nous, alors il est écrit de toute éternité si je guérirai ou non de la maladie que je viens de contracter. Les adversaires du stoïcisme invoquaient donc l’inutilité, dans une telle vision du monde, d’aller ou non chez le médecin. Face à ce raisonnement paresseux, qui nous conduirait à vivre dans l’inaction complète, les stoïciens répliquaient alors que ma guérison dépend effectivement de ma visite ou non chez le médecin, et que par conséquent, ce n’est pas seulement ma guérison ou non qui est sous le coup de la fatalité, mais qu’il dépend aussi d’elle que j’aille ou non chez le médecin. C’est ce que le philosophe Chrysippe nomme des événements « confatals » car l’un ne peut advenir sans l’autre.
 
Tout ce qui doit arriver est donc fixé d’avance, y compris ce que je ferai, et les effets qui en résulteront. D’où l’adoption d’une certaine résignation à l’égard des choses de la vie, qui consiste à accepter de bon gré tout ce qui nous arrive. Quelle place dès lors laisser à la liberté ?
® pour les stoïciens, la liberté consiste justement dans cette compréhension du destin et dans son acceptation. Comme l’écrit Épictète :
 
« […] la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent[4] ».
 
 Il faut toutefois remarquer que les stoïciens font une exception à la toute-puissance du destin, puisqu’ils distinguent les choses qui ne dépendent pas de nous de celles qui en dépendent :
 
« Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y en a d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions : en un mot, toutes les œuvres qui nous appartiennent. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps, c’est la richesse, la célébrité, le pouvoir ; en un mot toutes les œuvres qui ne nous appartiennent pas [5]».
 
Nos pensées dépendent donc absolument de notre volonté, laquelle est parfaitement indépendante du destin, à l'inverse de notre corps, qui lui est soumis.
 
Problème : peut-on admettre que tout dans l’univers est soumis à une nécessité sans faille, et prétendre que nos pensées n’y soient pas soumises ?
 
  1.  
  1. Déterminisme et liberté
 
 À l'inverse de la conception stoïcienne, il peut paraître plus cohérent de refuser l'opposition entre le monde extérieur et l'esprit humain, et d'affirmer que nos idées et notre volonté sont tout aussi déterminées que les corps par des causes antérieures et extérieures à nous, comme le pensent les tenants du déterminisme, et notamment le plus célèbre d'entre eux : Spinoza (1632-1677). Mais qu'est-ce exactement que le déterminisme ?
 
 
-         Différence entre déterminisme et fatalisme
 
 Le déterminisme est cette conception philosophique et scientifique selon laquelle l'ensemble du monde physique est soumis au principe de causalité, principe qui implique qu'il n'y a pas d'effet dans cause, et que plus précisément, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Cette deuxième précision est nécessaire, car à lui seul, le concept de causalité laisse planer une ambiguïté. En effet, il existe deux possibilités quant à la succession de deux événements de type "Si X, alors Y" :
  1. "Si non-X, alors Y se serait produit quand-même"
  2. "Si non-X, alors non-Y"
Dans le premier cas, le caractère de la succession est accidentel ; tandis que dans le second, on élimine ce caractère accidentel.
Ainsi, X peut être dit cause de Y, si Y ne peut advenir sans que X advienne (déf. contrafactuelle de la causalité ® Lewis). Cela n'empêche pas que X puisse advenir sans qu'advienne Y : X n'est pas une cause déterminante de Y. À l'inverse, X est dit cause déterminante de Y si X ne peut intervenir sans qu'à son tour Y intervienne : X est une condition nécessaire et suffisante de Y.
 C'est cette deuxième sorte de causalité qu'implique le déterminisme. Nous voyons cependant que l'on peut renoncer à celui-ci sans pour autant renoncer à la causalité. Causalité et déterminisme ne sont donc pas synonymes.
 
 Le déterminisme apparaît donc quand l'enchaînement X®Y est nécessaire, lorsqu'il ne peut être rompu (toutes choses égales par ailleurs). Il induit donc le règne de la nécessité. Quelle est alors la différence avec le fatalisme ?
 Le fatalisme consiste à penser que tout ce qui doit arriver arrivera nécessairement quoi que je fasse. Or, selon le principe de causalité, toute action, dont la mienne, entraîne des effets et modifie la suite des événements. Le fatalisme, en niant l'efficacité de mes actes, se retourne contre le principe de causalité. Précisément parce que le fatalisme dérive primordialement de l'ordre humain, c'est le résultat qui est prédit et non pas les causes. Par suite, quelles que soient les causes et les conditions, l'effet se produira. C'est la négation même du déterminisme car les causes les plus différentes peuvent produire les mêmes effets. C'est le règne de la nécessité absolue et irrationnelle. La prédiction agit à la manière d'une cause finale : la fin ou but personnifié attire les moyens.
 
Claude Bernard distingue ainsi déterminisme et fatalisme :
 
"Nous n'agissons jamais sur l'essence des phénomènes de la nature, mais seulement sur leur déterminisme, et par cela seul que nous agissons sur lui, le déterminisme diffère du fatalisme sur lequel on ne saurait agir. Le fatalisme suppose la manifestation nécessaire d'un phénomène indépendamment de ses conditions, tandis que le déterminisme est la condition nécessaire d'un phénomène dont la manifestation n'est pas forcée"[6].
 
 Il est vrai cependant que fatalisme et déterminisme induisent tous deux la nécessité, et que par conséquent tous deux semblent nier la liberté. Mais c'est bien le déterminisme qui soulève le plus de difficultés car il abandonne la division stoïcienne entre choses soumises à la nécessité et choses non soumises pour envisager un véritable monisme physique. Qu'en est-il alors de la liberté ?
 
 Pour Spinoza :
 
"Il n'y a dans l'Âme aucune volonté absolue ou libre; mais l'Âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l'est à son tour par une autre et ainsi à l'infini[7]".
 
Par conséquent, la croyance qu'ont les hommes d'être libres n'est qu'une illusion qui vient de ce qu'ils ont conscience d'agir de telle ou telle façon, mais qu'ils sont inconscients, ou qu'ils ignorent les causes qui les ont déterminés à agir ainsi. Cette illusion est liée à la limitation de la conscience, limitation dont elle est ici la victime parce qu'elle ne l'aperçoit pas, parce qu'elle se croit conscience absolue, sphère intégralement transparente à elle-même.
 On voit donc que dans la conception spinoziste, comme l'ensemble des conceptions déterministes, la volonté n'est pas indépendante de toute détermination causale. Au contraire, la volonté est soumise à l'enchaînement des causes et des effets comme toute chose dans la nature.
® est-ce à nouveau renoncer à la liberté humaine ?
 
 C'est bien entendu renoncer au libre arbitre (au pouvoir qu'a ou que croit avoir l'homme de diriger librement les démarches de sa pensée, de son jugement entre des contraires), mais pas à la liberté car pour Spinoza, l'homme demeure libre dans la mesure où il agit en sachant exactement qui il est, en fonction de ce qui est bon pour lui, en toute connaissance de cause.
 La liberté consistant à être soi dans le cadre du déterminisme suppose que le sujet comprenne les déterminations qui découlent de sa propre nature et celles qui n'en découlent pas. Autrement dit, cela suppose que le sujet sache distinguer parmi ses pensées et ses motifs d'agir ceux qui correspondent à son être véritable, à son désir, à son identité, à son "vrai moi", et ceux qui agissent en lui comme des forces étrangères, par lesquelles il risque d'être aliéné. Spinoza écrit ainsi :
 
"Je dis donc qu'un homme est pleinement libre dans la mesure où il est dirigé par la raison; car c'est dans cette mesure qu'il est déterminé à agir par des causes qui peuvent être adéquatement comprises à partir de sa seule nature", tandis que "l'impuissance consiste en cela que l'homme se laisse passivement conduire par les choses extérieures à lui […][8]".
 
 
Être libre, c'est donc en quelque sorte être dépendant de sa seule nature (agir "par la seule nécessité de sa nature"), déterminer rationnellement ce qui nous est utile en propre, alors que l'absence de liberté consisterait dans la dépendance à l'égard des choses qui nous sont extérieures et être ainsi sous le coup de la passion.
 
Problème : S'agit-il d'un réel déterminisme ? La pensée qui nous dévoile le déterminisme, partout dans la nature, y compris en nous-mêmes, est-elle elle-même déterminée ? Si ce n'est pas le cas, la pensée du déterminisme ne se contredit-elle pas elle-même ?
 
 L'homme libre selon Spinoza est celui qui atteint une compréhension de ses propres déterminations. Une telle compréhension est le fait d'un acte de l'entendement, d'une réflexion. Or, la pensée du déterminisme, si bien à l'œuvre par exemple dans le travail de la science, ne semble pas parvenir à dégager un véritable déterminisme de la pensée, qui s'attesterait comme achevé s'il pouvait englober de surcroît en soi cette pensée même du déterminisme, la pensée du penseur en train de comprendre comment sa pensée est déterminée à comprendre comment elle est déterminée ! Il ne suffit pas de dire et d'affirmer que tout est déterminé, il faut encore dire comment notre intelligence, déterminée comme toute chose, peut être et est déterminée à le dire. Mais se dérobant de ce qu'il enveloppe, l'esprit ne peut s'objectiver lui-même, il est irréductiblement sujet.
 
® le déterminisme universel fait donc problème, et on doit se demander s'il n'est pas possible de le remettre en cause.
 
 
-         Implications dues à l'acceptation du déterminisme ou à son rejet
 
 La conception déterministe en matière d'action humaine repose en effet sur plusieurs hypothèses que l'on peut ou non accepter :
  1. L'extension à toute réalité de ce qui vaut en physique, ce qui constitue une extrapolation contestable (réductionnisme)
  2. La négation de toute contingence dans la nature (nécessitarisme)
  3. La réduction de la volonté humaine à la matière physique (matérialisme)
 
Mais à l'inverse, refuser ces hypothèses entraîne aussi certaines conséquences :
  1. Existence de différents niveaux de réalité qui n'obéiraient pas aux mêmes lois
  2. Laisser une place à la contingence ou au hasard, c'est-à-dire limiter de fait les prétentions des sciences de la nature
  3. Doter l'homme d'une âme immatérielle, ce qui soulève plusieurs difficultés, notamment celle de son union avec le corps.
 
Le choix apparaît donc difficile. Cependant, la conscience que nous prenons de nos propres agissements ne nous incite t-elle pas à nous considérer comme réellement libres et à rejeter le déterminisme psychique ?
 
  1.  
  1. Une volonté absolue ?
 
 Par opposition au dogmatisme rationnel du système spinoziste, on peut trouver un peu naïve la tranquille assurance avec laquelle Descartes (1596-1650) affirme :
 
"que la liberté de notre volonté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons" et "qu'il est si évident que nous avons une volonté libre qui peut donner son consentement ou ne pas la donner quand bon lui semble que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions[9]".
 
Il n'en reste pas moins vrai que l'expérience que nous faisons continuellement de la liberté de notre volonté nous la présente comme un pouvoir absolu. Et c'est pourquoi cette liberté absolue de la volonté, garantie par l'évidence de l'expérience interne, constitue pour Descartes une "notion commune"[10] ou axiome, ainsi qu'il l'écrit au Père Mersenne :
 
"Vous avez raison de dire que nous sommes aussi assurés de notre libre arbitre que d'aucune notion première, car c'en est véritablement une"[11].
 
C'est l'évidence de notre libre arbitre qui permet d'affirmer que l'homme est libre, c'est-à-dire capable de "faire une chose, ou ne la faire pas", car l'évidence est critère de vérité chez Descartes[12]. Ainsi, la liberté constitue l'expérience fondamentale et universelle de l'homme dans la mesure où elle se confond avec la volonté. En effet, il n'y a :
 
"personne qui, se regardant soi-même, ne ressente et n'expérimente que la volonté et la liberté ne sont qu'une même chose, ou plutôt qu'il n'y a pas de différence entre ce qui est volontaire et ce qui est libre[13]".
 
 Mais si le caractère absolu de la liberté est un principe premier, il convient de tirer de ce principe la totalité des conséquences qu'il comporte. En ce qui concerne le rapport de la volonté aux mobiles sensibles, tels que les passions, il faut donc affirmer que "la volonté est tellement libre de sa nature, qu'elle ne peut jamais être contrainte"[14]. Mais ce qui vaut pour les mobiles, doit aussi valoir pour les motifs intellectuels de la décision volontaire.
 
-         Motif = raison d'agir (→ justification rationnelle)
-         Mobile = impulsion qui pousse à agir (→ pulsion affective)
 
Ex. : la balance comme image de la décision volontaire, où la liberté apparaît comme ce qui capable de faire pencher la balance, ou d'emporter la décision dans un sen sou dans l'autre.
 
 On peut tout d'abord imaginer la situation où les plateaux de la balance sont également chargés (l'âne de Buridan, à mi-chemin entre deux prés dont l'herbe est également tendre). En ce cas, la liberté est la force supplémentaire qui permet de faire pencher la balance ou de "nous déterminer aux choses auxquelles nous sommes indifférents"[15].
liberté d'indifférence
 "Indifférence" désigne en ce sens "cet état dans lequel la volonté se trouve, lorsqu'elle n'est point portée, par la connaissance du vrai ou du bien, à suivre un parti plutôt que l'autre"[16]. Dans l'indifférence, la volonté est libre en sens qu'elle n'est déterminée par aucun motif ou mobile capable de l'emporter dans un sens ou dans l'autre; et sa liberté est précisément ce qui lui permet de sortir de cet état d'indifférence ou d'indétermination (¹Spinoza, pour qui chaque choix est nécessairement la conséquence d'une cause consciente ou non, et donc entièrement déterminé).
 Mais si la liberté de la volonté est absolue, elle ne doit pas se manifester seulement dans les situations d'indifférence, mais aussi à l'égard de toute détermination sensible ou intellectuelle. Il faut donc admettre que "les plus fortes raisons ou impressions que l'entendement présente à la volonté n'empêchent point l'acte de la volonté d'être contingents"[17]. En ce sens, la liberté est la force capable de renverser la balance, même lorsqu'un des deux plateaux est plus lourdement chargé que l'autre. C'est proprement ce qu'on appelle le "libre arbitre" ou "franc arbitre", càd la possibilité pour la volonté de prendre ses décisions d'une façon absolument libre et indépendante de tout mobile ou de tout motif prédéterminant. Le libre arbitre est un pouvoir de décision absolu en moi, sans motif contraignant; une capacité de commencement pur, en dehors de toute chaîne de causalité à l'extérieur ou à l'intérieur de moi qui déterminerait mes actes dans leur production et leur modalité; une capacité de production d'un effet sans cause, d'un acte indéterminé et arbitraire, sans aucune nécessité (cf. l'acte gratuit).
 
"Au point que, même lorsqu'une raison fort évidente nous porte à une chose, quoique, moralement parlant, il soit difficile que nous puissions faire le contraire, absolument parlant néanmoins, nous le pouvons; car il nous toujours possible de nous empêcher de poursuivre un bien clairement connu, ou d'admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c'est un bien, de témoigner par là notre libre arbitre[18]".
 
Une telle liberté se présente vraiment comme absolue, puisqu'elle n'a pas d'autre justification qu'elle-même et prend sa propre affirmation pour le seul fondement de ses décisions. C'est pourquoi il lui est "permis" de se déterminer contre les exigences clairement affirmées de la morale et de la raison. "Suivre le pire, tout en voyant le meilleur" est généralement la marque d'une volonté" faible, incapable de conformer ses actions à ses propres résolutions : mais une volonté qui choisit délibérément le mal afin d'affirmer le caractère absolu de sa liberté fait plutôt le "grand usage" d'une puissance positive"[19].
 
 Une liberté qui s'affirme par le choix de l'erreur et du mal est toutefois plutôt qu'humaine, satanique. Elle serait plus l'oeuvre d'un fou que d'un être raisonnable. Comme l'écrit Leibniz :
 
"il est très vrai qu'une liberté d'indifférence indéfinie, et qui fût sans aucune raison déterminante, serait aussi nuisible et même choquante, qu'elle est impraticable et chimérique. L'homme qui voudrait en user ainsi, ou faire au moins comme s'il agissait sans sujet, passerait à coup sûr pour un extravagant."
 
Plus encore, on ne peut sans contradiction prétendre agir contre la raison et contre le bien, puisqu'on le fait pour cette raison que c'est un bien de témoigner ainsi de sa liberté :
 
"Les hommes se font une difficulté ici qui mérite d'être résolue. Ils disent qu'après avoir tout connu et tout considéré, il est encore dans leur pouvoir de vouloir, non pas seulement ce qui plaît le plus, mais encore tout le contraire, seulement pour montrer leur liberté. Mais li faut considérer qu'encore ce caprice ou entêtement, ou du moins cette raison qui les empêche de suivre les autres raisons, entre dans la balance, et leur fait plaire ce qui ne leur plairait pas sans cela, de sorte que le choix est toujours déterminé par la perception"[21].
 
Il y a toujours une raison pour déterminer contre la raison, et la volonté ne se fait donc pas sans raison. Toute liberté qui se déterminerait sans raison ne serait qu'absurdité et contradiction. C'est donc la raison qui apparaît déterminante dans le choix de la volonté. Pour Descartes même il est en effet "certain qu'une grande lumière dans l'entendement suit une grande détermination dans la volonté"[22]. Ainsi, "si nous voyions clairement" "que ce que nous faisons est mauvais", "il nous serait impossible de pécher"[23]. C'est pourquoi Descartes est amené à dire que la liberté d'indifférence, où il n'y pas de raison pour se déterminer, est "le plus bas degré de la liberté", et que nous sommes d'autant plus libres que nous avons plus de raisons pour nous déterminer à un parti :
 
"Afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires; mais plutôt, d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse"[24].
 
La liberté est ainsi d'autant plus grande, non pas quand elle se détermine sans raison ou contre toute raison, mais quand elle a davantage de raisons de se déterminer. Il n'y a pas de liberté dans l'irrationnel.
 Toutefois, il est vrai que Descartes garde une espèce de nostalgie à l'égard d'une indifférence conçue comme une faculté positive qui nous donnerait le pouvoir de résister même à l'évidence ou de ne pas se porter à un bien clairement connu, voire de prendre le parti contraire. On voit donc comment l'opposition liberté/déterminisme se retrouve au sein même de la philosophie cartésienne.
 
Question : Plutôt que de résoudre le problème de la liberté, ne peut-on le dissoudre ?
 
 
II.                La liberté à l'épreuve de la responsabilité.
 
 Si la question de la liberté est si controversée, ce n'est pas uniquement parce qu'elle est liée au sentiment que nous avons de nous-mêmes, à ce que nous pourrions appeler notre dignité (dont la forme la plus vive est la fierté), mais aussi et surtout parce qu'elle engage la responsabilité de chacun.
 Celui qui n'a pas eu le choix entre commettre un acte répréhensible et ne pas le commettre doit-il être considéré comme responsable ou même coupable ? On ne juge pas responsables les choses, ni les animaux, ni les tout jeunes enfants, ni les aliénés, et l'on reconnaît des circonstances atténuantes aux personnes dont les capacités de choix n'étaient pas intactes au moment des faits. La possibilité de choisir entre le bien et le mal semble donc être une condition nécessaire de notre responsabilité. Qu'en est-il dès lors des conceptions déterministes d'une part, et des conceptions du d'autre part ?
Cf. La notion de "crime passionnel" a disparu en droit français seulement en 1975. Il constituait alors une excuse au sens propre puisqu'un mari qui surprenait sa femme avec son amant chez lui pouvait impunément tuer l'amant.
 
 
A.     Faiblesses du déterminisme et du libre arbitre
 
 Le libre arbitre n'est certes pas démontrable de façon certaine, mais il semble que nous ayons de bonnes raisons morales de supposer qu'il existe. De fait, il est le plus souvent défendu par ses partisans comme une condition nécessaire à la responsabilité et à la moralité de l'homme. Il serait donc postulé, prouvé par ses conséquences, plutôt que démontré par ce qui le rend possible. C'est ainsi que s'exprime Saint Thomas d'Aquin (1225-1274):
 
"L'homme possède le libre arbitre, ou alors les conseils, les exhortations, les préceptes, les défenses, les récompenses et les châtiments seraient vains".
 
Et Descartes ne dit pas autre chose dans son Traité des passions :
 
"Je ne remarque en nous qu'une seule chose qui puisse nous donner juste raison de nous estimer, à savoir l'usage de notre libre arbitre et l'empire que nous avons sur nos volontés, car il n'y a que les actions qui dépendent de ce libre arbitre pour lesquelles nous puissions être estimés ou blâmés".
 
A l'inverse, le refus du libre arbitre peut logiquement conduire au rejet de l'idée de responsabilité. Spinoza par exemple admet qu'un homme "est excusable" du mal qu'il peut commettre, étant donné qu'il n'a pas le pouvoir de résister à ce que la nature a fait de lui. Il n'y a pas plus de raison de lui en vouloir qu'à celui qui devient enragé par la morsure du chien. Si donc le libre arbitre disparaissait sous la critique que lui adressent les partisans du déterminisme, il ne serait plus possible de tenir pour responsable la personne qui a commis un crime. Il ne resterait qu'à expliquer tous les crimes par les circonstances dont ils résultent et donc à les excuser (Rappel : "excuser" = mettre hors de cause ex-causere). Cependant, cet argument contre le déterminisme méconnaît radicalement ce dernier comme peut-être ses partisans d'ailleurs. En effet, c'est croire que l'assassin serait déterminé malgré lui à agir, et que par conséquent un juge (présupposé libre quant à lui) ne pourrait le condamner, sinon injustement. Or, c'est faire du juge un être "hors du monde".
 Dans une conception entièrement déterministe, certes l'assassin est déterminé à tuer, mais le juge de même est déterminé à condamner. À celui qui invoquerait son absence de liberté pour s'excuser de son crime, le juge peut donc rétorquer que lui-même agit sous le coup de causes extérieures. Un monde totalement déterministe aboutit donc à des situations quasi absurdes, qui semblent ne pas avoir de sens, mais qui ne constituent en rien un argument contre lui. A contrario, un monde où les sujets seraient entièrement libres aboutit lui aussi à des inconséquences.
 En effet, si on prend en exemple la thèse kantienne, la volonté est considérée comme une cause capable de déterminer la conduite humaine indépendamment de toutes les conditions empiriques connues. Or, nos imputations ne peuvent se rapporter qu'au caractère empirique. C'est seulement en effet dans les limites de l'expérience que nous pouvons établir rationnellement des relations de cause à effet. Ainsi, nous ne pouvons comprendre le mode d'action du caractère intelligible et il nous demeure tout à fait inconnu, de sorte que "la moralité propre de nos actions, le mérite et la faute nous restent, même en ce qui concerne notre propre conduite, entièrement cachés[25]" :
 
"Ce qu'il faut imputer en la matière à l'action pure de la liberté, ou à la simple nature et aux vices involontaires du tempérament, ou au contraire à son heureuse constitution (ce qu'il faut attribuer au mérite ou à la fortune), c'est ce qu'on ne peut pénétrer et ce dont on ne peut par conséquent juger avec pleine justice[26]".
 
On voit donc que si le mode d'action de la liberté est étranger à toute détermination saisissable, on sera également privé de toute possibilité d'imputation. Si je suis absolument libre, ma responsabilité est aussi absolue qu'insaisissable (comme d'ailleurs toute approbation) est aussi fondée qu'injuste.
Ou encore, si comme le prétend Descartes, l'homme est libre de choisir contre ses propres déterminations, alors il possède toujours le pouvoir, malgré toutes les causes qui le poussent à une mauvaise action, de choisir une autre voie. Par conséquent, l'homme n'est jamais excusable, au sens où il pourrait prétexter des causes extérieures à lui; l'homme est ainsi toujours responsable de ses actes, et doit par conséquent toujours être condamné.
→ inutilité des procès et de la Justice.
 
 Déterminisme comme liberté absolue aboutissent donc à des absurdités ou à des inconséquences, lorsqu'on les envisage par rapport au problème de la responsabilité. Plus encore, on peut se demander si le choix entre ces deux conceptions est utile. Quelle instance dès lors convoquer ? Science et expérience interne ont échoué à donner son véritable statut à la liberté, mais l'analyse de notre comportement ne peut-elle nous y aider ?
 
 
B.     Soi-même comme un autre
 
 Nous ne sommes peut-être pas tenus de choisir entre deux conceptions extrêmes conduisant soit à nous voir comme des automates, soit à revendiquer une liberté sans cause ni raison. Plutôt que de supposer que tout homme a en lui, par essence, la possibilité de choisir librement entre le bien et le mal, possibilité dont l'origine serait inexplicable, on peut chercher la véritable nature de la liberté non pas dans la conception que nous avons de notre propre liberté, laquelle pourrait relever (comme le pense Spinoza) d'une simple illusion, mais dans la conception que nous nous faisons de la liberté de ceux qui nous entourent, et avec qui nous interagissons. Par exemple, comment réagissons-nous lorsqu'après avoir donné rendez-vous à un ami à une terrasse de café, celui-ci ne vient pas ?
 
 Notre première attitude est une attitude déterministe. En effet, cette non venue entraîne une frustration, signe d'une attente. Nous nous attendions à sa venue, car nous le pensions déterminé par plusieurs causes : son amitié pour nous, le désir qu'il avait manifesté de nous rejoindre l'avaient déterminé à accepter le RDV, et celui-ci une fois fixé, était apparue une obligation due à l'engagement pris, qui, connaissant sa rectitude morale, aurait dû le pousser à venir à coup sûr. Dès lors, nous essayons d'expliquer, càd dire de déterminer les causes de ce faux bond : problèmes de transports, oubli du RDV, contre-temps de dernière minute, etc. Notre ami semblait donc déterminé à venir, et s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il était déterminé à ne pas venir. Si nous sommes surpris ou déçus, c'est parce que nous n'avons pu prévoir les causes impliquées dans l'une ou l'autre des hypothèses.
→ cet état de chose contredit formellement l'idée d'une volonté absolue qui s'affranchirait de toute détermination puisque si nous avions doté notre ami d'un tel libre arbitre, les chances auraient été aussi grandes pour qu'il vienne ou ne vienne pas, si bien qu'ayant anticipé la mauvaise éventualité comme également probable, nous n'aurions été qu'à demi surpris ou dessus. Or, tel n'a pas été le cas. A l'inverse, un cadre strictement déterministe convient parfaitement, si nous faisons intervenir notre entendement fini, et notre manque de connaissance des causes mises en jeu.
 Mais qu'en est-il si le lendemain, notre ami vient s'excuser en prétextant le fait qu'il a rencontré untel, et qu'ayant entamé la discussion, il n'a pas vu le temps passer et a ainsi manqué le RDV ?
Dans une conception déterministe telle que celle valable plus haut. La situation ne fait pas problème. En effet, si notre ami n'est pas venu, c'est effectivement parce qu'une cause extérieure (ici la rencontre fortuite de X) l'en a empêché. Cette raison a pesé dans la balance, et l'a ainsi déterminé à rester parler plutôt que de nous rejoindre. Nous nous devons donc d'accepter les excuses de notre ami, puisqu'il était bien "hors de cause". Or, il est peu probable que nous soyons si généreux. Ce RDV était plus important, et en conséquence, notre ami aurait dû faire l'effort de venir. Il aurait dû faire fi de cette nouvelle condition ne serait-ce que par respect pour nous. Aussi le jugeons-nous coupable d'avoir adopté une telle attitude. Devant l'alternative qui lui était proposé, il avait le choix entre se laisser aller à discuter et faire valoir le RDV qui était le sien. Sa responsabilité apparaît donc entière, ou du moins partielle, car notre reproche aurait été plus grand s'il n'avait pu invoquer aucune raison quant à sa non-venue.
→ apparaissent donc des degrés de responsabilité.
Dans un exemple comme celui-ci, mettant en scène des personnes intègres physiquement et intellectuellement, ni le déterminisme, ni le libre arbitre ne rendent compte de notre réaction. Au contraire, la liberté acquiert ici un statut hybride qui conduit à relativiser la responsabilité de chacun. Il existe bien des causes, des raisons qui poussent les hommes à se comporter de telle ou telle façon, mais ces raisons ne sont pas déterminantes, en ce sens qu'elles ne nécessitent pas la forme prise par l'action.
 
Question : Qu'est ce qui nous dit que cette "liberté graduée" que nous octroyons intuitivement à autrui coïncide avec la réalité, et qu'elle n'est pas elle aussi illusoire ?
 
 Bien sûr, il nous est impossible d'atteindre ce que serait une hypothétique "essence" de la liberté, et par conséquent, nous ne pouvons savoir avec certitude si cette conception renvoie ou non à une quelconque "réalité cachée". Toutefois, il est certain que la conception que nous avons de la liberté conditionne notre adaptation au monde, et plus particulièrement à notre environnement social. D'un point de vue pragmatiste, si une telle conception nous permet une adaptation satisfaisante à notre milieu, c'est parce qu'elle doit rendre compte d'une certaine réalité, qu'elle doit être "vraie". Il est certain en effet, que nous ne nous comportons pas avec notre ordinateur (que nous considérons comme entièrement déterminé) comme avec notre voisin ou avec notre chien. De même, il ne fait pas de doute que notre appréhension du comportement d'autrui serait radicalement différente dans un monde où chaque individu serait doté d'une volonté absolue. Cette conception de la liberté peut donc être tenue comme relevant bel et bien d'un état de fait, et que par conséquent il n'est pas stupide d'accepter ce concept d'une liberté fluctuante, aussi étrange puisse t-elle être au premier abord.
 Elle permet entre autres de comprendre le concept juridique de "circonstances atténuantes". La liberté d'un individu rationnel et raisonnable n'est ni totale, ni inexistante, mais elle fluctue en fonction des déterminations qui sont les siennes au moment de l'action, mais aussi quant à son passé (déterminations psychologiques, sociales, physiques, etc.) Plus ces déterminations seront favorables à l'action, plus la liberté sera tenue pour faible, et donc l'individu pour responsable.
Quelle conception pouvons-nous dès lors construire de la liberté ?
 
 C'est parce que nous-mêmes, et à la société dans son ensemble, "imputons" la responsabilité de ses actes à un sujet humain qu'est crée de fait une liberté de choix. Un être humain qui agit de façon criminelle sait qu'il sera regardé par les autres comme ayant eu le choix. Il ne pourra pas dire, ni aux autres ni à lui-même, "qu'il n'y pouvait rien[27]", car il se voit lui-même tel que les autres le voient. La façon dont nous jugeons les autres doit être appliquée à notre propre personne. Au moment de l'acte, la conscience morale, ce que Freud analyse comme relevant du surmoi, qu'il a acquise lui met sous les yeux la possibilité "théorique" de faire ou de ne pas faire le mal. Ce qui rend l'homme libre, ce serait alors le fait de se voir imputer un acte par la société, d'être tenu par elle comme un auteur responsable (du moins dans une certaine mesure). Plus que contredite par les conditions déterminantes, la liberté serait rendue possible par elles, variant ainsi d'un sujet à l'autre et d'une situation à l'autre, selon les conditions qui ont agi sur lui. On serait alors plus ou moins déterminé à être libre selon l'éducation qu'on a reçue, selon qu'elle incite ou non au conformisme ou au droit de penser par soi-même, qu'elle donne ou non accès aux arts et à la culture, qu'on vit dans une société libre ou autoritaire. Dans tous les cas, la liberté d'un sujet pourrait s'expliquer par des causes sans s'y réduire, ce qui nous libère du choix impossible entre liberté et causalité.
 
 Si nous sommes libres, c'est parce que nous sommes le produit d'une longue évolution. Il n'y a en effet pas de liberté du tout dans les choses inanimées, ni dans les mécanismes. C'est l'apparition de la vie sut Terre qui a produit un premier degré de liberté ; un être vivant, aussi primitif soit-il, agit en fonction d'objectifs qui expriment son être, son "soi", lequel est plus que la résultante des causes antérieures et extérieures à lui (ses gènes par exemple). À un degré infiniment plus complexe, à la suite de circonstances déterminantes (la station debout, les modifications du cerveau, l'apparition du langage, de la culture, etc.) est apparu un être capable de conscience. Cette conscience ouvre sur des formes de liberté inaccessibles aux autres êtres vivants. Sans constituer réellement un progrès, elle fait de l'être humain un être spécifique, doté d'une liberté et par-là même d'une responsabilité jamais atteinte jusqu'alors.
On peut donc expliquer l'émergence d'une nouvelle forme d'existence, celle d'un être humain non réduit à ses déterminations naturelles et sociales, capable d'inventer de nouvelles possibilités : la liberté de l'homme aurait ainsi pour preuve le dépassement de ses instincts naturels.
 
 Être libre, c'est donc avoir conscience à la fois de ce qui nous détermine, et des possibilités que nous avons de combattre ces déterminations, c'est se poser comme sujet de ses actes, et non simplement comme objet.


[1] Fluctuations sur la liberté, 1938, in Regards sur le monde actuel, Gallimard, 1945, pp. 49-50.
[2] Idem
[3] L'école stoïcienne a été fondée par Zénon de Cittium (340-260).
[4] Entretiens, 50-125 ap. J.-C., 35. Trad. A. Dacier, in Les Stoïciens, Textes choisis, PUF, 1966, p. 42.
[5] Épictète, Manuel (Ier siècle), trad. M. Meunier, GF, 1964, p. 183.
[6] Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, p. 304.
[7] Éthique, partie III, proposition 48.
[8] Ibid.
[9] Principes de la philosophie, partie I, article 39.
[10] Ce terme servait à Euclide pour désigner les vérités premières qui s'imposent d'elles-mêmes à l'esprit (comme par exemple que le tout est plus grand que la partie).
[11] Lettre du 3 décembre 1640.
[12] "[…] ne jamais recevoir une chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle". Discours de la méthode, seconde partie.
[13] Réponses aux troisièmes objections, 12e objection.
[14] Traité des passions, I, 41.
[15] Lettre au Père Mesland du 9 février 1645.
[16] Ibid.
[17] Leibniz, Nouveaux essais, II, 21, § 8.
[18] Lettre au Père Mesland du 9 février 1645.
[19] Ibid.
[20] Essais de théodicée, Troisième partie, § 314, GF, p. 304.
[21] Nouveaux essais, II, 21, § 15.
[22] Lettre au Père Mesland, 2 mai 1644.
[23] Ibid.
[24] 4e Méditation.
[25] Critique de la raison pure, Éclaircissement de l'idée cosmologique d'une liberté…
[26] Ibid.
[27] Comme le malheureux héros du film de Fritz Lang M le maudit.

Date de création : 15/06/2012 @ 15:28
Dernière modification : 16/06/2012 @ 11:19
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