"Dans le signe proprement dit, le rapport qui unit le signe à la chose signifiée est arbitraire. L'objet sensible et l'image ne présentent rien par eux-mêmes, mais seulement un contenu étranger avec lequel ils n'ont aucune liaison particulière. Ainsi, dans les langues, les sons articulés expriment toute espèce d'idées et de sentiments ; mais la plus grande partie des mots dont se compose un idiome sont liés, d'une manière tout accidentelle, avec les contenus qu'ils expriment, quoique l'on puisse démontrer historiquement que le rapport des mots et des idées était naturel à l'origine [; et la différence entre les langues consiste principalement dans le fait que la même représentation est exprimée par des sons différents]. Les couleurs nous fournissent un autre exemple ; on les emploie, dans les cocardes et les pavillons, pour indiquer à quelle nation appartient un individu ou un vaisseau. Ces couleurs, en elles-mêmes, ne renferment aucune qualité qui leur soit commune avec l'objet qu'elles désignent, la nation, par exemple. Le signe et la chose signifiée sont ici indifférents l'un à l'autre."
Hegel, Esthétique, 1818-1823, Tome I, Deuxième partie, Introduction, tr. fr. Charles Bénard, Le Livre de Poche, 1997, p. 404.
"Le symbole est avant tout un signe. Mais dans la simple présentation, le rapport qui existe entre le sens et son expression est un rapport purement arbitraire. Cette expression, cette image ou cette chose sensible représente si peu elle-même qu'elle éveille plutôt en nous l'idée d'un contenu qui lui est tout à fait étranger, avec lequel elle n'a, à proprement parler, rien de commun [...]. Un [...] exemple de ces signes nous est fourni par les couleurs, employées dans les cocardes, les drapeaux, etc., pour montrer à quelle nation appartient un individu, un navire, etc. En elle-même, une pareille couleur ne possède aucune qualité qui lui serait commune avec ce qu'elle signifie, c'est-à-dire avec la notion qu'elle est censée représenter. Ce n'est cependant pas à cause de cette indifférence réciproque qui existe entre le signe et l'expression que le symbole intéresse l'art, lequel implique, au contraire et d'une façon générale, un rapport, une parenté, une interpénétration concrète entre signification et forme."
Hegel, Esthétique, 1818-1823, Deuxième volume, Introduction, tr. fr. Samuel Jankélévitch, Champs Flammarion, 1978, p. 12-14.
"Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultat de l'association d'un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire.
Ainsi, l'idée de « sœur » n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quelle autre : à preuve les différences entre les langues et l'existence même de langues différentes : le signifié « bœuf » a pour signifiant b-ö-f d'un côté de la frontière et o-k-s (Ochs) de l'autre.
[…] Tout moyen d'expression reçu dans une société repose en principe sur une habitude collective ou, ce qui revient au même, sur la convention. Les signes de politesse, par exemple, doués souvent d’une certaine expressivité naturelle (qu'on pense au Chinois qui salue son empereur en se prosternant neuf fois jusqu'à terre), n'en sont pas moins fixés par une règle ; c'est cette règle qui oblige à les employer, non leur valeur intrinsèque. On peut donc dire que les signes entièrement arbitraires réalisent mieux que les autres l'idéal du procédé sémiologique ; c'est pourquoi la langue, le plus complexe et le plus répandu des systèmes d’expression, est aussi le plus caractéristique de tous ; en ce sens, la linguistique peut devenir le patron général de toute sémiologie, bien que la langue ne soit qu'un système particulier.
On s'est servi du mot symbole pour désigner le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. Il y a des inconvénients à l’admettre, justement à cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractère de n'être jamais tout à fait arbitraire ; il n'est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié. Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas être remplacé par n'importe quoi, un char, par exemple.
Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n’est pas au pouvoir de l’individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu’il est immotivé; c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité."
Ferdinand de Saussure, Cours de Linguistique générale, 1916, I, Chap. I, §. 1 (« Signe, signifié, signifiant »), éd. Payot, 1978, p. 100-101.
"Ce qui est arbitraire, c'est que tel signe, et non tel autre, soit appliqué à tel élément de la réalité, et non à tel autre. En ce sens, et en ce sens seulement, il est permis de parler de contingence, et encore sera-ce moins pour donner au problème une solution que pour le signaler et en prendre provisoirement congé. Car ce problème n'est autre que le fameux phusei ou thesei[1] et ne peut être tranché que par décret. C'est en effet, transposé en termes linguistiques, le problème métaphysique de l'accord entre l'esprit et le monde, problème que le linguiste sera peut-être un jour en mesure d'aborder avec fruit, mais qu'il fera mieux pour l'instant de délaisser. Poser la relation comme arbitraire est pour le linguiste une manière de se défendre contre cette question et aussi contre la solution que le sujet parlant y apporte instinctivement. Pour le sujet parlant, il y a entre la langue et la réalité adéquation complète : le signe recouvre et commande la réalité ; mieux, il est cette réalité."
Émile Benvéniste, Problèmes de linguistique générale, t. I, Éd. Gallimard, 1966, p. 52.
[1] En grec : "fait de nature ou institution".
"[…] dire qu'Adam nomme les animaux, c'est affirmer la gratuité, la facticité du langage. Adam ne voit pas des noms tout faits, inscrits d'avance. Il n'a pas une science naturelle des mots, l'animal qui passe devant lui n'a pas un nom préalable, par exemple donné par Dieu. Non. Adam nomme, c'est-à-dire qu'il choisit le mot qui lui convient pour désigner tel animal, et ensuite toute autre chose. Il n'y, bibliquement, aucune conaturalité du langage et de l'objet nommé. C'est quand même assez important de souligner que dans un texte du VIIe siècle [avant J.-C.], avant toute réflexion sur le langage, entreprise où que ce soit, on trouve cette affirmation nette : si l'homme est parlant, cela vient de Dieu, mais le langage est fabriqué par l'homme qui se choisit lui-même, arbitrairement, les mots et les règles, la syntaxe. Arbitrairement par rapport à l'objet désigné, mais non arbitrairement en fonction des significations et des structures.
[...]
De toute évidence, le langage est apparu comme arbitraire. Il n'y aucune relation naturelle entre le mot et la chose qu'il désigne. Il n'y a pas une onomatopée reproduisant le bruit de la mer et qui dans le langage désignerait la mer. Il n'y a aucun aboiement qui dans le langage désignerait le loup. Donc le langage est création artificielle, le mot n'est pas la chose, rien de la chose n'est subsumé dans le mot, celui-ci est purement conventionnel, il est appris aux enfants non pas comme une expérience nécessaire pour survivre dans le milieu comme imposition arbitraire d'une convention sociale."
Date de création : 24/09/2012 @ 18:41
Dernière modification : 18/04/2024 @ 14:31
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