"Le terme « langage » possède une acception très large qui s'applique à tout mode de communication entre des individus d'une même espèce ou appartenant à des espèces différentes. C'est ainsi que la célèbre « danse des abeilles », mise en évidence par Karl von Frisch devient le « langage des abeilles ». On parle du langage sexuel des phéromones, du langage des attitudes du corps, du langage des mimiques, etc. On utilise également le mot « langage » à propos de la diversité des modes d'expression artistique des cultures humaines. Les « langages » forment ainsi un large spectre qui recouvre tout l'éventail des relations entre signifiants et signifiés, des communications par signes ou utilisant des symboles. Nous ne nous intéresserons ici qu'au langage articulé.
Nous pouvons néanmoins donner une définition simple du mot « langage » en nous référant à sa fonction : c'est un mode de communication symbolique basé sur des sons articulés - les phonèmes - dont les associations produisent des unités formelles de sens - les morphèmes ou monèmes. La relation structurale entre ces deux niveaux s'appelle « double articulation ». Ces morphèmes donnent des « mots » dont l'ordonnance dans la phrase livre un sens qui dépend de la syntaxe. Celle-ci repose sur une grammaire. Enfin la signification complète ou sémantique dépend en partie du contexte.
Exemple :
Les chimpanzés apprennent le langage par signes des hommes.
Les hommes apprennent le langage par signes des chimpanzés.
Ces deux phrases se composent des mêmes mots. Dans la première, on se réfère aux recherches en laboratoire dans lesquelles des grands singes apprennent un langage à l'aide de gestes ou de symboles dans un échange actif hommes/grands singes ; dans l'autre phrase, on évoque des chercheurs ou des éthologues qui observent passivement les modes de communication des grands singes, au sein de leurs communautés, en semi-captivité ou dans la nature.
Inversement, deux phrases composées de mots qui diffèrent peuvent signifier la même chose.
Exemple :
Le chimpanzé mange la banane.
La banane est mangée par le chimpanzé.
On oublie souvent une autre caractéristique du langage, celle de la prosodie : la même phrase prend un sens différent ou livre des impressions variées selon le rythme, l'intonation, la mélodie, etc. La poésie, le théâtre, la comédie, le chant, l'art lyrique, la dramaturgie, la vie politique, le journalisme en utilisent largement toutes les facettes.
Exemple:
Les chimpanzés ont des cultures !
Les chimpanzés ont des cultures ?
Comme nous nous exprimons ici par le biais de l'écriture, le ton est donné par les points d'exclamation et d'interrogation. Ces deux phrases, semblables, transcrivent des prosodies induisant des sens très distincts. Dans la première, le locuteur donne une information ou confirme une information ; dans la seconde, il est surpris ou émet un doute. On peut s'amuser à construire un échange avec ces deux seules phrases dans un dialogue polémique ne jouant que sur la prosodie.
Une inflexion marquée à un endroit ou à un autre d'une même phrase peut donner des sens radicalement opposés, comme le montre cet exemple célèbre d'un condamné à mort qui attend d'être exécuté ou gracié.
Le monarque envoie le message suivant aux geôliers, avec le soin de placer la virgule, donc l'intonation, à l'endroit qu'ils estiment pertinent :
Exécution impossible remettre.
On voit combien le langage peut être source de malentendus, des plus drôles aux plus dramatiques.
Le langage est un mode de communication très complexe à la fois dans sa conception par l'émetteur et dans sa compréhension par le ou les récepteurs. Il implique le cerveau pour son élaboration et sa compréhension ; et, pour sa production, il mobilise l'appareil phonatoire, c'est-à-dire la cage thoracique, le larynx et la cavité buccale - dont la langue et les lèvres ; et l'appareil auditif pour sa perception."
Pascal Picq, "Les temps de la parole", in Les origines du langage, 2010, Le Pommier, p. 12-16.