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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Hors des sentiers battus
L'analyse physico-chimique des phénomènes biologiques
  "[…] la respiration n'est qu'une combustion lente de carbone et d'hydrogène, qui est semblable en tout à celle qui s'opère dans une lampe ou dans une bougie allumée, et que, sous ce point de vue, les animaux qui respirent sont de véritables corps combustibles qui brûlent et se consument.
  Dans la respiration, comme dans la combustion, c'est l'air de l'atmosphère qui fournit l'oxygène et le calorique ; mais, comme dans la respiration c'est la substance même de l'animal, c'est le sang qui fournit le combustible, si les animaux ne réparaient pas habituellement par les aliments ce qu'ils perdent par la respiration, l'huile manquerait bientôt à la lampe, et l'animal périrait, comme une lampe s'éteint lorsqu'elle manque de nourriture.
  Les preuves de cette identité d'effets entre la respiration et la combustion se déduisent immédiatement de l'expérience. En effet, l'air quia servi à la respiration ne contient plus, à la sortie du poumon, la même quantité d'oxygène ; il renferme non-seulement du gaz acide carbonique, mais encore beaucoup plus d'eau qu'il n'en contenait avant l'inspiration. Or, comme l'air vital ne peut se convertir en acide carbonique que par une addition de carbone ; qu'il ne peut se convertir en eau que par une addition d'hydrogène ; que cette double combinaison ne peut s'opérer sans que l'air vital perde une partie de son calorique spécifique, il en résulte que l'effet de la respiration est d'extraire du sang une portion de carbone et d'hydrogène, et d'y déposer à la place une portion de son calorique spécifique, qui, pendant la circulation, se distribue avec le sang dans toutes les parties de l'économie animale, et entretient cette température à peu près constante qu'on observe dans tous les animaux qui respirent."
 
Lavoisier, Premier Mémoire sur la respiration des animaux, 1789, in Mémoires de Lavoisier, 1862, p. 691-692.


  "L'organisme vivant, considéré dynamiquement, peut se définir comme un dispositif qui capte (par des moyens divers) des énergies dans son voisinage. Il absorbe de la chaleur, respire, se nourrit. Il détient et retient « normalement » un excès d'énergie disponible : plus qu'il ne lui en faut pour répondre aux sollicitations et agressions immédiates. Ce qui lui laisse une marge d'initiatives (non soumises aux déterminismes et pourtant non laissées au hasard). Cet excédent, ce superflu, définit ce qui distingue la vie de la survie (minimum vital). Une énergie captée n'est pas mise en réserve indéfiniment, conservée en état de stagnation. Quand cela arrive, l'organisme dégénère. Par essence, l'énergie se dépense et cela productivement, même si la « production » n'est que celle d'un jeu, d'une violence gratuite. Elle produit toujours un effet, un ravage ou une réalité. Elle modifie l'espace ou engendre un espace. L'énergie vivante (vitale) ne semble agissante que s'il y a excès, surplus disponible, superflu et dépense. Alors l'énergie se gaspille. Ce gaspillage explosif ne se distingue pas de l'emploi productif : le jeu, la lutte, la guerre, le sexe vont ensemble, dès la vie animale. Production, destruction, reproduction s'entrecroisent.
  L'énergie s'accumule : c'est un fait, une évidence ; pourtant, il est difficile de concevoir les dispositifs de cette accumulation et surtout se: conséquences. La dépense paraît toujours « excessive », voire « anormale ». Et pourtant, s'il ne dispose pas de cet excédent qui lui ouvre le possible, l'être vivant réagit tout autrement dans le présent.

  Autrement dit, le principe d'économie, si souvent avancé par un certain rationalisme et un fonctionnalisme grossier et biologiquement ou « biomorphiquement » insuffisant. Principe de bas étage, aménageant la' rareté de l'énergie et de la dépense énergétique, il se situe au niveau de la survie.
  L'hypothèse adverse, celle de la nécessité - qui fait vertu - du gaspillage, du jeu, de la lutte, de l'art, de la fête, de l'Éros, se retrouve dans une lignée de philosophes qui s'opposent au rationalisme du « principe d'économie » et à son productivisme mesquin (dépenser le minimum et seulement pour satisfaire des « besoins ». L'hypothèse de l'excès, du superflu, donc de la transgression définit une lignée qui part de Spinoza, passe par Schiller et Goethe, par Marx (qui haïssait l'ascétisme, même s'il se laissait détourner parfois par un ascétisme « prolétarien »). Elle culmine chez Nietzsche. Mieux que chez Freud dont les théories bioénergétiques retombent vers le mécanisme. Chez les psychanalystes, les oppositions « Éros-Thanatos », « principe de plaisir-principe de réalité ou de rendement », « pulsion de vie-pulsion de mort », ayant perdu tout caractère dialectique, deviennent trop souvent un jeu mécanique de pseudo-concepts, métaphores de la rareté énergétique.
  Si l'organisme vivant capte, dépense, gaspille un excédent d'énergie, c'est parce que cela lui est permis par le cosmos. L'aspect dionysien de l'existence, – démesure, ivresse, risques parfois mortels – a sa liberté et sa valeur. L'organisme vivant, le corps total, contiennent la possibilité (ce qui ne veut dire ni la réalisation ni les motivations) du jeu, de la violence, de la fête, de l'amour.
  La distinction nietzschéenne de l'apollinien et du dionysiaque retient les deux aspects de l'être vivant et de son rapport avec l'espace, le sien et celui de l'autre : violence et stabilité, excès mais équilibre. Même si elle ne suffit pas, elle a un sens.
  L'être vivant ne peut se réduire à la captation d'énergies et à leur emploi « économique ». Il ne capte pas n'importe quoi et ne se dépense pas n'importe comment. Il a ses proies, son milieu, ses ennemis. En d'autres termes : son espace. Il vit dans son espace. Il fait partie de son espace, comme élément (d'une faune ou d'une flore, d'une écologie, et d'un système écologique plus ou moins stable). Dans cet espace, l'être vivant reçoit des informations. À l'origine, c'est-à-dire avant l'abstraction inventée par les sociétés humaines, l'information ne se sépare pas plus de la matérialité que le contenu de l'espace ne se sépare de sa forme : la cellule reçoit de l'information matérialisée. Toutefois, ceux qui ont découvert ces phénomènes ont une tendance systématique et philosophique à réduire l'être vivant, cellule et ensemble de cellules, à une réception d'informations, c'est-à-dire d'énergies infimes. Ils négligent, ils écartent l'énergétique : le corps vivant comme réceptacle et réserve d'énergies massives. Des phénomènes d'autorégulation qu'ils privilégient, ils ne discernent plus les dérèglements, les excès et défauts, les dépenses. Le double système des régulations décrit par la biologie (substances organiques et catalyseurs) ne laisse rien, semble-t-il, hors de son programme. Il est vrai que la théorie énergétique avait négligé l'informationnel, le relationnel, le situationnel pour ne retenir que ces énergies grossières, mesurables en calories.
  En vérité, dans son rapport avec soi-même et son espace, l'être vivant emploie les deux types (à ne pas séparer, d'ailleurs) d'énergie, les fines et les massives. Il réunit les dispositifs qui emmagasinent des quantités énormes d'énergie et les dépensent explosivement (les muscles, le sexe, les membres) avec les dispositifs qui reçoivent des stimuli très faibles, des informations, sans consommation appréciable d'énergie (les sens, le cerveau et les organes des sens). La dualité constitutive apparaît ou réapparaît ici. Ni une machine à information, ni une machine à désirer, à tuer, à produire, l'être vivant contient l'un et l'autre."

 

Henri Lefebvre, La production de l'espace, 1974, 4e édition, Ed. Anthropos, 2000, p. 206-208.


Date de création : 14/05/2013 @ 16:35
Dernière modification : 07/05/2014 @ 15:16
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