"Dans un système objectif […], toute confusion entre connaissance et valeurs est interdite. Mais (et ceci est le point essentiel, l'articulation logique qui associe, à la racine, connaissance et valeurs), cet interdit, ce « premier commandement » qui fonde la connaissance objective, n'est pas lui-même et ne saurait être objectif : c'est une règle morale, une discipline. La connaissance vraie ignore les valeurs, mais il faut pour la fonder un jugement, ou plutôt un axiome de valeur. Il est évident que de poser le postulat d'objectivité comme condition de la connaissance vraie constitue un choix éthique et non un jugement de connaissance puisque, selon le postulat lui-même, il ne pouvait y avoir de connaissance « vraie » antérieure à ce choix arbitral. Le postulat d'objectivité, pour établir la norme de la connaissance, définit une valeur qui est la connaissance objective elle-même. Accepter le postulat d'objectivité, c'est donc énoncer la proposition de base d'une éthique : l'éthique de la connaissance. Dans l'éthique de la connaissance, c'est le choix éthique d'une valeur primitive qui fonde la connaissance. Par là, elle diffère radicalement des éthiques animistes qui toutes se veulent fondées sur la « connaissance » de lois immanentes, religieuses ou « naturelles », qui s'imposeraient à l'homme. L'éthique de la connaissance ne s'impose pas à l'homme ; c'est lui, au contraire, qui se l'impose en en faisant axiomatiquement la condition d'authenticité de tout discours et de toute action."
Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Éditions du Seuil, 1970, p. 191.