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Hors des sentiers battus
Religion et vérité ; la vérité des croyances religieuses

  "Puisque donc cette révélation est la vérité, et qu'elle appelle à pratiquer l'examen rationnel qui assure la connaissance de la vérité, alors nous, musulmans, savons de science certaine que l'examen [des étants] par la démonstration n'entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s'accorde avec elle et témoigne en sa faveur.
  S'il en est ainsi, et que l'examen aboutit à une connaissance quelconque à propos d'un étant quel qu'il soit, alors de deux choses l'une : soit sur cet étant le Texte révélé se tait, soit il énonce une connaissance à son sujet. Dans le premier cas, il n'y a même pas lieu à contradiction, et le cas équivaut à celui des statuts légaux non édictés par le Texte, mais que le juriste déduit par syllogisme juridique. Dans le second, de deux choses l'une : soit le sens obvie[1] de l'énoncé est en accord avec le résultat de la démonstration, soit il le contredit. S'il y a accord, il n'y a rien à en dire ; s'il y a contradiction, alors il faut interpréter le sens obvie. […]
  Nous affirmons catégoriquement que partout où il y a contradiction […] cet énoncé est susceptible d'être interprété suivant des règles d'interprétation de la langue arabe. C'est là une proposition dont nul musulman ne doute et qui ne suscite point d'hésitation chez le croyant. Mais combien encore s'accroît la certitude qu'elle est vraie chez celui qui s'est attaché à cette idée et l'a expérimentée, et s'est personnellement fixé pour dessein d'opérer la conciliation de la connaissance rationnelle et de la connaissance transmise !"

 

Averroès, Discours décisif, 1179, § 18-21, tr. fr. Marc Geoffroy, GF, 1996, p. 119-121.


[1] Évident.


 

 "Il est inadmissible de dire que la science est un domaine de l'activité intellectuelle humaine, que la religion et la philosophie en sont d'autres, de valeur au moins égale, et que la science n'a pas à intervenir dans les deux autres, qu'elles ont toutes la même prétention à la vérité, et que chaque être humain est libre de choisir d'où il veut tirer ses convictions et où il veut placer sa foi. Une telle conception passe pour particulièrement distinguée, tolérante, compréhensive et libre de préjugés étroits. Malheureusement, elle n'est pas soutenable, elle participe à tous les traits nocifs d'une Weltanschauung[1]absolument non scientifique et lui équivaut pratiquement. Il est évident que la vérité ne peut être tolérante, qu'elle n'admet ni compromis ni restriction, que la recherche considère tous les domaines de l'activité humaine comme les siens propres et qu'il lui faut devenir inexorablement critique lorsqu'une autre puissance veut en confisquer une part pour elle-même".
 
Sigmund Freud, Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, 1933, XXXVe conférence, tr. fr. Rose-Marie Zeitlin, Folio essais, 2000, p. 214.


[1] Weltanschauung : vision du monde.
 

"Il est inadmissible de prétendre que la science n'est que l'une des branches de l'acti­vité psychique humaine et que la religion et la philosophie en sont d'autres, au moins aussi importantes, où la science n'a rien à voir. De cette façon, science, religion et philosophie auraient des droits égaux à la vérité et tout homme pourrait librement établir ses convictions et placer sa foi. C'est là une opinion jugée extrêmement élégante, tolérante, large et dénuée de préjugés mesquins ; malheureusement, elle s'avère insoutenable et c'est à elle qu'incombent tous les méfaits d'une représentation antiscientifique de l'univers, représentation dont elle se montre d'ailleurs, au point de vue pratique, l'équivalent. En effet, la vérité ne peut pas être tolérante, elle ne doit admettre ni compromis ni restrictions. La science considère comme siens tous les domaines où peut s'exercer l’activité humaine et devient inexorablement critique dès qu'une puissance tente d'en aliéner une partie."

 

Sigmund Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, 1915-1917, 7e conférence, tr. fr. Anne Berman, nrf idées, 1971, p. 211.


 
 "[…] Credo quia absurdum[1] […]. Cela veut dire que les doctrines religieuses sont soustraites aux revendications de la raison, qu'elles sont au-dessus de la raison. On ne peut que ressentir intérieurement leur vérité, on n'a pas besoin de les comprendre. Toutefois, ce Credo n'est intéressant que comme confession intime, comme sentence faisant autorité il n'oblige en rien. Serait-ce pour moi un devoir de croire à toute absurdité ? Et sinon, pourquoi précisément celle-là ? Il n'y a aucune instance au-dessus de la raison. Si la vérité des doctrines religieuses est dépendante d'une expérience vécue intérieure qui témoigne de cette vérité, que faire des nombreux hommes qui n'ont pas vécu une expérience si rare ? On peut réclamer de tous les hommes qu'ils appliquent le don de la raison qui est en leur possession, mais on ne peut édifier un devoir valable pour tous sur un motif qui n'existe que chez un très petit nombre. Si l'un de ces hommes a retiré d'un état extatique qui se saisit de lui jusqu'au tréfonds la conviction inébranlable de la réelle vérité des doctrines religieuses, quelle signification cela a-t-il pour l'autre ?".
 
Freud, L'avenir d’une illusion, 1927, chapitre V, tr. A. Balseinte, J-G Delarbre et D. Hartmann, Paris, PUF, 1995, p. 29.

[1] "Je crois parce que c'est absurde". Tertullien, La chair du Christ, V, 4.


 "Dès lors qu'on soutient qu'une croyance quelconque, de quelque nature qu'elle soit, est importante pour une autre raison que le fait qu'elle est vraie, toute une armée de maux est prête à surgir. Le découragement de la recherche […] est le premier de ceux-ci, mais d'autres suivront à peu près à coup sûr. Les positions d'autorité seront ouvertes aux orthodoxes. Les comptes rendus historiques doivent être falsifiés s'ils jettent un doute sur les opinions reçues. Tôt ou tard, on en arrivera à considérer la non-orthodoxie comme un crime qui doit être traité par le bûcher, la purge ou le camp de concentration. Je peux respecter les hommes qui arguent que la religion est vraie et, par conséquent, doit être crue ; mais je ne peux qu'éprouver une réprobation morale profonde pour ceux qui disent que la religion doit être crue parce qu'elle est utile, et que se demander si elle est vraie est une perte de temps."
 
 
 
Bertrand Russell, "Can Religion Cure Our Troubles ?", Why I Am not a Christian and Other Essays on Religion and Related Subjects, edited with an Appendix on the « Bertrand Russell Case » by Paul Edwards, A Touchstone Book, Simon & Schuster, New York, 1957, p. 197.
 
 
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Date de création : 04/02/2013 @ 19:55
Dernière modification : 14/04/2024 @ 08:18
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