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Hors des sentiers battus
Nous vivons le temps différemment selon notre âge
  "L'enfant de huit ans connaît toutes les mesures du temps, mais en pratique nous voyons qu'un enfant de cet âge se désintéresse totalement d'un événement ordinaire quoique important, qui doit survenir dans un mois. Si, abandonné à lui-même, il dépose des graines dans la terre, il ne les surveille pas plus de huit jours. Si, après ce temps, elles n'ont pas poussé, il ne s'en soucie plus. De même des vacances de huit jours lui paraissent d'avance une chose interminable, précisément parce qu'au delà de cette semaine, il n'y a encore rien de lui qui l'attend. À quinze ans, pour que des vacances donnent encore cette impression d'infini, il faut qu'elles dépassent le mois. Le développement temporel du moi ne s'opère ainsi que très lentement. Ce n'est qu'entre vingt et vingt-cinq ans que l'année devient unité, et ce n'est que vers quarante ans que l'homme peut envisager à la fois des groupes d'années.
  L'enfant moyen de trois ans comprend « demain », mais c'est d'une manière tout autre que nous, car c'est à peine s'il peut situer exactement dans le temps deux repas consécutifs. « Demain » pour lui a la même signification que l'heure de la mort pour l'homme adulte bien portant. Pour l'enfant de cinq ans, demain c'est exactement le jour qui suit celui où il est, mais c'est bien loin encore, c'est à bien longtemps d'ici. Pour l'adulte, demain est situé à quelques heures, c’est l’imminent, c'est quasi le présent. Dans les trois cas, « demain » est compris dans le sens du dictionnaire, c'est-à-dire comme le jour qui suit celui où l’on est, il n'y a cependant aucune ressemblance dans le concept évoqué. De même si on parle à un enfant de la fin du monde ou de la mort, ou bien cela ne l'influence pas ou bien il s'attend à les voir survenir immédiatement. De même encore, un événement d'une heure prend tout l'être d'un enfant de trois ans, tandis qu'un événement d'une heure triste ou gaie n'a que peu de valeur pour un homme de quarante ans. C'est ce qui explique le fait qu'enfants nous aurions abandonné la maison paternelle et couru les pires dangers pour une aventure d'un instant ou pour éviter un châtiment.
  En résumé, nous pouvons dire qu'à chaque moment de l'existence notre vie représente une certaine durée ou, mieux, la condensation d'une durée : cette durée n'est pas perçue comme telle et n'est en réalité pas perçue directement. Mais à chaque instant l'ensemble de nos travaux, de nos soucis, de nos plaisirs, de nos douleurs et de nos joies est présent dans notre psychisme d'une façon plus ou moins consciente (durée virtuelle du moi). Plus cette durée est petite, plus tout événement y prend de proportion, tandis que, plus cette durée est longue, plus toute chose qui y est comparée tend à se rapetisser."
 
Eugène Minkowski, Le temps vécu, 1933, PUF, 1995, p. 334-335.


 "Être en vie signifie occuper un monde qui précédait votre arrivée et survivra à votre départ. Sur ce plan de la vie pure et simple, apparition et disparition, dans leur succession, constituent les événements primordiaux qui délimitent le temps, l'intervalle entre la vie et la mort. Le nombre limité d'années imparti à tout être vivant détermine non seulement la durée de sa vie, mais aussi sa façon de vivre le temps ; il fournit le prototype caché de toute mesure du temps, aussi loin qu'on le veuille dans le passé et le futur, au-delà d'une vie humaine. C'est ainsi que l'expérience vécue de la durée d'une année change du tout au tout au cours d'une vie. L'année qui, pour un enfant de cinq ans, représente tout un cinquième d'existence, doit sembler beaucoup plus longue qu'elle ne le fera quand elle n'en sera plus que le vingtième ou le trentième. Chacun sait combien les années tournent de plus en plus vite avec l'âge, jusqu'à ce que, quand arrive la vieillesse, elles recommencent à ralentir, parce qu'on se met à les évaluer en fonction de la date du grand départ, pressentie psychologiquement et somatiquement[1]. Cette horloge inséparable des êtres humains qui naissent et meurent, s'oppose au temps objectif selon lequel la longueur d'une année ne change pas. C'est là le temps qui règle le monde et se fonde – en dehors de toute croyance religieuse ou scientifique - sur l'hypothèse qu'il n'a ni commencement ni fin, hypothèse qui ne peut que venir naturellement à des êtres entrés de tout temps dans un monde qui les a précédés et leur survivra."
 
Hannah Arendt, La Vie de l'esprit, 1971, t. I, La Pensée, trad. L. Lotringer, PUF, Coll. "Philosophie d'aujourd'hui", 1996, p. 35-36.

[1] Psychologiquement : au niveau de l'esprit ; somatiquement : au niveau du corps.


  "L'âge influe sur la manière dont les individus perçoivent le temps. Il s'agit là d'un phénomène bien connu. Nous le décrirons donc seulement brièvement en rapportant ce que nous avons entendu ou lu à ce propos: plus on vieillit, plus les années passent vite. A quatre ou six ans, une année semble interminable; à soixante ans, on commence à confondre les années, et il devient souvent difficile de les distinguer les unes des autres – tant elles passent vite ! Il existe, bien sûr, à cela un certain nombre d'explications très simples. Pour un individu qui a vécu seulement cinq ans, une année représente vingt pour cent de sa vie ; alors que la même année ne représente plus que deux pour cent de la vie d'un individu qui a déjà vécu cinquante ans. Mais puisqu'une vie est vécue comme un tout, nous aurions bien du mal à percevoir la durée d'une année en fonction de cette progression logarithmique. Un facteur culturel intervient aussi dans la perception du temps. Dans des cultures comme la nôtre, pour lesquelles le passé collectif s'estompe en s'éloignant, on considère ce qui s'est passé il v a vingt ans comme de « l'histoire ancienne » - il résulte de tout ceci une forte impression d'accélération du temps. Plus on a enterré dans le passé, plus le présent semble passer vite. Au contraire, dans les cultures qui s'attachent à garder leur passé en vie, au Proche-Orient par exemple, on considère que le monde quotidien prend son sens à partir du passé."
 
Edward T. Hall, La dans de la vie. Temps culturel, temps vécu, 1983, Points Seuil, 1992, p. 164-165.

Date de création : 07/06/2013 @ 08:57
Dernière modification : 07/06/2013 @ 08:59
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