"[…] ce qui apparaît comme « manque de netteté », « chaos » ou « opportunisme », quand on le compare avec de telles lois [les lois de la raison], a eu une fonction des plus importantes dans le développement des théories mêmes que nous considérons aujourd'hui comme des parties essentielles de notre connaissance de la nature. Ces « déviations », ces « erreurs », sont des conditions du progrès. Elles permettent à la connaissance de survivre dans le monde complexe et difficile que nous habitons, elles nous permettent de rester des agents libres et heureux. Sans « chaos », point de savoir. Sans une discussion fréquente de la raison, pas de progrès. Les idées qui aujourd'hui forment la base même de la science n'existent que parce qu'il y a eu des préjugés, de la vanité, de la passion ; parce que ceux-là ses sont opposés à la raison, et parce qu'on les a laissés agir à leur guise. Nous devons conclure donc que même à l'intérieur de la science, la raison ne peut pas, et ne doit pas, avoir de portée universelle ; qu'elle doit souvent être outrepassée, ou éliminée, en faveur d'autres instances. Il n'y a pas une règle qui reste valide en toutes circonstances, et pas une seule instance à laquelle on puisse toujours faire appel.
[...] La science étant donnée, le rationnel ne peut pas être universel, et l'irrationnel ne peut pas être exclu."
Paul Feyerabend, Contre la méthode, 1975, tr. fr. Baudouin Jourdant et Agnès Schlumberger, Points Sciences, 1988, p. 196-197.