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Texte à méditer :  L'histoire du monde est le tribunal du monde.
  
Schiller
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Hors des sentiers battus
Le concept d'espace en science
 "L'espace absolu, de par sa nature, et sans relation à quoi que ce soit d'extérieur, demeure toujours semblable et immobile. [...]
 L'espace relatif est cette mesure ou dimension mobile de l'espace absolu, laquelle tombe sous nos sens par sa relation au corps, et que le vulgaire confond avec l'espace immobile [...].
L'ordre des parties de l'espace est aussi immuable que celui des parties du temps ; car si les parties de l'espace sortaient de leur lieu, ce serait, si l'on peut s'exprimer ainsi, sortir d'elles-mêmes, les temps & les espaces n'ont pas d'autres lieux qu'eux-mêmes, & ils sont les lieux de toutes les choses. Tout est dans le temps, quant à l'ordre de la succession : tout est dans l'espace, quant à l'ordre de la situation. C'est là ce qui détermine leur essence, & il serait absurde que les lieux primordiaux se mûssent. Ces lieux sont donc les lieux absolus, & la seule translation de ces lieux fait les mouvements absolus.
 Comme les parties de l'espace ne peuvent être vues ni distinguées les unes des autres par nos sens, nous y suppléons par des mesures sensibles. Ainsi nous déterminons les lieux par les positions & les distances à quelque corps que nous regardons comme immobile, & nous mesurons ensuite les mouvements des corps par rapport à ces lieux ainsi déterminés : nous nous servons donc des lieux & des mouvements relatifs à la place des lieux et des mouvements absolus ; & il est à propos d'en user ainsi dans la vie civile : mais dans les matières philosophiques, il faut faire abstraction des sens ; car il se peut faire qu'il n'y ait aucun corps véritablement en repos, auquel on puisse rapporter les lieux et les mouvements."
 
Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687, trad. Marquise du Châtelet, Vol. I, p. 8-10.


  "[…] la théorie que je propose peut être appelée une théorie du champ électromagnétique, parce qu'elle a à voir avec l'espace à proximité des corps électriques et magnétiques, et une théorie dynamique, parce qu'elle admet que dans cet espace il y a de la matière en mouvement, grâce à laquelle les phénomènes électromagnétiques observés sont produits. Le champ électromagnétique est cette partie de l'espace qui contient et entoure les corps dans leur état électrique ou magnétique. Il peut être rempli de toutes sortes de matière ; nous pouvons essayer aussi de le vider de toute matière pondérable, comme dans le cas des tubes de Geissler et autres soi-disant vides. Il reste toujours cependant assez de matière pour recevoir et transmettre les ondulations de matière et transmettre les ondulations de la lumière et de la chaleur, et c'est parce que la transmission de ces radiations n'est pas altérée de manière sensible lorsque les corps transparents de densité mesurable se substituent au soi-disant vide, que nous sommes obligés d'admettre que les ondulations sont celles d'une substance de la nature de l'éther, et non pas de la manière pondérable, dont la présence modifie tout simplement d'une façon ou d'une autre le mouvement de l'éther. Nous avons donc tout lieu de croire, d'après les phénomènes de la lumière et de la chaleur, qu'il existe un milieu ayant la nature de l'éther, remplissant l'espace et pénétrant les corps, capable d'être mis en mouvement et de transmettre ce mouvement d'un lieu à un autre, ainsi que de le communiquer à la matière pondérable en vue de la réchauffer et de l'affecter de différentes façons."

 

James Clerk Maxwell, "A Dynamical Theory of Electromagnetic Field", 1864, in The Scientific Papers of James Clerk Maxwell, 1re éd. 1890, Dover, New York, 1965, p. 525-528.


  
 "L'origine psychologique de la notion d'espace, ou sa nécessité, n'est pas si manifeste qu'elle pourrait nous paraître en raison de nos habitudes de penser. Les anciens géomètres traitent d'objets conçus par l'esprit (point, droite, plan), mais non pas de l'espace comme tel, comme l'a fait plus tard la Géométrie analytique. Mais la notion d'espace s'impose à nous par certaines expériences primitives. Soit donnée une boîte ; on peut y introduire des objets en les rangeant dans un certain ordre, de sorte qu'elle devient pleine. La possibilité de tels arrangements est une propriété de l'objet corporel appelé boîte, quelque chose qui est donné avec elle, « l'espace renfermé » par elle. C'est quelque chose qui est différent pour des boîtes différentes, qui est tout naturellement considéré comme indépendant du fait que des objets se trouvent ou ne se trouvent pas dans la boîte. Quand celle-ci ne contient pas d'objets, son espace paraît « vide ».
 Jusqu'à présent notre notion d'espace est liée à la boîte. Mais il se trouve que les possibilités de position qui constituent l'espace de la boîte sont indépendantes de l'épaisseur de ses parois. Mais ne peut-on pas réduire cette épaisseur à zéro sans que l'espace disparaisse ? Qu'un tel passage à la limite soit naturel, cela est évident, et maintenant l'espace existe pour notre pensée sans boîte, comme objet indépendant, qui cependant paraît être si irréel quand on oublie l'origine de cette notion.
 On comprend que Descartes ait éprouvé de la répugnance à regarder l'espace comme un objet indépendant des objets corporels et pouvant exister sans la matière[1]. (Ceci ne l'empêcha pas d'ailleurs de traiter l'espace comme notion fondamentale dans sa géométrie analytique.) Un regard jeté sur l'espace vide d'un baromètre à mercure a probablement désarmé les derniers cartésiens. Mais on ne peut pas nier que déjà à ce stade primitif il paraît peu satisfaisant de considérer la notion d'espace ou l'espace comme un objet réel indépendant.
 Les manières dont les corps peuvent être placés dans l'espace (boîte) sont l'objet de la Géométrie euclidienne à trois dimensions, dont la structure axiomatique nous fait facilement perdre de vue qu'elle se rapporte à des situations empiriques. Si de la façon esquissée plus haut, en liaison avec les expériences sur le « remplissage » de la boîte, la notion d'espace est formée, celui-ci est de prime abord limité. Mais cette limitation parait accessoire, parce qu'on peut apparemment toujours introduire une boîte plus grande qui enferme la plus petite. L'espace apparaît ainsi comme quelque chose d'illimité. [...]
 Quand une boîte plus petite b est au repos relatif à l'intérieur d'une boîte vide plus grande B, l'espace vide de b est une partie de l'espace vide de B, et aux deux boîtes appartient le même « espace » qui les contient toutes les deux. Mais la conception est moins simple, si b est en mouvement par rapport à B.
 Alors on est porté à penser que b enferme toujours le même espace, mais une partie variable de l'espace B. On est ainsi forcé de coordonner à chaque boîte un espace particulier (qu'on ne conçoit pas comme limité) et de supposer que ces deux espaces sont en mouvement l'un par rapport à l'autre. Avant que l'attention soit attirée sur cette complication, l'espace apparaît comme un milieu non limité (réceptacle) dans lequel les objets corporels se déplacent. Or, il faut penser qu'il y a un nombre infini d'espaces qui sont en mouvement l'un par rapport à l'autre. La conception que l'espace jouit d'une existence objective indépendante des objets appartient déjà à la pensée préscientifique, mais non pas l'idée de l'existence d'un nombre infini d'espaces en mouvement l'un par rapport à l'autre. Cette dernière idée est certes logiquement inévitable, mais pendant longtemps elle n'a pas joué un rôle important, même dans la pensée scientifique."
 
Einstein, La relativité, Paris, Payot, 1978, p. 156-159.

[1] La tentative de Kant de supprimer le malaise en niant l'objectivité de l'espace peut à peine être prise au sérieux. Les possibilités de position, personnifiées par l'intérieur d'une boîte, sont dans le même sens objectives que la boîte elle-même et les objets qui peuvent y être placés. (Note de Einstein).

 
 "Que subsiste-t-il donc de la théorie kantienne des formes a priori de notre intuition ? On dira que l'espace et le temps euclido-newtoniens demeurent toujours des conditions formelles de notre perception et de notre intuition, donc de notre expérience si on l'entend de l'expérience à notre échelle : même si notre pensée peut aller plus loin, du moins serions-nous incapables de percevoir et d'imaginer autrement que dans les cadres classiques. Cette structure serait un trait de notre Umwelt en tant qu'espèce humaine, distincte de l'Umwelt de l'abeille ou de la teigne. Contingente par rapport à l'exercice de notre raison, qui a appris à s'en affranchir, elle serait pour notre sensibilité quelque chose de congénital et d'immuable, comme l'est, pour notre corps, notre squelette ou notre appareil circulatoire.
 On peut cependant douter que, même à ce niveau de la perception et de l'imagination, les cadres de l'espace et du temps nous soient ainsi donnés une fois pour toutes et ne varietur, imposés à notre constitution mentale comme une condition extérieure dont il faut que nous nous accommodions bon gré mal gré. Ils ont un caractère plus intellectuel que purement biopsychique. Notre raison intervient pour les informer, ils résultent d'une éducation intellectuelle, ils sont le fruit d'une culture. Le fait même que nous les caractérisons par des noms propres – Euclide, Newton – suggère suffisamment leur origine historique et leur caractère scientifique."
 
Robert Blanché, La science actuelle et le rationalisme, 1967, Paris, P.U.F., p. 48-49.

Date de création : 02/12/2012 @ 11:13
Dernière modification : 22/09/2013 @ 16:36
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