"Il y a sans doute une illusion à assimiler la création artistique à un danger comme si une œuvre pouvait exprimer un risque intemporel, indiscutable et indépendant de ses conditions d'apparitions. Le danger est une affaire d'incarnation ou n'existe que dans des situations concrètes. Il est lié à une perception historique du monde, à un ensemble d'éléments jugés tels par une époque. Il est le fruit d'un rapport complexe entre un pouvoir, une instance d'opposition et la marge historique de tolérance et d'intolérance de ce pouvoir par rapport à ce qu'il appréhende comme une opposition. Si l'avant-garde de l'art moderne des années 30 est considérée comme dangereuse dans l'Allemagne nazie et fait l'objet d'une exposition à Munich en 1937 intitulée « L'art dégénéré », c'est parce qu'elle montre des formes inconciliables avec l'image de l'homme allemand promue par le régime de Hitler. […]
La création artistique n'est pas dangereuse ; elle révèle plutôt les conditions d'apparition d'un danger ; elle rend possible l'avènement de la perception d'un danger."
Fabienne Brugère, "L'art est-il dangereux ?", Passant ordinaire n°31 : "Quelles cultures ?", octobre-novembre 2000.