* *

Texte à méditer :  

Là où se lève l'aube du bien, des enfants et des vieillards périssent, le sang coule.   Vassili Grossman


* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Cours sur le vivant
Une connaissance scientifique des êtres vivants est-elle possible ?
 
 
 
Introduction
 
 Ainsi posée, la question peut apparaître provocatrice. En effet, répondre par la négative revient à nier le statut scientifique de la biologie, qui est pourtant la science qui a connu les progrès les plus spectaculaires ce dernier siècle. Pour que la question garde sa pertinence, il nous faut donc expliciter ce que l'on entend par connaissance scientifique.
 On dira qu'une théorie constitue une connaissance scientifique de la réalité, quand elle est capable d'expliquer cette réalité. Mais que signifie ici "expliquer" ? Michel Bitbol nous livre une réponse à cette question :
 
"Une explication scientifique est traditionnellement définie comme une assignation causale. On parvient à expliquer un phénomène si on l'a relié de façon univoque à des antécédents à travers une ou plusieurs loi(s) de la nature, c'est-à-dire si l'on peut fournir un schéma déductif ayant la liste des antécédents pour majeure, les lois pour mineure, et le phénomène pour conclusion. Les antécédents sont considérés comme les causes du phénomène"[1].
 
En d'autres termes, on explique un phénomène en déterminant quelles sont les conditions initiales (les antécédents, qui sont alors considérés comme les causes du phénomène) et la ou les lois qui régissent ce phénomène. L'explication consiste ainsi à remonter d'un phénomène connu à des causes inconnues.
Un phénomène B (par exemple la chute d'un corps) est donc expliqué lorsque je suis capable de faire apparaître sa cause A, celle-ci étant constituée des conditions initiales du phénomène (par exemple ici la position du corps dans l'espace à l'instant t, sa vitesse initiale, etc.) et d'une ou plusieurs lois physiques (par exemple la loi de la chute des corps de Galilée : ).
Mais comment savoir que l'on a réussi à déterminer les bonnes conditions initiales et les bonnes lois ?
c'est la prédiction qui va servir de critère.
 
Comme l'écrit Michel Bitbol :
 
"Le test généralement admis de [la validité de l'explication] repose sur son aptitude à être retournée en un instrument prédictif, allant de causes connues à un phénomène encore inconnu"[2].
 
Si on est capable de prévoir un phénomène à l'avance, en se fondant sur des conditions initiales connues et une ou plusieurs lois déterminées, alors c'est que l'on est en possession d'une explication correcte du phénomène.
Exemple : si j'arrive à prédire le temps de chute du corps en chute libre, alors c'est un signe que mon explication est peut-être correcte. Si je renouvelle un grand nombre de fois ce succès, alors je pourrai tenir mon explication comme exacte.
 
 On voit que l'explication scientifique consiste ici en une assignation purement causale. Cette exigence apparaît remplie en physique, mais l'est-elle aussi en biologie ? Les théories biologiques ne font-elles intervenir que ce type d'explication ? C'est ainsi formulée que la question retrouve son sens : la question est de savoir si la connaissance des êtres vivants ne fait intervenir que des explications de type causal, ou si d'autres principes que l'on pourrait alors considérer comme "non scientifiques" sont aussi invoqués.
 On peut dès lors cerner le problème posé : les théories biologiques semblent recourir à des principes finalistes, c'est-à-dire des principes qui font intervenir une finalité, laquelle ne constitue pas une cause au sens strict du terme. De plus, le critère de la prédiction est-il rempli en biologie ?
On peut donc reformuler la question posée : "Une connaissance des êtres vivants sur le modèle de la connaissance physique est-elle possible ?"
 
 Nous verrons dans un premier temps que la biologie s'est constamment efforcée de produire une telle connaissance. Pour ce faire, elle a notamment comparé les êtres vivants à des machines. Cependant, certaines caractéristiques propres aux êtres vivants semblaient résister à une telle assimilation, ce qui a pu faire penser un temps que les phénomènes vitaux ne pouvaient être réduits purement et simplement à des phénomènes physico-chimiques. Mais nous verrons que la solution de ce problème est venue de différentes découvertes, parmi lesquelles celle de l'évolution des êtres vivants, et celles de sciences nouvelles comme la cybernétique et la théorie de l'information.
 
 
 
 
 
I.                   Les êtres vivants sont-ils des machines ?
 
1.      Qu'est-ce qu'un être vivant ?
 
   Si l'on en croit le biologiste François Jacob : "On n'interroge plus la vie aujourd'hui dans les laboratoires
 
 
 
 
". Cela signifie t-il que le concept de vie, ou de vivant, a perdu toute signification ?
 Qu'est-ce que la vie ? François Jacob considère que cette question n'a pas de réponse. Il pense en effet qu' "il est particulièrement difficile, sinon impossible de définir la vie". Selon lui, il ne faut donc pas demander au scientifique de définir la vie. Au contraire, "chacun de nous sait ce qu'est la vie".
 
 
 
→ Cf. texte de François Jacob, Qu'est-ce que la vie ?
 
Claude Bernard (1813-1878) ne disait pas autre chose lorsqu'il écrivait, en 1878, dans ses Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux :
 
"[…] il n'y a pas à définir la vie en physiologie. Lorsqu'on parle de vie, on se comprend à ce sujet sans difficulté, et c'est assez pour justifier l'emploi du terme d'une manière exempte d'équivoques.
 Il suffit que l'on s'entende sur le mot vie, pour l'employer ; mais il faut surtout que nous sachions qu'il est illusoire et chimérique, contraire à l'esprit même de la science d'en chercher une définition absolue. Nous devons nous préoccuper seulement d'en fixer les caractères en les rangeant dans leur ordre naturel de subordination."
 
Et le prix noble de physiologie Hongrois Szent-Györgi de confirmer cette idée :

"The biologist wants to understand life, but life, as such, doesn't exist : nobody has ever seen it. What we call "life" is a certain quality, the sum of certain reactions of systems of matter, as the smile is a quality or reaction of lips. I cannot take the girl in my right arm and her smile in my left hand and study the two independently. Similarly, we cannot separate life from matter and what we can only study is matter and its reactions. But if we study this matter and its reactions, we study the life itself."
 
 
 
 
Il semble donc qu'on ne puisse pas saisir l'essence de la vie. Cependant on peut essayer de caractériser la vie, c'est-à-dire faire apparaître les caractéristiques qui sont propres aux êtres vivants.
 
 Dans le chapitre 1 de son livre Le hasard et la nécessité (paru en 1970), Jacques Monod (1910-1976) essaie de définir ce qu'est un être vivant. Pour ce faire, il commence par se demander ce qui distingue, à l'intérieur de la classe des objets matériels, les objets naturels et les objets artificiels. Il imagine alors un programme informatique dont le but serait de reconnaître les critères qui permettent d'opérer une telle distinction.
 
 Deux critères sont dans un premier temps avancés par Monod pour différencier les objets naturels et les objets artificiels :
-         le critère de régularité
-         le critère de répétition
 
 
 
Objets matériels
 
 
Objets naturels
 
- ils sont irréguliers
- ils sont uniques et dotés de structures complexes
 
 
Objets artificiels (artefacts)
 
- ils sont irréguliers
- on a affaire à de multiples objets de même forme et de même structure, structures qui demeure relativement simple.
 
Précision : ces critères ne valent qu'à l'œil nu ; il faut donc s'en tenir au niveau macroscopique (puisqu'au niveau moléculaire, objets naturels et objets artificiels possèdent la même structure).
Néanmoins, plusieurs contre-exemples peuvent être mentionnés : les cristaux, qui sont des objets naturels, sont parfaitement réguliers. Se pose de même le problème des productions des insectes sociaux, comme la ruche des abeilles, aux alvéoles parfaitement symétriques, et plus encore, le problème des abeilles elles-mêmes, qui semblent tout droit sorties d'une même chaîne de montage.
→ ces deux critères ne suffisent pas.
 
Monod décide alors de changer de niveau d'étude : plutôt que de s'intéresser à la structure, ou à la forme des objets, il propose de s'intéresser à leur performance (ou à leur fonction).
 
 Les objets artificiels possèdent en effet une fonction précise, donnée par une intention préalable qui est celle de leur créateur (par exemple, la fonction du couteau est de couper), c'est pourquoi ils possèdent aussi une forme précise (la forme du couteau est faite pour couper). La finalité externe de l'artefact détermine ainsi sa fonction et donc sa forme.
les objets artificiels sont finalisés et programmés.
 À l'inverse, les objets naturels semblent ne pas posséder de programme assignable, ne pas remplir de but précis.
 
 Cependant, là encore, les êtres vivants s'opposent à une telle classification, car comme les objets artificiels, ils semblent dotés d'une nature projective (ils semblent obéir à un projet).
 
→ Cf. texte de Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité, p. 37-38.
 
Exemples : du point de vue de la simple performance, il apparaît impossible de distinguer des chevaux au galop et des voitures sur une route ; de même l'œil apparaît analogue à l'appareil photographique.
Les êtres vivants sont des systèmes qui possèdent une propriété téléonomique, c'est-à-dire qu'ils obéissent à des buts (de téléos : le but, et de nomos : la loi).
Il semble alors qu'on ne puisse différencier les objets naturels que sont les êtres vivants et les objets artificiels, tous les deux étant finalisés.
 
Monod déplace alors sa problématique : plutôt que d'essayer de distinguer objets artificiels et objets naturels, il va se demander ce qui caractérise en propre les êtres vivants. Autrement dit, qu'est-ce qui les distingue des objets artificiels, mais aussi des autres objets naturels ?
 
Il introduit deux nouveaux critères :
- l'autoorganisation
- l'autoproduction ou morphogenèse autonome
 
Les êtres vivants sont capables de s'autoorganiser (leur fonctionnement se fait de lui-même, sans intervention extérieure) et de s'autoproduire (ils n'ont pas besoin d'un constructeur, comme c'est le cas pour la montre. Ils se développent de façon interne, sans aide extérieure. Par exemple, de l'œuf fécondé à l'organisme adulte, le développent se fait de manière autonome).
Problème : là encore, les cristaux répondent à ces deux critères.
 
Dernier critère invoqué : l'autoreproduction ou invariance reproductive
Les êtres vivants sont capables non pas seulement de se produire eux-mêmes, mais aussi de se re-produire eux-mêmes, c'est-à-dire de produire des êtres identiques.
Hélas, les cristaux posent toujours problème, car ils sont capables eux aussi de se reproduire à l'identique.
Monod est donc forcé d'utiliser un dernier critère : le critère quantitatif = la quantité d'information requise dans la reproduction. Elle est très faible dans le cas des cristaux, et très importante dans le cas des êtres vivants.
 
Jacques Monod en arrive donc à établir trois caractéristiques des êtres vivants :
 
1.      la téléonomie : les êtres vivants sont doués d'un projet
2.      la morphogenèse autonome = l'autoproduction
3.      l'invariance reproductive qui requiert une grande quantité d'information = l'autoreproduction
 
Monod parvient ainsi à définir l'objet de la biologie et à discerner l'être vivant.
 Le caractère téléonomique des différents organes (par exemple le fait que l'œil ait pour fonction de voir) est ramené à un principe téléonomique général, à un "projet primitif unique" = la conservation et la multiplication de l'espèce.
 Le but des êtres vivants est de se reproduire.
 
C'est ce que souligne par exemple Henri Laborit lorsqu'il écrit :
 
"La motivation fondamentale des êtres vivants semble donc bien être le maintien de leur structure organique"[5].
 
Ainsi définis, est-il possible d'aboutir à une connaissance scientifique des êtres vivants ?
 
  1. La conception mécaniste du vivant
 
 Dans le cadre des objets naturels, la science s'appuie sur un fondement méthodologique, ce que Monod appelle le "postulat de base de la méthode scientifique", à savoir que :
 
"la Nature est objective et non projective"
 
 
 
 
On doit étudier la nature de manière objective, et non en faisant intervenir la notion de projet, ou de but. La science postule donc qu'il est illégitime de s'interroger sur les causes finales ; on ne doit recourir qu'aux causes efficientes.
 
 L'émergence de ce postulat remonte aux XVIe et XVIIe siècles, quand Copernic puis Galilée ont renversé la cosmologie aristotelicienne, qui était quant à elle finaliste ou téléologique.
Descartes affirme alors le premier son refus d'expliquer la nature par la recherche des causes finales.
Monod rappelle que la prise en compte de l'objet biologique s'inscrit bel et bien dans cette perspective. Pour lui, on peut parvenir à une connaissance objective des êtres vivants.
 
 C'est Descartes (1596-1650) qui, le premier, a défendu une conception mécaniste des êtres vivants. Pour lui, il n'existe pas de distinction entre les êtres vivants et les êtres non-vivants. Tous peuvent être assimilés à des machines, plus ou moins complexes. Les fonctions vitales découlent toutes naturellement de la seule disposition des organes qui composent la machine corporelle, à la manière des automates.
 Par conséquent, pour le mécanisme, tous les phénomènes vitaux peuvent être expliqués en termes physico-chimiques. Il suffit pour cela de rapporter un événement à sa cause matérielle ou de l'inscrire dans une corrélation stable avec d'autres événements. Chaque événement s'inscrit donc dans une chaîne causale, en vertu du seul principe de causalité.
 C'est le cas par exemple dans l'explication que donne Harvey du fonctionnement du cœur. En 1628, le savant anglais découvre en effet les mécanismes de la circulation du sang et montre que le cœur fonctionne en fait comme une pompe.
 Malgré de nombreuses attaques, ce point de vue retrouve toute sa vigueur au XIXe siècle, alors que s'effectuent les premières synthèses artificielles de constituants organiques : en 1828 Woehler synthétise l'urée, en 1855 Claude Bernard (1813-1878) synthétise du glycogène. Rien d'étonnant donc à ce que ce dernier défendre une conception purement mécaniste des êtres vivants :
 
"l'organisme vivant n'est qu'une machine admirable douée des propriétés les plus merveilleuses et mise en activité à l'aide des mécanismes les plus complexes et les plus délicats"[7].
 
 Etau XXe siècle, la victoire du mécanisme ne fait pas de doute pour un biologiste contemporain comme Henri Atlan, lequel écrit :
 
"Le vitalisme a vécu et, avec lui, ce qui fondait si solidement la différence entre les êtres vivants et les autres. La biologie moléculaire nous montre tous les jours que les organismes, bien loin d'obéir à une finalité interne, sont régis par des mécanismes physico-chimiques"[8].
 
Antoine Danchin, autre biologiste contemporain, écrit lui aussi :
 
"Le but des organismes vivants est le même que le but de tout système physique : occuper le plus possible d'espace et d'état, occuper tout avec les moyens dont ils disposent"[9].
 
L'affirmation reste donc la même : il n'y pas de différence entre un être vivant et un système physique quelconque.
 
 
 
Un exemple d'explication mécaniste : la propagation d'un message nerveux
 
Pour appuyer l'idée mécaniste, on peut prendre un exemple tiré du manuel de SVT de 1ère S.
→ Cf. le chapitre 18 de la partie 4 du programme de SVT de 1ère S.
 
Autre exemple possible : l'exemple du réflexe myotatique abordé lors du chapitre 17 du cours de SVT de 1ère S.
 
 Le réflexe myotatique est le mécanisme principal qui permet le maintien de la posture debout. Sans lui en effet, nous ne pourrions tenir debout car nous nous écroulerions, à cause de la pesanteur, sous notre propre poids.
Cet exemple permet de défendre une conception strictement mécaniste du vivant. En effet, le réflexe myotatique est l'expression d'un fonctionnement coordonné de différentes structures :
 
-         les fuseaux neuromusculaires sont des récepteurs sensoriels. Localisés au cœur des muscles, ils sont sensibles à l'étirement provoqué par un stimulus mécanique : pesanteur ou choc sur le tendon ;
-         Les neurones sensitifs, issus des fuseaux neuromusculaires, conduisent des messages nerveux afférents jusqu'au centre nerveux du réflexe : la moelle épinière ;
-         les neurones moteurs conduisent des messages nerveux efférents élaborés dans le centre nerveux, jusqu'à l'organe effecteur : le muscle ;
-         la réponse est la contraction du muscle initialement étiré provoquant l'extension du pied. Le trajet suivi par le message nerveux du récepteur sensoriel jusqu'à l'organe effecteur constitue un arc réflexe.
-         Ajoutons que lorsqu'un muscle se contracte, le muscle antagoniste se relâche (le message nerveux est donc double : contraction du muscle + relâchement du muscle antagoniste).
 
 Le système fonctionne donc ainsi : étirement du muscle → envoi d'un message nerveux afférent jusqu'à la moelle épinière → envoi d'un message nerveux efférent vers le muscle → contraction du muscle + relâchement du muscle antagoniste
 Il s'agit bien là d'une explication purement mécanique, faisant intervenir une causalité parfaitement déterminée.
 
Question : Cependant, l'ensemble des manifestations vitales peuvent-elles être réduites à ce type d'explication ? Les avancées de la biologie nous permettent-elles réellement d'assimiler l'organisme à une machine ?
 
 Au XVIIIe siècle Kant (1724-1804) soulignait le fait qu'il était impossible de réduire les êtres vivants à de simples machines.
 
→ Cf. Texte Critique de la faculté de juger, pp. 193-194.
 
 Kant objecte aux mécanistes que le vivant n'est pas seulement un être organisé mais un être qui s'auto-organise. Il n'est pas seulement doté d'une force motrice, mais d'une force formatrice. Il est vrai que l'être vivant a en soi de la matière, mais la simple matière est inerte et sans vie : il faut donc admettre l'existence d'un principe particulier de vie qui est immatériel. Effectivement, le vivant peut être comparé à une machine, mais à la différence d'une montre, il se reproduit lui-même, s'auto-régule et s'auto-régénère. Si en plus, le mouvement de la montre est l'effet de chaque rouage du mécanisme, aucun de ses rouages n'est l'effet d'un autre. En clair, la cause efficiente (la cause productrice, exemple : mes parents) de la montre est l'horloger qui produit chaque rouage ; de plus, chaque pièce de la montre est dans le mécanisme pour produire le mouvement des aiguilles qui indiquera alors l'heure, ce pour quoi elle est faite. La cause finale de la montre n'est donc pas contenue dans la matière dont elle est faite, mais dans le projet de l'horloger. Par contre, on ne saurait affirmer que les êtres vivants résultent d'un projet, qu'ils sont la réalisation concrète de l'intention consciente d'une force supérieure, mais il est tout aussi impossible de prouver qu'une disposition quelconque de la nature n'aie pas du tout de fin. Plus encore, si l'idée de finalité n'a aucune objectivité scientifique, elle est indispensable à celui qui étudie la vie.
En d'autres termes, l'homme de science qui fait usage pour comprendre son objet de principes téléologiques ne prétend certes pas qu'ils constituent le dernier mot de la recherche ; il constate seulement qu'en accueillant les phénomènes "comme si" une intention s'exprimait en eux, il progresse plus facilement dans sa démarche d'investigation. La présupposition d'un sens dans les choses est donc un "moteur de recherche" ; elle aide à constituer l'expérience comme un système, à trouver les lois universelles d'après lesquelles nous avons à organiser les phénomènes. Il n'existe donc pas de finalité dans la réalité en elle-même (ou du moins, on ne peut pas le savoir), mais l'homme est contraint, par ses facultés de connaissances (qui sont limitées) de faire "comme si" une finalité régissait les phénomènes biologiques. Ainsi, il faut expliquer la croissance d'un arbre en partant de l'idée que la graine a pour but de donner naissance à un arbre.
 
 Le problème soulevé par Kant va être résolu au XXe siècle.
 
Le physiologiste allemand Brücke le résumait déjà clairement en 1864 :
 
"La téléologie – raisonnement par les causes finales – est comme une femme sans qui le biologiste ne peut pas vivre mais dont il a honte d'être vu avec elle en public".
 
En effet, un finalisme implicite est présent dans la plupart des discours biologiques. Cet état de choses est gênant, du point de vue de la méthode scientifique, en ce qu'il nie le principe de causalité, suivant lequel les causes d'un phénomène doivent se trouver avant et non après sa survenue.
 
 
 
3.      Le vivant comme système auto-organisé
 
 Dans les années 1950, Colin Pittendrigh (1918-1996) assigne comme programme à la biologie moderne de fournir une explication mécanique aux finalités biologiques. Pour cela, il suggère de remplacer les explications téléologiques anciennes, à l'aide de processus finalisés intentionnels, à la manière de nos propres actions intentionnelles, par des processus finalisés non intentionnels, qu'il qualifie de téléonomiques. Il semble donc que Jacques Monod ait eu raison lorsqu'il voyait dans la téléonomie le caractère "essentiel" des êtres vivants.
→ les phénomènes de la vie doivent pouvoir s'expliquer en termes de réactions physico-chimiques.
 
 Le problème posé notamment par Jacques Monod, c'est le finalisme implicite des discours biologiques. Cet état de choses est gênant, du point de vue de la méthode scientifique, parce qu'il nie le principe de causalité, suivant lequel les causes d'un phénomène doivent se trouver avant et non après sa survenue.
 De plus, le postulat de base de la méthode scientifique est que la Nature est objective et non projective (cf. plus haut).
 
Monod fait alors intervenir à son tour le principe de téléonomie. On passe de la téléologie kantienne à la téléonomie.
 Un processus téléonomique ne fonctionne pas en vertu de causes finales alors même qu'il en a l'air, alors même qu'il semble orienté vers la réalisation de formes qui n'apparaîtront qu'à la fin du processus. Ce qui le détermine en fait ce ne sont pas ces formes comme causes finales, mais la réalisation d'un programme, comme dans une machine programmée dont le fonctionnement semble orienté vers la réalisation d'un état futur, alors qu'il est en fait déterminé causalement par la séquence d'états par lesquels le programme préétabli le fait passer.
 Il y a donc nécessité d'intégrer des notions cybernétiques[10] (comme celles de code, d'information, de programme, etc.), autrement dit, de fonder les phénomènes vitaux sur une physico-chimie non classique, élargie par rapport à l'ancienne = une physico-chimie "biologique", ou encore une biophysique. Autrement dit, faire appel non pas à un principe mystérieux, mais à "d'autres lois physiques".
Comme l'écrivait déjà Erwin Schrödinger en 1944 :
 
"[…] tout ce que nous avons appris au sujet de la structure de la matière vivante doit nous préparer à la voir fonctionner d'une manière irréductible aux lois ordinaires de la physique. Et cela n'est pas dû à l'existence d'une "nouvelle force" ou autre invention qui règlerait le comportement des atomes isolés au sein d'un organisme vivant, mais parce que la construction est différente de tout ce que nous avons examiné jusqu'ici dans les laboratoires de physique"[11].
 
→ cf. texte de Gould, Le sourire du flamand rose,p. 412.
 
En fait, le vivant se trouve à nouveau assimilé à une machine, mais c'est le concept de machine lui-même qui a changé. Apparaissent en effet des "machines organisées", lesquelles font intervenir les notions de contrôle, de feedback, de traitement d'information quantifiée ; etc.
Ainsi, comme l'écrit Atlan : "Le concept de système auto-organisateur est apparu comme une façon de concevoir les organismes vivants sous la forme de machines cybernétiques à propriétés particulières"[12].
La structure vivante, à quelque niveau que l'on se situe, n'est plus une machine tout juste bonne à obéir à des ordres extérieurs ; elle est capable d'auto-organisation et de reproduction.
 
Un premier niveau de cette "auto-organisation" est celui de l'autorégulation et peut être appuyé par le chapitre 15 de la partie 4 du programme de SVT en 1ère, lequel s'intitule : "L'homéostat glycémique".
 
 On constate que la glycémie (c'est-à-dire le taux de glucose dans le sang) reste constante malgré les variations des apports alimentaires (qui apportent du glucose et devraient donc logiquement augmenter la glycémie) et celles de la consommation du glucose par les cellules (qui devrait à l'inverse faire diminuer la glycémie). Chez un sujet en bonne santé, elle est d'environ 1 g.l-1.
 Cette homéostasie[13] glycémique est en fait due à l'action d'un système réglant. Toute augmentation de la glycémie due à un apport par la nourriture est compensée par une mise en réserve dans certains tissus de l'organisme : le foie, les muscles squelettiques et le tissu adipeux. Inversement, toute diminution de la glycémie est compensée par la libération de glucose par les cellules contenant des réserves.
Comment ce système réglant fonctionne t-il ?
Sans entrer dans les détails, l'idée à retenir est qu'il s'agit ici d'un contrôle hormonal. Deux hormones sont impliquées dans la régulation de la glycémie : l'insuline et le glucagon.
Ces deux hormones sont sécrétées dans le plasma sanguin ; elles sont ainsi transportées par le flux sanguin dans l'ensemble de l'organisme. Le message hormonal est codé par la concentration plasmatique de l'hormone sécrétée (par l'intermédiaire de récepteurs spécifiques à ces deux hormones). L'insuline a un effet hypoglycémiant, c'est-à-dire qu'elle a pour fonction de réduire le taux de glucose dans le sang : elle provoque l'entrée de glucose dans les différentes cellules où est stocké le glucose. À l'inverse, le glucagon a un effet hyperglycémiant : il provoque la dégradation du glycogène contenu dans les hépatocytes qui libèrent du glucose.
 
En résumé : quand le taux de glycémie est élevé, il y a sécrétion d'insuline, ce qui va déclencher le stockage du glucose, et donc la baisse de la glycémie. Cette baisse de la glycémie, si elle atteint un certain seuil, va à son tour entraîner la sécrétion de glucagon, lequel va causer la libération de glucose. Cette libération de glucose va entraîner une augmentation de la glycémie, laquelle en atteignant un certain seuil va provoquer la sécrétion d'insuline, etc.
 
Hausse du taux de glycémie → sécrétion d'insuline → stockage du glucose → baisse du taux de glycémie → sécrétion de glucagon → libération de glucose → hausse du taux de glycémie → etc.
 
            On a donc là un parfait exemple de système auto-régulant. Ce système fonctionne par un processus dit de feedback (ou de rétrocontrôle). Cela signifie qu'un premier phénomène a une influence sur un deuxième phénomène, lequel va à son tour influencer le premier phénomène, et ce dans un mouvement continu (on pourrait presque parler de rapport dialectique).
 
 Une nouvelle question se pose alors : qu'est-ce qui différencie une machine artificielle d'une machine naturelle ?
les êtres vivants ont un programme interne, alors que les machines, comme par exemple les ordinateurs, ont un programme externe.
 
 Cependant, comment expliquer le programme lui-même ? C'est la théorie de l'évolution et la génétique qui vont permettre de répondre à cette question. Il va falloir alors introduire la question du temps dans l'explication des phénomènes biologiques.
 
 
Un processus téléonomique ne fonctionne pas en vertu de causes finales alors même qu'il en a l'air, alors même qu'il semble orienté vers la réalisation de formes qui n'apparaîtront qu'à la fin du processus (lors de l'ontogenèse). Ce qui le détermine en fait ce ne sont pas ces formes comme causes finales, mais la réalisation d'un programme, comme une machine programmée dont le fonctionnement semble orienté vers la réalisation d'un état futur, alors qu'il est en fait déterminé causalement par la séquence d'états où le programme préétabli la fait passer. Le programme lui-même, contenu dans le génome caractéristique de l'espèce, est le résultat de la longue évolution biologique où, sous l'effet simultané de mutations et de la sélection naturelle, il se serait transformé en s'adaptant aux conditions du milieu.
 
 
 
 
II.                L'évolution des êtres vivants
 
"Rien n'a de sens en biologie qu'à la lumière de l'évolution."
 
Theodosius Dobzhansky, n, 1966, p. 118.
 
 Le problème laissé ouvert par Darwin, c'est l'explication à la fois de l'hérédité et de la variabilité organique. C'est la génétique, à partir des découvertes de Mendel (1822-1884) qui va permettre la résolution de ce problème. Darwinisme et génétique vont ainsi donner naissance à ce que l'on appelé le néo-darwinisme ou encore la théorie synthétique de l'évolution.
 
 
-         La variabilité de l'ADN
 
 Chez tous les êtres vivants, les caractères biologiques de l'individu et de l'espèce sont déterminés par les gènes qui constituent le génome. Certains caractères, comme les groupes sanguins, dépendent étroitement des gènes ; d'autres, comme le poids ou la taille, dépendent aussi des facteurs de l'environnement. D'autres enfin, sont exclusivement d'origine culturelle (habillement, langue, accent…). Au sein d'une espèce, un gène peut exister sous plusieurs formes : les allèles. Lorsqu'il n'est pas issu d'une multiplication végétative, chaque individu est unique : il possède une combinaison originale d'allèles de chaque gène de son espèce.
 Au sein d'une espèce donnée, la plus grande partie de l'information génétique est commune à tous les individus (les individus ont le même nombre de chromosomes, sauf anomalie, et possèdent les mêmes gènes) ; cette information commune permet la réalisation des caractères de l'espèce.
 Mais chaque individu présente des caractères propres. En effet, chacun des caractères biologiques d'un individu (son phénotype) dépend de la combinaison particulière des allèles des différents gènes (génotype) gouvernant ce caractère. Or, les allèles d'un même gène diffèrent par des variations dans la séquence de leurs nucléotides. Cette combinaison provient pour moitié des chromosomes d'origine paternelle, pour moitié de ceux d'origine maternelle réunis lors de la fécondation.
 
 Au sein d'une espèce, l'ADN de chaque individu possède ses variantes propres. Ces variations portent sur des parties non codantes ou codantes de l'ADN. Dans la population, un grand nombre de gènes existent sous des formes allèles différentes : il y a polyallélisme.
 Le polyallélisme génère un grand nombre de combinaisons génotypiques. Au sein d'une espèce le polyallélisme (pour un gène) et la diversité génétique souvent supérieure au nombre d'individus de cette même espèce. De ce fait, chaque organisme est unique, aussi bien génétiquement que phénotypiquement.
 
Mais comment expliquer la diversité allélique ?
Ce sont les mutations qui permettent de l'expliquer.
 
-         L'origine de la diversité des allèles : les mutations
 
 Une mutation est une modification de la séquence de l'ADN, qui peut consister en une insertion (addition), une délétion ou une substitution d'un nucléotide. Ces modifications font naître de nouveaux allèles qui viennent enrichir la collection des allèles de la population. Les conséquences peuvent alors être nulles (on parle alors de mutations neutres) ou au contraire très importantes. En effet, une mutation peut ne pas entraîner de modification du phénotype à l'échelle de la cellule ou de l'organisme (modification de la séquence primaire de la protéine n'affectant pas sa configuration spatiale et donc sa fonction biologique). Le phénotype moléculaire lui-même peut ne pas être affecté (mutation aboutissant à un triplet "synonyme" codant le même acide aminé : redondance du code génétique). Mais à l'inverse, elles peuvent aboutir à des transformations brusques des organismes, en particulier si les mutations affectent les gènes dits du développement (encore appelés gènes homéotiques ou gènes architectes). Les mutations retentissent donc à des degrés divers sur les molécules, les cellules, l'organisme.
Les mutations n'affectent pas uniquement les allèles ; elles affectent aussi les gènes : un nouveau gène apparaît grâce à des duplications-transpositions successives d'un gène ancestral suivies de l'accumulation de mutations indépendantes dans chacune des copies.
Les mutations qui affectent les gamètes se transmettent de génération en génération ; celles affectant d'autres populations cellulaires ne concernent que l'individu.
 
Ce n'est que lorsqu'une mutation affecte les gamètes et le phénotype que la sélection naturelle s'en empare.
Exemple : la phalène du bouleau.
 
Résumé : cf. texte d'Antoine Danchin, Qu'est-ce que la vie ?, L'identité génétique
ou cf. texte François Jacob, Le Darwinisme aujourd'hui, pp 161-163.
 
→ Pour comprendre le vivant, on ne peut donc se contenter de l'étudier en lui-même. Il faut l'étudier en rapport avec un milieu qui le conditionne.
 
 
Sans rentrer dans les détails, je vais essayer de résumer la teneur des quatre chapitres qui constituent cette première partie (il s'agit là encore de s'appuyer sur ce que savent nos élèves, plus que d'acquérir un savoir positif qui nous permettrait d'élaborer notre cours sur le vivant, bien que cette dimension soit elle aussi utile).
 
-         Chapitre 2 : parenté entre vivants actuels et fossiles
 
 Il s'agit ici de faire apparaître les points communs entre les organismes vivant actuellement sur terre, et ceux ayant vécu dans le passé, afin d'établir des liens de parentés grâce à un arbre phylogénétique (arbre qui traduit les relations de parentés entre des êtres vivants, actuels ou fossiles, proches ou éloignés, à la manière d'un arbre généalogique).
Pour ce faire, on peut utiliser des données variées : anatomiques, morphologiques, embryologiques, paléontologiques ou même moléculaires. L'idée essentielle consiste à considérer que tous les organismes qui partagent une même innovation évolutive, l'ont hérité d'un même ancêtre commun chez qui elle est apparue.
 On peut ainsi utiliser les molécules caractérisées par leur séquence : ADN, ARN, protéines. Si une même séquence se retrouve chez deux espèces différentes, on peut en conclure qu'elles ont un ancêtre en commun. Plus l'homologie moléculaire sera grande, (c'est-à-dire plus il y a de ressemblances dans les séquences comparées) plus la parenté entre les deux organismes sera importante.
 Les données paléontologiques (fossiles) permettent elles aussi, même si les difficultés sont nombreuses en raison de la rareté de celles-ci, mais aussi de leur nature (seules les parties "dures" d'un organisme peuvent être fossilisées), de placer les êtres vivants éteints sur un arbre phylogénétique.
 
-         Chapitre 3 : la lignée humaine
 
 Ce chapitre est consacré à l'étude plus spécifique de l'évolution humaine. Là encore, peu de choses directement exploitables pour le cours.
 
-         Chapitre 4 : Stabilité de l'espèce, diversité des individus
 
 Ce chapitre commence à aborder les processus qui ont permis l'évolution, en analysant une double dimension : la stabilité de l'espèce, et l'unicité de l'individu.
 
 La stabilité de l'espèce est marquée par le maintien du caryotype[14] au cours des générations successives, et elle est assurée par la méiose[15] et la fécondation.
 L'unicité de génétique de l'individu est quant à elle assurée par le polymorphisme génique. En effet, chaque individu est hétérozygote pour un grand nombre de gènes, et représente ainsi une association unique de gènes de l'espèce, n'ayant jamais existé auparavant et qui n'existera jamais dans l'avenir[16].
Chaque individu est donc unique du point de vue génétique, ce qui justifie l'expression : "unicité de l'individu" (le génome d'un organisme est donc une construction éphémère qui disparaît définitivement avec lui).
 
-         Chapitre 5 : Innovations génétiques et évolution
 
 C'est dans ce chapitre que sont précisément traités les mécanismes explicatifs de l'évolution des êtres vivants. Il reprend en fait l'essentiel des théories rassemblées sous le terme de "néodarwinisme". Ce chapitre est donc fondamental car il offre au philosophe les outils indispensables au traitement d'un chapitre sur l'évolution des êtres vivants (chapitre qui à mon sens ne saurait manquer dans un cours philosophique sur le vivant). Je vais essayer de faire apparaître les idées essentielles.
 
 Pour qu'une évolution des espèces, fondée sur la sélection naturelle, soit possible, il faut trois choses :
 
  1. Une variation. Il doit exister une variation des différents traits morphologiques parmi les membres d'une même population.
  2. Une hérédité. Ces variations morphologiques doivent pouvoir être transmises à la descendance (c'est ce qui est rendu possible par les mécanismes de la reproduction).
  3. Un succès reproductif différencié. Les différents organismes doivent laisser un nombre différent de descendants.
 
 
 La variation trouve son origine dans le fait qu'il existe au sein d'une population d'être vivants à la fois un polyallélisme et un polymorphisme. Polyallélisme signifie qu'il existe plusieurs allèles d'un même gène. Polymorphisme signifie que pour un gène donné, il existe au moins deux de ses allèles dont la fréquence dans la population est supérieure à 1 %.
 Ce polyallélisme est la conséquence de mutations ; en effet, un allèle provient toujours d'un allèle préexistant qui a muté.
 
 La mutation est un phénomène cellulaire. En tant que telles, elle peut affecter aussi bien les cellules germinales que les cellules somatiques. Mais seules les mutations germinales (affectant les cellules à l'origine des gamètes) sont susceptibles de se transmettre à la descendance et donc de faire évoluer le pool génétique[17] des populations de l'espèce. Les mutations somatiques ne concernent que l'individu chez qui elles apparaissent.
 L'hérédité s'explique donc par le fait qu'une mutation qui affecte une cellule germinale, pourra être transmise à la descendance.
 
Remarque : nous avons affaire ici à la réfutation de la fameuse "hérédité des caractères acquis" défendue par Lamarck (et accessoirement par Darwin) et remise en cause seulement au début du XXe siècle par August Weismann (rappelons que selon l'hérédité des caractères acquis, un individu pouvait transmettre à sa descendance un changement morphologique qu'il aurait acquis au cours de sa vie).
 Soulignons au passage l'intérêt qu'il y aurait à voir réapparaître un enseignement de l'histoire des sciences digne de ce nom, car cela éviterait sans doute à nos élèves d'avoir une image par trop caricaturale du progrès scientifique (ce dont on ne peut leur tenir rigueur actuellement car cette caricature est trop souvent véhiculée par les enseignements scientifiques eux-mêmes, et en particulier les manuels scolaires).
 
Les mutations germinales, source de l'innovation génétique, sont au moins au nombre de trois :
 
les mutations ponctuelles qui affectent la séquence des nucléotides (par substitution, délétion ou insertion de nucléotides) et les duplications (ici, c'est un gène entier qui est dupliqué au cours de la méiose).
les duplications d'un gène (quand plusieurs copies d'un même gène sont effectuées)
la mutation d'un gène du développement (appelés aussi gènes régulateurs ou "architectes", ce sont eux qui contrôlent l'ontogenèse). Ce sont ces mutations qui peuvent entraîner les plus importants changements dans l'organisation anatomique et morphologique de l'organisme adulte.
 
Une fois apparue, une innovation génétique (nouvel allèle ou nouveau gène) peut se répandre ou non dans une population suivant qu'elle confère ou non une plus grande capacité de survie ou de reproduction : c'est la sélection naturelle (à moins de se lancer dans une réflexion épistémologique sur le concept de sélection naturelle, on peut considérer que ce concept central de la théorie de l'évolution est bien maîtrisé par les élèves et donc ne pas s'y attarder).
 Il existe cependant des mutations neutres qui échappent à la sélection naturelle, et qui peuvent, de façon aléatoire, se répandre dans une population ou disparaître (c'est ce qu'on appelle la "dérive génétique").
→ cela peut être prétexte à une intéressante réflexion sur la notion de progrès telle qu'elle a tendance à s'exprimer à travers la théorie de l'évolution (même si, rappelons-le, des mutations neutres, ne peuvent à elles seules rendre compte du phénomène évolutif).
 
Remarque : il pourrait être intéressant de faire un lien avec le darwinisme social de Galton par exemple et sa réfutation par Darwin lui-même.
 
 
 
III.             Les êtres vivants et leur milieu
 
Le rapport des êtres vivants avec leur milieu
 
 Comme nous l'avons signalé plus haut, le phénotype s'exprime à différentes échelles : de l'organisme à la molécule. Il résulte de l'expression du génome[18]. Les phénotypes observés résultent à la fois de l'expression d'un ou plusieurs gènes et de l'environnement. En effet, l'environnement peut moduler l'expression des gènes et contribuer au développement de certaines maladies.
 
1ère idée : à un même phénotype peuvent correspondre des génotypes[19] différents.
 
Un phénotype moléculaire donné dépend de l'expression des différents gènes qui s'expriment dans la voie métabolique qui conduit à cette molécule. À un phénotype peut donc correspondre plusieurs génotypes.
Les diploïdes possèdent deux allèles pour un même gène :
-         si les deux allèles sont les mêmes, il est homozygote pour ce gène ;
-         si les deux allèles sont différents, il est hétérozygote pour ce gène.
 
Le caractère qui s'exprime dans le phénotype lorsqu'il est présent en deux versions est dit récessif. Celui qui s'exprime dans le phénotype lorsqu'il est présent en une seule version est dit dominant.
Si le caractère dominant qui s'exprime est dû à la synthèse d'une enzyme fonctionnelle, un phénotype [A] peut correspondre à deux génotypes .
Le nombre de génotypes augmente avec le nombre de gènes qui interviennent dans la voie métabolique.
 
 
2e idée : les gènes ne suffisent pas à la formation du phénotype.
 
Le noyau d'une cellule contient tous les gènes de l'être vivant. Cependant, tous les gènes ne s'expriment pas en même temps.
 
Chez la levure par exemple, les gènes qui gouvernent la transformation de galactose en glucose ne s'expriment pas : ils ne sont pas transcrits. En présence de galactose, après un délai, ils vont être transcrits et il y aura production d'enzymes.
L'expression de ces gènes nécessite :
-         l'absence du glucose
-         la présence du galactose
 
Ces deux molécules exercent donc plus ou moins directement un contrôle au niveau des gènes, l'un inhibiteur, l'autre activateur. Ce contrôle de l'environnement sur le fonctionnement du génome permet d'adapter le fonctionnement de la cellule aux conditions de l'environnement. L'environnement module donc l'expression des gènes.
 
Autre exemple : celui de certaines maladies.
 
Les rayonnements UV du soleil provoquent chez les êtres vivants des modifications au niveau de l'ADN, ce sont des mutations somatiques[20]. Ces modifications peuvent affecter différents types de gènes et notamment les gènes qui contrôlent le cycle cellulaire.
Ces modifications sont réparées par des protéines qui sont l'expression de plusieurs gènes. Ces gènes réparateurs existent sous plusieurs formes alléliques dont certaines gouvernent l'expression de protéines non fonctionnelles.
Les personnes qui possèdent deux allèles gouvernant l'expression d'une protéine non fonctionnelle ne corrigent donc pas les modifications de l'ADN provoquées par les UV. Elles ont donc une prédisposition génétique à développer des tumeurs sous l'action des UV, ce qui signifie que chez eux les cancers cutanés se développeront plus vite si elles sont exposées aux UV.
On peut donc éviter le développement des tumeurs en les plaçant dans un environnement dépourvu d'UV.
 
De très nombreux gènes qui interviennent dans le fonctionnement cellulaire existent sous différentes formes alléliques. Certaines de ces formes, lorsqu'elles sont présentes à l'état homozygote perturbent gravement le métabolisme cellulaire et interviennent dans la cancérisation des cellules.
Les individus possèdent une de ces formes alléliques dans le génome présentent une prédisposition au développement du cancer. Les cellules de certains organes peuvent se cancériser si les agents de l'environnement (fumées, substances résultant de la transformation des aliments) provoquent la mutation de l'autre allèle du gène.
D'autres substances présentes dans le milieu environnant vont au contraire s'opposer aux mutations induites par ces facteurs : c'est le cas de certaines vitamines.
 
 
-         Le chapitre 11 du programme de SVT, intitulé "La diversité morphologique des végétaux", ainsi que le chapitre 14 "Le développement du végétal sous l'influence des hormones et de l'environnement" peuvent eux aussi servir de base au traitement du rapport entre les êtres vivants et leur milieu.
 
 On y montre que la morphologie d'un végétal dépend en partie des caractéristiques de l'espèce. Mais en fonction de leur environnement, des individus d'une même espèce peuvent avoir une morphologie différente (exemple de facteur environnemental qui affecte la croissance du végétal : l'ensoleillement).
De même, des réponses morphologiques semblables peuvent être obtenues avec des végétaux d'espèces différentes placés dans un même environnement (on parle alors de convergence morphologique).
Conclusion là encore : les différences morphologiques sont déterminées par des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux.
 
 
-         Le fonctionnement du système nerveux est un dernier exemple sur lequel on peut s'appuyer afin de réfléchir sur le rapport entre les êtres vivants et leur milieu.
 
Ici, c'est le chapitre 19 du programme de SVT qui peut être invoqué. Il montre en effet que notre cerveau se forme certes sous la dépendance de nos gènes, mais qu'il possède aussi et surtout une plasticité qui lui permet de se développer en fonction de l'environnement. Pour de plus amples informations, cf. infra "La matière et l'esprit".
 
Définir la notion d'écosystème.
 
 Cette idée qu'il existe une "subjectivité" vitale est une idée qui avait déjà été développée par le biologiste allemand Jakob von Uexküll.
 La démarche de von Uexküll s'inscrit d'abord dans une réfutation de la vision mécaniste du vivant, vision qui, selon lui, reste aveugle à ce que la vie offre de réellement spécifique. Comme il l'exprime clairement dans l'Avant-propos de son livre Mondes animaux et monde humain :
 
"Quiconque veut s'en tenir à la conviction que les êtres vivants ne sont que des machines, abandonne l'espoir de jamais porter le regard dans leur monde vécu".
 
 Le biologiste ne peut donc pas s'en tenir à la conception du physiologiste :
 
"Pour le physiologiste, tout être vivant est un objet, une chose, qui se trouve dans son propre monde humain. Il examine les organes de l'être vivant et la combinaison de leurs actions, comme un technicien examinerait une machine qui lui serait inconnue. Le biologiste en revanche se rend compte que cet être vivant est un sujet qui vit dans son monde propre dont il forme le centre. On ne peut donc pas le comparer à une machine, mais au mécanicien qui dirige la machine[21]".
 
L'animal n'est pas une machine, c'est un mécanicien qui "dirige une machine", un être qui perçoit et agit. Pour Uexküll, la conception mécaniste a pour faiblesse de transformer les animaux en choses, alors qu'il faut voir en eux de véritables sujets, "dont l'activité essentielle réside dans l'action et la perception". Cette dernière idée amène Uexküll à faire la distinction entre ce qu'il appelle le monde de perception (Merkwelt, que l'on traduit parfois par "monde perçu" ou "monde noté"), c'est-à-dire la somme des stimuli possibles pour l'animal (tout ce qu'il est capable de percevoir par l'intermédiaire de ses sens), et le monde d'action (Wirkwelt), c'est-à-dire tout ce qu'il fait, grâce à ses différents organes. C'est la réunion de ces deux mondes qui va donner sa réalité au concept de milieu :
 
"Monde d'action et monde de perception forment ensemble une totalité close, le milieu [Umwelt], le monde vécu [Lebenswelt][22]".
 
→ Cf. texte de Jakob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, 1956, pp. 13-15 et 25.
→ Cf. texte de Richard C. Lewontin, La triple hélice : Les gènes, l'organisme, l'environnement, pp. 58-60, pp. 63-64, p. 66 et pp. 67-68.
 
Ce milieu, Uexküll le compare à une bulle de savon, dont l'animal serait le centre, et qui se remplirait de toutes les caractéristiques accessibles à celui-ci, tout ce qui "lui apparaît". Étant donné que chaque espèce possède une organisation qui lui est propre (ses "structures a priori", qu'il s'agisse des récepteurs sensoriels ou des effecteurs), chaque espèce évolue donc dans un environnement unique, qui la caractérise.
 
 À ce niveau, il apparaît important de faire la remarque suivante : Uexküll ne nie pas que les phénomènes vitaux se fondent sur des processus physico-chimiques. Tout comportement organique consiste bel et bien en effets objectivement observables, physiques ou chimiques. Mais en rester là, c'est ne pas voir le problème que constituent les phénomènes vitaux, car dans ceux-ci :
 
"Nous n'avons pas affaire à un échange de forces entre deux objets, mais aux relations entre un sujet vivant et son objet[23]".
 
Uexküll n'est donc pas un vitaliste au sens propre du terme, il considère simplement que l'étude des êtres vivants ne peut se faire à un niveau purement physico-chimique.
 
 Afin de rendre cette théorie plus explicite, il est utile de reprendre l'exemple de la tique, qui est l'exemple le plus connu et le plus parlant de ceux qu'utilise Uexküll.
 
 La tique se nourrit uniquement du sang chaud des mammifères, et sa vie se résume à un schéma très simple. Une fois fécondée, la femelle adulte grimpe jusqu'à l'extrémité d'un rameau d'arbre, à une hauteur suffisante pour se laisser tomber sur les mammifères de passage. Alors qu'elle ne possède pas d'yeux, c'est une sensibilité générale de sa peau à la lumière qui lui permet de trouver le chemin de son poste de garde. Ainsi perchée, la tique n'a plus qu'à attendre. Elle peut attendre jusqu'à dix-huit ans, comme l'ont démontré des expériences effectuées à l'Institut zoologique de Rostock (des tiques sont en effet restées en état de jeûne durant toute cette période). Ce n'est que lorsqu'un mammifère passe sous l'arbre que la tique se laisse tomber. Ce qui la guide alors, étant donné qu'elle est aveugle et sourde, c'est l'odeur de beurre rance de l'acide butyrique émanant des glandes cutanées de l'animal (l'odeur de transpiration). Cette odeur agit sur elle comme un signal, et déclenche le comportement de chute. Mais ce qu'il est important de noter, c'est que c'est le seul signal qui amène la tique à descendre de son perchoir. Lorsqu'elle est tombée sur l'animal, elle s'y fixe. Si on a produit artificiellement l'odeur de beurre rance, sur une table par exemple, la tique n'y reste pas, elle remonte sur son poste d'observation. Ce qui la fixe sur l'animal, c'est la température du sang, uniquement. Ici, c'est donc son sens thermique qui entre en jeu, puis, guidée par son sens tactile, elle cherche de préférence les endroits de la peau qui sont dépourvus de poils, elle s'y enfonce jusqu'au-dessus de la tête, et se gorge alors de sang. C'est seulement au moment où dans son estomac, pénètre du sang de mammifère, que les oeufs de la tique (encapsulés depuis le moment de l'accouplement, et qui peuvent donc rester encapsulés pendant dix-huit ans), éclatent, mûrissent et se développent. La tique se laisse alors mourir.
Ce qui est extraordinaire, c'est que la tique peut vivre dix-huit ans pour accomplir en quelques heures sa fonction de reproduction. Il est à remarquer que, pendant un temps considérable, l'animal peut rester totalement indifférent, insensible à toutes les excitations qui émanent d'un milieu comme la forêt, et que la seule excitation qui soit capable de déclencher son mouvement, à l'exclusion de tout autre, c'est l'odeur de beurre rance.
 
 Ce que montre l'exemple de la tique, c'est que tous les phénomènes ne sont pas pris en compte par l'animal. Seuls ceux qui ont une signification pour lui seront distingués et reconnus, les autres n'ayant pour ainsi dire, pas d'existence tangible :
 
"Tout objet qui entre dans l'orbite d'un milieu est modulé et transformé jusqu'à ce qu'il devienne un porteur de signification utilisable, ou bien reste totalement négligé[24]".
 
 Ici, Uexküll distingue l'entourage de l'animal (Umgebung), son environnement géographique banal ou "objectif" (il s'agit en fait de notre propre monde humain), et le milieu de l'animal, c'est-à-dire l'ensemble des choses qui, au sein de cet entourage, font sens pour cet animal. Le milieu doit donc être considéré comme un prélèvement électif dans l'environnement géographique.
 En fait, le milieu est composé de ce que Uexküll appelle des "porteurs de signification" (l'animal étant quant à lui un "récepteur de signification"). Si on reprend l'exemple de la tique, parmi les centaines d'effets qui proviennent du corps des mammifères, seuls trois sont des porteurs de caractères perceptifs pour celle-ci : l'odeur de beurre rance, le corps dur du mammifère, qui indique à la tique qu'elle a atteint sa cible, et la chaleur dégagée par celui-ci, (on pourrait en fait y rajouter l'arbre, ou le buisson, sur lequel monte la tique après fécondation). Cependant, un porteur de signification ne se limite pas à son caractère perceptif ; il possède aussi un "caractère actif". Comme l'écrit Uexküll :
 
"Pour parler par images, chaque sujet animal enserre son objet dans les deux branches d'une pince – une branche perceptive et une branche active. Avec l'une, il attribue un caractère perceptif à l'objet et avec l'autre, un caractère actif. Ainsi certaines particularités de l'objet seront porteuses de caractères perceptifs et d'autres de caractères actifs"[25].
 
C'est ce qui amène Uexküll à parler de "cercles fonctionnels".
 
Les cercles fonctionnels :
 
 Alors que pour le physiologiste, le comportement de l'animal s'explique en termes de réflexes, von Uexküll considère qu'il ne peut se comprendre qu'en termes de cercles fonctionnels. Un cercle fonctionnel commence toujours par une perception et se finit toujours par une action.
 
"Ainsi chaque action, avec sa composante perceptive et active, imprime sa signification à tout objet neutre et en fait dans chaque milieu un porteur de signification rattaché au sujet.
Étant donné que chaque action commence par la production d'un caractère perceptif et se termine en conférant un caractère actif au même porteur de signification, on peut parler d'un cercle fonctionnel qui relie le porteur de signification au sujet.
 Les cercles fonctionnels les plus importants par leur signification et qui se rencontrent dans la plupart des milieux sont : le cercle écologique, celui de la nourriture, celui de l'ennemi, et celui du sexe[26]".
 
On obtient le schéma suivant dans la relation entre l'objet et le sujet : l'objet est porteur de caractères perceptifs que le sujet (compris comme récepteur) reçoit par l'intermédiaire d'un organe perceptif. Cet organe perceptif va alors agir sur un organe actif qui va se transformer en effecteur, et donc produire l'action. L'objet devient alors porteur de caractères actifs.
 
"Nous pouvons donc en conclure que chaque cellule vivante est un mécanicien qui perçoit et agit, qu'elle possède par conséquent ses propres caractères perceptifs et impulsions ou "caractères actifs". La perception et l'action complexes de l'ensemble d'un sujet animal se ramènent ainsi à la collaboration de petits mécaniciens cellulaires, dont chacun ne dispose que d'un signal perceptif et un signal d'action"[27].
 
La signification n'existe pas en soi ; elle résulte d'un rapport entre l'action d'un sujet et les objets de son milieu. Elle dépend par conséquent du point de vue de l'animal. Autrement dit, c'est le sujet qui confère un sens aux choses. Comme le dit Canguilhem :
 
"[…] le propre du vivant, c'est de se faire son milieu, de se composer son milieu[28]".
 
Non seulement, comme nous l'avons déjà dit, chaque espèce possède son propre milieu, mais plus fondamentalement, chaque animal possède aussi son propre milieu :
 
"Chaque milieu constitue une unité fermée sur elle-même, dont chaque partie est déterminée par la signification qu'elle reçoit pour le sujet de ce milieu. Selon sa signification pour l'animal, la scène où il joue son rôle vital englobe un espace plus ou moins grand, dont les lieux sont entièrement dépendants, en nombre et en grandeur, du pouvoir discriminatif des organes sensoriels de cet animal[29]".
 
Le milieu de chaque sujet possède donc des caractéristiques qui lui sont propres, et possède une complexité variable. On pourrait dire par exemple que le milieu de la tique, ramené à trois porteurs de signification, est extrêmement pauvre. Mais comme l'écrit Uexküll :
 
"La richesse du monde qui entoure la tique disparaît et se réduit à une forme pauvre qui consiste pour l'essentiel en trois caractères perceptifs, et trois caractères actifs – son milieu. Mais la pauvreté du milieu conditionne la sûreté de l'action, et la sûreté est la plus importante des richesses[30]".
 
Ce qui compte, ce n'est pas la richesse du milieu ; ce qui compte, c'est l'adaptation du sujet à son milieu. C'est là "la première proposition fondamentale de la théorie des milieux" :
 
"tous les sujets animaux, les plus simples comme les plus complexes, sont ajustés à leur milieu selon la même perfection. À l'animal simple correspond un milieu simple, à l'animal complexe, un milieu richement articulé[31]".
 
De plus, il faut bien avoir à l'esprit qu'un milieu n'est pas quelque chose de fixe. Certes, pour les organismes très simples, le milieu demeure pauvre et rigide, mais pour les organismes plus développés, capables notamment d'expérience, le milieu évolue :
 
"Avec le nombre des actions possibles d'un animal, croît également le nombre des objets qui peuplent son milieu. Il s'accroît au cours de la vie individuelle de tout animal capable de réunir des expériences. En effet, toute nouvelle expérience entraîne de nouvelles attitudes face à de nouvelles impressions. De nouvelles connotations d'activité servent alors à créer de nouvelles images actives[32]".
 
Le milieu s'enrichit donc avec le temps.
 
Tout milieu est dans son essence subjectif.
 
"Il existe donc dans les milieux des réalités purement subjectives. Mais les réalités objectives de l'entourage ne pénètrent pas non plus comme telles dans le milieu. Elles sont toujours transformées en caractères ou en images perceptifs, et dotées d'une connotation d'activité qui en fait de véritables objets, bien que les stimulants en tant qu'excitations physiques ne comportent pas de connotation d'activité[33]".
 
"Nous arrivons donc à la conclusion que chaque sujet vit dans un monde où il n'y a que des réalités subjectives et où les milieux mêmes ne représentent que des réalités subjectives.
 Quiconque conteste l'existence de réalités subjectives, méconnaît du même coup les fondements de son propre milieu[34]".
 
 
 
IV.              Les aspects éthiques des sciences du vivant
 
Claude Bernard :
 
"On a le devoir et par conséquent le droit de pratiquer sur l'homme une expérience toutes les fois qu'elle peut lui sauver la vie, le guérir ou lui procurer un avantage personnel."
 
 
 
 
 
Conclusion
 
 Il est possible d'expliquer le vivant. Une réponse négative reviendrait d'ailleurs à rendre caduque l'étude scientifique du vivant, et donc la biologie. Or, cette dernière n'a cessé d'aller de succès en succès au cours de son histoire, et particulièrement au 20e siècle. Cependant, que l'on puisse expliquer les phénomènes vitaux n'implique pas que cette explication puisse se faire à l'image des explications physiques. Si la biologie a le soucis de l'objectivité tout comme la physique, son objet lui est propre et possède des spécificités qui empêchent une réduction complète du biologique au physique. De par leur organisation, les êtres vivants font apparaître des propriétés nouvelles qui, si elles continuent de reposer sur des phénomènes purement physico-chimiques, n'en demandent pas moins la formation de concepts nouveaux, comme par exemple ceux de téléonomie, d'auto-organisation, de liberté et même de subjectivité.
 C'est pourquoi, s'il n'y a plus de différence de nature entre êtres non-vivants et êtres vivants, une coupure épistémologique demeure, car on ne pose pas les mêmes questions à un atome et à une amibe. C'est ce qui fait que la biologie conservera toujours sa spécificité, malgré les victoires toujours plus importants du réductionnisme.


[1] Mécanique quantique : Une introduction philosophique, pp. 15-16.
[2] Mécanique quantique : Une introduction philosophique, p. 16.
[3] La logique du vivant, coll. tel Gallimard, p. 320.
[4] The Nature of Life, Academic press, 1948, p. 9.
 
[5] Éloge de la fuite, p. 20.
[6] Le hasard et la nécessité, Chapitre 1, p. 19.
[7] Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, p. 104.
[8] La science est-elle inhumaine ? Essai sur la libre nécessité, Bayard, Paris, 2002, pp. 11-14.
[9] Qu'est-ce que la vie ? Ouvrage commun sous la direction d'yves Michaud, 2000, Paris, Odile Jacob, p. 66.
[10] La cybernétique désigne, dans son sens moderne, la science générale de la régulation et des communications dans les systèmes naturels et artificiels.
[11] Qu'est-ce que la vie ?, p. 181.
[12] Entre le cristal et la fumée, p. 24.
[13] Homéostasie : terme inventé en 1929 par W. B. Cannon pour désigner la faculté propre aux êtres vivants de maintenir et l'équilibre de leur milieu interne et celui de leurs rapports avec le monde extérieur.
[14] Caryotype : C'est l'étude de la formule chromosomique (le nombre et la forme structurale des chromosomes) contenue dans les cellules d'un être vivant. Chez l'être humain, la formule chromosomique normale correspond à 23 paires de chromosomes (soit 46 chromosomes) divisées en :
- 22 paires chromosomes appelées (autosomes, ils ne déterminent pas le sexe), numérotées de 1 à 22 et classées en 7 groupes de A à G ;
- 2 chromosomes sexuels (gonosomes, ils déterminent le sexe de l'individu), ce sont les chromosomes X et Y, la présence du chromosome Y caractérise le sexe mâle.
[15] Méiose : ensemble de deux divisions successives et inséparables avec une seule réplication de l'ADN précédant la première division. Elle fait passer le nombre de chromosomes par cellule de 2n à n. Elle distingue de la mitose : étape de la division cellulaire correspondant à la division du noyau, chez les cellules non sexuelles. Lors de ce phénomène, il y a réplication de l'ADN (des chromosomes), permettant ainsi aux cellules filles d'avoir une copie du jeu de chromosomes de la cellule mère.
[16] Cette affirmation ne vaut pas théoriquement. En effet, rien n'empêche d'un point de vue statistique que deux individus se retrouvent avec les mêmes gènes. Mais la probabilité est tellement faible (proche de zéro) qu'on peut légitimement la négliger.
[17] Pool génétique : c'est la somme des génotypes individuels pour chacun des gènes.
[18] Génome : désigne l'ensemble de l'ADN présent dans le noyau de chacune des cellules d'un organisme.
[19] Génotype : le génotype d'un individu est l'information génétique portée par ses gènes, qu'elle soit ou non exprimée sous forme de protéines. Tous les êtres humains ont le même génome, mais ils n'ont pas le même génotype (sauf les vrais jumeaux).
[20] Mutation somatique : mutation qui affecte une cellule du corps et non pas une cellule germinale. Elle n'est pas héréditaire.
≠ Mutation germinale : mutation qui affecte une cellule germinale c'est-à-dire un gamète. Ce type de mutation est héréditaire.
[21] Mondes animaux et monde humain, p. 19.
[22] Ibid., pp. 14-15.
[23] Ibid., p. 25.
[24] Ibid., p. 99.
[25] Ibid., p. 23.
[26] Mondes animaux et monde humain, p. 100.
[27] Ibid., p. 100.
[28] La connaissance de la vie, p. 143.
[29] Mondes animaux et monde humain, p. 98.
[30] Ibid., p. 26.
[31] Ibid., p. 24.
[32] Ibid., p. 62.
[33] Ibid., pp. 84-85.
[34] Ibid., p. 85.
[35] Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Deuxième partie, Chapitre deux, § 3, p. 152.

Date de création : 15/06/2012 @ 15:46
Dernière modification : 16/06/2012 @ 11:17
Catégorie :
Page lue 18043 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^