"[…] dans toute action, dans tout choix, le bien c'est la fin, car c'est en vue de cette fin qu'on accomplit toujours le reste. Par conséquent, s'il y a quelque chose qui soit fin de tous nos actes, c'est cette chose là qui sera le bien réalisable[1], et s'il y a plusieurs choses, ce seront ces choses là. […]
Puisque les fins sont manifestement multiples, et que nous choisissons certaines d'entre elles (par exemple la richesse, les flûtes et en général les instruments) en vue d'autres choses, il est clair que ce ne sont pas là des fins parfaites, alors que le Souverain Bien est, de toute évidence, quelque chose de parfait. Il en résulte que s'il y a une seule chose qui soit une fin parfaite, elle sera le bien que nous cherchons, et s'il y en a plusieurs, ce sera la plus parfaite d'entre elles. Or, ce qui est digne d'être poursuivi par soi, nous le nommons plus parfait que ce qui est poursuivi pour une autre chose, et ce qui n'est jamais désirable en vue d'une autre chose, nous le déclarons plus parfait que les choses qui sont désirables à la fois par elles-mêmes et pour cette autre chose, et nous appelons parfait au sens absolu ce qui est toujours désirable en soi-même et ne l'est jamais en vue d'une autre chose. Or le bonheur semble être au suprême degré une fin de ce genre, car nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d'une autre chose : au contraire, l'honneur, le plaisir, l'intelligence ou toute vertu quelconque, sont des biens que nous choisissons assurément pour eux-mêmes (puisque, même si aucun avantage n'en découlait pour nous, nous les choisirions encore), mais nous les choisissons en vue du bonheur, car c'est par leur intermédiaire que nous pensons devenir heureux. Par contre, le bonheur n'est jamais choisi en vue de ces biens, ni d'une manière générale en vue d'autre chose que lui-même".
Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 5, 1097 a 20 – 1097 b 7.
[1] Bien réalisable : le bien en soi.
"Il me semble que le Souverain Bien de tous les hommes ensemble est un amas ou un assemblage de tous les biens, tant de l'âme que du corps et de la fortune, qui peuvent être en quelques hommes ; mais que celui d'un chacun en particulier est tout autre chose, et qu'il ne consiste qu'en une ferme volonté de bien faire, et au contentement qu'elle produit. Dont la raison est que je ne remarque aucun autre bien qui me semble si grand, ni qui soit entièrement au pouvoir d'un chacun. Car, pour les biens du corps et de la fortune, ils ne dépendent point absolument de nous ; et ceux de l'âme se rapportent tous à deux chefs, qui sont, l'un de connaître et l'autre de vouloir ce qui est bon ; mais la connaissance est souvent au-delà de nos forces ; c'est pourquoi il ne reste que notre volonté, dont nous puissions absolument disposer. Et je ne vois point qu'il soit possible d'en disposer mieux, que si l'on a toujours une ferme et constante résolution de faire exactement toutes les choses que l'on jugera être les meilleures, et d'employer toutes les forces de son esprit à les bien connaître. C'est en cela seul que consistent toutes les vertus."
Descartes, Lettre à la Reine Christine de Suède, du 20 novembre 1647.
Date de création : 28/10/2012 @ 20:52
Dernière modification : 28/10/2012 @ 20:52
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