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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Théorie et expérience sont toutes deux nécessaires

  "Ceux qui ont traité les sciences furent ou des empiriques, ou des dogmatiques. Les empiriques, à la manière des fourmis, se contentent d'amasser et de faire usage ; les rationnels, à la manière des araignées, tissent des toiles à partir de leur propre substance ; mais la méthode de l'abeille tient le milieu : elle recueille sa matière des fleurs des jardins et des champs, mais la transforme et la digère par une faculté qui lui est propre. Le vrai travail de la philosophie est à cette image. Il ne cherche pas son seul ou principal appui dans les forces de l'esprit ; et la matière que lui offre l'histoire naturelle et les expériences mécaniques, il ne la dépose pas telle quelle dans la mémoire, mais modifiée et transformée dans l'entendement. Aussi, d'une alliance plus étroite entre ces deux facultés, expérimentale et rationnelle (alliance qui reste à former), il faut bien espérer [espérer beaucoup]."

 

Francis Bacon, Novum Organum, 1620, Livre I, § 95, tr. fr. M. Malherbe et J.-M. Pousseur, PUF, 1986, p. 156-157.



  "Bannir entièrement de la physique l'art de conjecturer, ce serait nous réduire aux pures observations ; et à quoi nous serviraient les observations ; si nous n'en tirions pas la moindre conséquence ? Nous amasserions sans cesse des matériaux, pour ne bâtir jamais. Nous confondrions sans cesse le moyen avec la fin. Tout demeurerait isolé dans notre esprit, tandis que tout est lié dans l'Univers. Je n'ignore point qu'on ne doit pas se presser de bâtir des systèmes ; qui en est plus convaincu que moi, qui l'a plus répété ? mais je n'ignore point aussi, qu'il est des faits, dont les conséquences sont si palpables, si immédiates, qu'il est très-permis en bonne logique de les tirer, et de les regarder comme des principes, à la lumière desquels on peut tenter de faire quelques pas en avant. Nos connaissances ne s'étendent et ne se perfectionnent que par les comparaisons que nous établissons entre nos idées sensibles. Nous comparons entr'eux plusieurs faits de même genre ; nous voyous ce qui résulte de cette comparaison, et si tous convergent vers le même point, nous en inférons qu'il est probable que ce point est une vérité. Nous y concentrons notre attention et nous en voyons partir de nouveaux rayons, qui éclairent divers côtés de l'objet. C'est ainsi que nous parvenons à tirer des résultats plus ou moins généraux de nos propres observations ou des observations d'autrui. C'est ainsi que nous arrivons quelquefois à la découverte des causes, par un examen réfléchi, et par une décomposition graduelle des effets."


Charles Bonnet, Contemplation de la nature, 1764, Tome 1, Préface, Amsterdam, Rey, p. XI-XII.



  "[…] une simple accumulation de faits ne peut que conduire à une situation chaotique et improductive. La simple collecte de données est indispensable à certaines étapes d'une science ; c'est une réaction salutaire contre une construction purement philosophique et spéculative des théories. Mais elle ne peut pas donner de réponse satisfaisante à des questions portant sur les causes et les conditions des événements. C'est seulement avec l'aide de théories que l'on peut déterminer des relations causales. Une science sans théorie est aveugle parce qu'il manque cet élément qui seul est en mesure d'organiser les faits et de donner une orientation à la recherche. Même d'un point de vue pratique, le simple recueil de faits a une valeur très limitée. Il ne peut pas donner une réponse à la question qui est la plus importante d'un point de vue pratique – à savoir, que faut-il faire pour obtenir l'effet voulu dans des cas concrets donnés ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'avoir une théorie, mais une théorie qui est empirique et non spéculative. Cela signifie que la théorie et les faits doivent être étroitement liés l'une aux autres."

 

Kurt Lewin, Principles of topological psychology, 1936, tr. P.-J. Haution, 2013, Read Books, p. 15.

 

  "[…] a mere piling up of facts can only lead to a chaotic and unproductive situation. The simple collecting of facts is indispensable at certain stages of a science ; it is a wholesome reaction against a philosophical and speculative building of theories. But it cannot give a satisfactory answer to questions about causes and conditions of events. Only with the help of theories can one determine causal interrelationships. A science without theory is blind because it lacks that element which alone is able to organize facts and to give direction to research. Even from a practical point of view the mere gathering of facts has very limited value. It cannot give an answer to the question that is most important for practical purposes – namely, what must one do to obtain a desired effect in given concrete cases ? To answer this question it is necessary to have a theory, but a theory which is empirical and not speculative. This means that theory and facts must be closely related to each other."

 

Kurt Lewin, Principles of topological psychology, 1936, tr. Fritz Heider, 2013, Read Books, p. 15.



  "La recherche scientifique a toujours oscillé et oscillera sans doute toujours entre deux tendances : d'une part, observer avec soin les faits expérimentaux et se borner à les traduire par des formules mathématiques précises ; d'autre part, partir de conceptions synthétiques posées a priori, auxquelles on pourra toujours reprocher d'avoir un certain caractère métaphysique, et chercher à en déduire les lois des phénomènes connus et la prévision de phénomènes nouveaux. Le progrès de la Science a toujours résulté de continuels compromis entre ces deux tendances qui furent souvent en lutte ouverte, mais au XVIIe siècle leur conflit fut particulièrement violent.
  Les meilleurs esprits scientifiques de ce temps n'étaient pas entièrement affranchis de l'esprit de la Scolastique qui, pour avoir voulu employer trop exclusivement la seconde méthode, avait piétiné pendant des siècles et s'était le plus souvent contentée d'explications purement verbales ; mais le XVIIe siècle fut aussi celui qui reconnut la nécessité de l'observation des faits et de cette consultation de la réalité physique qu'on nomme l'expérience : le nom du Chancelier Bacon est resté attaché à cette évolution capitale de la pensée scientifique."
 
 Louis de Broglie, Préface au livre de René DUGAS, La Mécanique au XVIIe siècle, Paris, Dunod, 1954, p. 7-8.

 

  "Galilée est certainement d'accord avec Aristote pour admettre le primat de « tout ce que l'expérience sensible nous montre » sur tous les raisonnements. Mais il ne pense pas que l'expérience nous fournisse, en même temps que ces données, la correcte interprétation desdites données. Il pense, au contraire, que dans bien des cas, comme par exemple celui de la thèse copernicienne, ce qui nous semble constituer une contradiction entre certains faits et une certaine théorie est uniquement une contradiction entre cette théorie et notre hâtive et grossière interprétation de ces faits. De là la nécessité de dépouiller les faits (qui en eux-mêmes sont irréfutables) des apparences dont nous les avions inconsciemment revêtus. De là encore la nécessité de provoquer des faits nouveaux, plus précis, qui soient saisissables dans leur réalité en dehors du vêtement que leur fait porter la tradition.
  Savoir provoquer des faits de ce genre, c'est-à-dire des expériences non équivoques, descriptibles avec une extrême précision, c'est, selon Galilée, savoir interroger la nature. Dans cette recherche, il est nécessaire de ne pas s'arrêter aux premières apparences qualitatives, déjà chargées de très dangereuses interprétations traditionnelles, mais il faut concevoir et élaborer des dispositions techniques, ou des procédés, où la réponse de la nature apparaisse clairement et sans nulle possibilité de malentendus."

 

Ludovico Geymonat, Galilée, 1957, tr. fr. F.-M. Rosset et S. Martin, Points Sciences, 1992, p. 254-255.


 

  "Grâce à ses expériences, Galilée put mettre à l'épreuve et confirmer son hypothèse selon laquelle la distance parcourue par les corps en chute libre était proportionnelle au carré du temps écoulé : e = k . t2.
  Mais Galilée n'avait pas eu une fulgurante intuition de ces expériences ni des relations constantes qu'elles étaient destinées à vérifier. Il y avait été conduit par de nombreuses années de réflexion et d'observation. Au cours de ce long processus de découverte, il lui était arrivé de suivre de fausses pistes et de s'engager dans des impasses. Mais il ne renonça pas ; il avait lui-même suffisamment de flexibilité pour prendre conscience de ses propres erreurs, et de courage pour se mettre en quête de meilleures solutions. Finalement, il connut le succès… jusqu'à un certain point.
  Les générations postérieures ont d'ordinaire interprété l'œuvre de Galilée en fonction de leurs propres préférences. Comme il arrive fréquemment aux morts, Galilée devint la proie de ses interprètes et fut souvent cité comme témoin principal en faveur de leurs opinions : aux empiristes il apparaissait comme un empiriste, aux idéalistes comme un idéaliste, un platonicien. On a polémiqué sans fin pour savoir s'il élabora la loi de la « chute des graves » –comme on l'appela plus tard – de manière déductive, c'est-à-dire uniquement par la réflexion, ou de manière inductive, c'est-à-dire uniquement par l'observation. Et pourtant de telles questions sont manifestement absurdes. Elles présupposent que nous puissions réfléchir sans observation antécédente ou observer sans réflexion antécédente. Aucun processus connu de recherche et de découverte, dans le domaine des sciences positives empirico-théoriques, ne se déroule de la manière postulée par ces hypothèses. Quoique antagonistes, elles se conforment l'une et l'autre au même paradigme. L'un et l'autre supposent l'idée qu'il est nécessaire de trouver un commencement, que la recherche prend son point de départ ou bien dans la pensée ou bien dans l'expérience. Les deux camps, comme d'autres antagonistes au même stade du développement social, sont liés l'un à l'autre à travers la question même à laquelle ils donnent des réponses opposées. Ils s'interrogent sur le point de départ des progrès de la connaissance. Ils aspirent à une solution de type statique sur le modèle des explications causales en physique. Mais la recherche est un processus. Dans la reconstruction d'un réel processus, dans l'établissement de modèles de processus, l'analyse, la décomposition en facteurs ou en causes est un auxiliaire de la synthèse. Il n'y a pas de commencement absolu – pas de réflexions sans observations et pas d'observations sans réflexions."
 
Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 123-124.
 

Date de création : 03/12/2012 @ 19:37
Dernière modification : 11/02/2019 @ 15:41
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