"A. Le Verrier, astronome à l'observatoire de Paris, sait que la planète Uranus, qui est alors (1846) la plus lointaine connue du système solaire, présente des perturbations. Selon la méthode créée par Newton […] on explique ces perturbations par des troublantes, qui sont des planètes voisines, lorsqu'elles passent assez près d'Uranus. On a calculé les effets de Jupiter et Saturne. Il reste un résidu de perturbation inexpliqué.
B. L'idée de Le Verrier est d'expliquer ce résidu par une troisième troublante, extérieure celle-là, assez lointaine pour avoir échappé aux astronomes. Le Verrier traduit cette idée sous forme mathématique : il calcule la masse, la distance, et, par suite, la « grandeur » (on dit aujourd'hui magnitude), c'est-à-dire l'éclat apparent de la planète. Il indique sa position au moment le plus favorable.
C. Certains méthodologistes arrêtent ici l'exposé historique et prétendent que Le Verrier n'avait pas besoin de regarder le ciel pour être sûr de l'existence de la planète. C'est là une erreur. Le calcul doit aboutir à une constatation, très élaborée, certes, très préparée par le calcul, mais en fin de compte, à une constatation. La preuve, c'est que, après Le Verrier, on a appliqué deux autres fois sa méthode, la première pour expliquer les perturbations de la planète qu'il avait découverte « par le calcul » et qu'on avait appelée Neptune ; on découvrit ainsi la « transneptunienne » Pluton. La seconde fois, pour expliquer les perturbations de Mercure. La méthode ayant réussi pour Neptune et Pluton, puisqu'on les avait vues, on s'empressa de baptiser la nouvelle : Vulcain. Mais jamais on ne la vit, en sorte que Vulcain est resté un mythe mathématique. D'ailleurs, M. Einstein a expliqué d'une autre manière, très différente, les perturbations de Mercure.
L'existence de la planète « Neptune » fut établie lorqu'on la vit, ce qui fut d'ailleurs très prompt, mais nécessita un appel de Le Verrier à l'observatoire de Berlin, mieux outillé pour découvrir la planète. Cette division du travail a fait croire que Le Verrier fut sûr de l'existence de la troublante dès qu'il en eut calculé les éléments. Nullement. Le calcul de Le Verrier a déterminé le point où elle devait être et l'observatoire de Berlin a constaté qu'elle y était."
Paul Mouy, Logique et philosophie des sciences, 1934, Classiques Hachettes, 1944, p. 114-115.