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Texte à méditer :  Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes.  Heinrich Heine
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Science et religion

  "Étant donné que l'Écriture, en de nombreux passages, non seulement se prête à des interprétations éloignées du sens apparent des termes mais les exige, il me semble que dans tout débat sur des questions naturelles, on ne devrait l'alléguer qu'en dernière instance. En effet, l'Écriture Sainte et la nature procédant pareillement du Verbe divin, celle-là en tant que révélation du Saint Esprit et celle-ci en tant que très fidèle exécutrice des ordres de Dieu ; étant d'autre part accordé que l'Écriture Sainte, pour s'adapter à l'intelligence universelle, dit souvent des choses qui, à première vue et quant au sens des mots, sont très éloignés de la vérité absolue, tandis qu'au contraire la nature – inexorable, immuable, indifférente à ce que le secret de ses raisons et de ses modes d'action soient ou ne soient pas à la portée de la compréhension des hommes – ne transgresse jamais les limites des lois qui lui sont imposées, il apparaît que, des effets naturels, ce que l'expérience sensible nous fait voir ou ce qu'une démonstration nécessaire nous oblige à conclure, ne doit absolument pas être révoqué en doute au nom de tel passage de l'Écriture qui, pris à la lettre, semblerait dire autre chose, puisque chaque mot de l'Écriture Sainte n'est pas déterminé par des contraintes aussi rigoureuses que chaque effet de la nature."

 
Galilée, Lettre à Don Benedetto Castelli du 21 décembre 1613.

 

 "Je croirais plutôt que l'autorité des textes sacrés n'a eu aucun but autre que de faire accepter aux hommes ces articles et ces propositions qui, tout en étant nécessaires à leur salut, dépassaient toute capacité de raisonnement humain, et ne pouvaient être rendus crédibles par une autre science ou par d'autres moyens que par la bouche même de l'Esprit saint. Mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de croire que ce même Dieu qui nous a doués de sens, de raison et d'intellect, ait voulu en différer l'usage, et nous donner par d'autres moyens ces informations que nous pouvons nous procurer par leur biais ; cela surtout dans ces sciences dont les Écritures n'évoquent qu'une toute petite partie, et par des propositions fragmentaires. L'astronomie est justement une de ces sciences dont il est dit si peu de choses qu'il n'y est pas même fait mention du nom des planètes. Il est clair que si les premiers écrivains sacrés avaient eu l'intention de faire connaître au peuple les dispositions et les mouvements des corps célestes, ils n'en auraient pas dit si peu de choses, autant dire rien si on compare ce qui en est dit dans la Bible au nombre infini de propositions très complexes et admirables que contient cette science."
 
Galilée, Lettre à Don Benedetto Castelli du 21 décembre 1613, dans Lettre à Christine de Lorraine et autres écrits coperniciens (1615), trad. P. Hamou et M. Spranzi, LGF, « Le Livre de Poche », 2004, p. 132-133.

 

  "Il me semble que, dans les discussions concernant les problèmes naturels, on ne devrait pas commencer par invoquer l'autorité de passages des Écritures ; il faudrait d'abord faire appel à l'expérience des sens et à des démonstrations nécessaires : en effet l'Écriture Sainte et la nature procèdent également du Verbe divin, celle-là dictée par l'Esprit Saint, et celle-ci exécutrice parfaitement fidèle des ordres de Dieu ; or, alors qu'il est convenu que les Écritures, pour s'adapter aux possibilités de compréhension du plus grand nombre, disent des choses qui diffèrent beaucoup de la vérité absolue, du fait de leur genre et de la signification littérale des termes, la nature au contraire se conforme inexorablement et immuablement aux lois qui lui sont imposées sans en franchir jamais les limites et ne se préoccupe pas de savoir si ses raisons cachées et ses manières d'opérer sont à la portée de nos capacités humaines.
  Il en résulte que les effets naturels et l'expérience des sens que nous avons devant les yeux, ainsi que les démonstrations nécessaires que nous en concluons, ne doivent d'aucune manière être révoqués en doute ni a fortiori condamnés au nom des passages de l'Écriture, quand bien même le sens littéral semblerait les contredire. Car les paroles de l'Écriture ne sont pas astreintes à des obligations aussi sévères que les effets de la nature et Dieu ne se révèle pas moins excellemment dans les effets de la nature que dans les Écritures sacrées. C'est ce que Tertullien a voulu dire par ces paroles : « Nous déclarons que Dieu doit être d'abord connu par la nature et ensuite reconnu par la doctrine : la nature est atteinte par les œuvres, la doctrine par les prédications. »
  Je ne veux pas dire par là que l'on ne doit pas avoir une très haute considération pour les passages de l'Écriture. Mais, lorsque nous sommes arrivés à une certitude dans des conclusions naturelles, nous devons nous servir de ces conclusions comme d'un moyen parfaitement adapté à une exposition véridique de ces Écritures et à la recherche du sens qui y est nécessairement contenu, puisqu'elles sont parfaitement véritables et qu'elles concordent avec la vérité démontrée. J'estime que l'autorité des Saintes Lettres a pour but principalement de persuader les hommes des propositions qui, dépassant tout discours humain, ne peuvent être rendues croyables par une autre science, ni par un autre moyen que par la bouche du Saint Esprit [...].
  Mais, comme Dieu nous a doté de sens, de facultés discursives et d'intelligence, ceci signifie qu'il a voulu, qu'usant de ces moyens, nous puissions connaître tout ce qu'il nous permet d'atteindre. Je ne pense pas que nous devions rejeter les raisons que nous trouvons dans les conclusions naturelles qui proviennent de l'expérience des sens ou des démonstrations nécessaires, qui se trouvent ainsi présentées devant nos yeux et notre intelligence."

 

Galilée, Lettre à Christine de Lorraine, Grande Duchesse de Toscane, 1615, tr. fr. François Russo, in "Revue d'histoire des sciences et de leurs applications", 1964, tome 17, n°4, p. 343-344.



  "[Certains] semblent s'alarmer de ce que l'examen de la nature puisse conduire à quelque découverte qui renverse la religion (surtout chez les ignorants) ou du moins l'ébranle. Mais ces deux dernières craintes nous paraissent goûter une sagesse bien terrestre ; comme si les hommes, dans les replis de leur esprit et dans leurs pensées secrètes, se défiaient, doutaient de la solidité de la religion, de l'empire de la foi sur les sens et, en conséquence, redoutaient la menace d'un péril qui leur viendrait de la recherche de la vérité dans les choses naturelles. Mais, à penser vrai, la philosophie naturelle est, après la parole de Dieu, le remède le plus assuré contre la superstition et en même temps l'aliment de la foi le mieux éprouvé. C'est pourquoi, on a raison de la donner à la religion comme la plus fidèle des servantes : l'une manifeste la volonté de Dieu, l'autre sa puissance. Il n'a pas erré Celui qui a dit : vous errez, en ne connaissant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ; joignant et unissant ainsi d'un lien indissoluble l'information sur la volonté de Dieu et la méditation sur sa puissance."

 

Francis Bacon, Novum Organum, 1620, Aphorisme 89, tr. fr. M. Malherbe et J.-M. Pousseur, PUF, 2010, p. 151-152.



  "Ennemie née de l'expérience, la théologie, cette science surnaturelle, fut un obstacle invincible à l'avancement des sciences naturelles, qui la rencontrèrent presque toujours dans leur chemin. Il ne fut point permis à la physique, à l'histoire naturelle, à l'anatomie de rien voir qu'à travers les yeux malades de la superstition. Les faits les plus évidents furent rejetés avec dédain, et proscrits avec horreur, dès qu'on ne put les faire cadrer avec les hypothèses de la religion. En un mot, la théologie s'opposa sans cesse au bonheur des nations, aux progrès de l'esprit humain, aux recherches utiles, à la liberté de penser : elle retint l'homme dans l’ignorance ; tous ses pas guidés par elle ne furent que des erreurs. Est-ce résoudre une question dans la physique, que de dire qu'un effet qui nous surprend, qu'un phénomène peu commun, qu'un volcan, un déluge, une comète etc. sont des signes de la colère divine, ou des oeuvres contraires aux lois de la nature ? En persuadant, comme on fait, aux nations, que toutes les calamités soit physiques soit morales qu'elles éprouvent, sont des effets de la volonté de Dieu, ou des châtiments que sa puissance leur inflige, n'est-ce pas les empêcher d'y chercher des remèdes ? N'eut-il pas été plus utile d'étudier la nature des choses, et de chercher en elle-même ou dans l'industrie humaine, des secours contre les maux dont les mortels sont affligés, que d'attribuer ces maux à une puissance inconnue, contre la volonté de laquelle l'on ne peut pas supposer qu'il y ait aucun secours ? L'étude de la nature, la recherche de la vérité élèvent l'âme, étendent le génie, sont propres à rendre l'homme actif et courageux ; les notions théologiques ne semblent faites que pour l'avilir, rétrécir son esprit, le plonger dans le découragement."
 

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 2e partie, Chapitre IX, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 563-564.



  "Dans la science, les convictions n’ont pas droit de cité, voilà ce que l’on dit à juste titre : c’est seulement lorsqu’elles s’abaissent au rang modeste d’une hypothèse, d’un point de vue expérimental provisoire, d’une fiction régulatrice, que l’on a le droit de leur accorder l’accès au royaume de la connaissance et de leur y reconnaître même une certaine valeur […] Mais si l’on y regarde de plus près, cela ne signifie-t-il pas : c’est seulement lorsque la conviction cesse d’être conviction qu’elle peut parvenir à accéder à la science ? La discipline de l’esprit scientifique ne commencerait-elle pas par le fait de ne plus s’autoriser de convictions ?... C’est vraisemblablement le cas : il reste seulement à se demander s’il ne faut pas, pour que cette discipline puisse commencer, qu’existe déjà une conviction […] On voit que la science aussi repose sur une croyance, qu’il n’y a absolument pas de science « sans présupposés »."

 

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1881-1887), § 344, tr.fr.  Patrick Wotling, GF, 2000, p. 285.

 


    "On dit avec juste raison que, dans le domaine de la science, les convictions n'ont pas droit de cité : c'est seulement lorsqu'elles se décident à adopter modestement les formes provisoires de l'hypothèse, du point de vue expérimental, de la fiction régulatrice, qu'on peut leur concéder l'accès du domaine de la connaissance et même leur y reconnaître une certaine valeur [...]. - Mais cela ne revient-il pas, au fond, à dire que c'est uniquement lorsque la conviction cesse d'être conviction qu'elle peut acquérir droit de cité dans la science ? La discipline de l'esprit scientifique ne commencerait-elle pas seulement au refus de toute conviction ?... C'est probable ; reste à savoir si l'existence d'une conviction n'est pas déjà indispensable pour que cette discipline elle-même puisse commencer. [...] On voit par là que la science elle-même repose sur une croyance ; il n'est pas de science sans postulat."

Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1881-1887), § 344. 



  "Le premier chapitre de la Genèse enseigne l'origine successive : premièrement, de toutes les plantes ; secondement, de tous les ani­maux de l'eau et de l'air ; troisièmement, de tous les animaux terrestres qui existent maintenant, à des intervalles de temps distincts. La science moderne nous enseigne que, à travers toute la durée d'un passé infiniment long, autant que nous pouvons en avoir connaissance (c'est-à-dire jusqu'à l'époque Silurienne) les plantes aquatiques et aériennes et les animaux terrestres ont coexisté, que les premiers connus diff­èrent de ceux qui existent maintenant, et que les espèces modernes sont venues au monde comme der­niers termes d'une série dont les membres ont paru l'un après l'autre. Ainsi, loin de confirmer le récit de la Genèse, les résultats de la science moderne jus­qu'ici sont, en principe, comme dans les détails, en désaccord complet avec lui."

 

Thomas Henry Huxley, Science et religion, 1893, Introduction, tr. fr. H. de Varigny, Librairie J.-B. Baillière et Fils, p. 31.


 

  "S'il est vrai que les Écritures canoniques ont d'innom­brables points de contact avec l'histoire civile, il n'est pas, moins vrai qu'elles en ont presque autant avec l'histoire naturelle, et leur exactitude est mise à l'épreuve aussi rigoureusement par la dernière que par la première. L'origine de l'état actuel des cieux et de la terre est un problème qui est strictement du domaine de la science physique  il en est de même du problème de l'origine de l'homme parmi les êtres vivants, et e celui des changements physiques que la terre a subis depuis l'origine de l'homme ; de même aussi pour le problème de l'origine des diverses races et nations d'hommes, avec toutes leurs variétés de langage et de conformation physique. Savoir si la terre se meut autour du soleil, ou si c'est le contraire ; savoir si les maladies corporelles ou mentales des hommes et des animaux sont causées, ou non, par de mauvais esprits ; savoir s'il y a, ou non, des agents de sorcel­lerie : - voilà autant de questions purement scientifiques ; et les Écritures canoniques prétendent donner toutes des réponses vraies. Et , bien que rien ne soit plus commun que d'admettre que ces livres ne sont en opposition qu'avec la partie spéculative de la science physique moderne, rien n'est moins fondé que cette manière de voir.
  L'antagonisme entre la science naturelle et le Pen­tateuque serait tout aussi grand quand bien même on laisserait entièrement de côté les spéculations de notre temps. Il naît de la contradiction sur des ques­tions de fait. Les livres d'autorité ecclésiastique décla­rent que certains événements se sont passés d'une certaine manière : les livres d'autorité scientifique disent que non."

 

Thomas Henry Huxley, Science et religion, 1893, tr. fr. H. de Varigny, Librairie J.-B. Baillière et Fils, p. 368-369.


 

    "Il est inadmissible de dire que la science est un domaine de l'activité intellectuelle humaine, que la religion et la philosophie en sont d'autres, de valeur au moins égale, et que la science n'a pas à intervenir dans les deux autres, qu'elles ont toutes la même prétention à la vérité, et que chaque être humain est libre de choisir d'où il veut tirer ses convictions et où il veut placer sa foi. Une telle conception passe pour particulièrement distinguée, tolérante, compréhensive et libre de préjugés étroits. Malheureusement, elle n'est pas soutenable, elle participe à tous les traits nocifs d'une Weltanschauung [1] absolument non scientifique et lui équivaut pratiquement. Il est évident que la vérité ne peut être tolérante, qu'elle n'admet ni compromis ni restriction, que la recherche considère tous les domaines de l'activité humaine comme les siens propres et qu'il lui faut devenir inexorablement critique lorsqu'une autre puissance veut en confisquer une part pour elle-même".
 
Sigmund Freud, Nouvelles Conférences d'introduction à la psychanalyse, 1933, XXXVe conférence, tr. fr. Rose-Marie Zeitlin, Folio essais, 2000, p. 214.
 
[1] Weltanschauung : vision du monde.

 
 "Pour une certaine médiocrité intellectuelle, caractérisée par un rationalisme éclairé, une théorie scientifique qui simplifie les faits constitue un excellent moyen de défense, à cause de la foi inébranlable que l'homme moderne accorde à tout ce qui porte "l'étiquette" scientifique. Une telle étiquette tranquillise les esprits à l'égal - ou presque - de la fameuse maxime : Roma locuta, causa finita. (Rome a parlé, la question est close, le débat est clos). En elle-même, une théorie scientifique, aussi subtile soit-elle, a, je crois, moins de valeur du point de vue de la vérité psychologique que le dogme religieux, pour la simple raison qu'une théorie est nécessairement abstraite et exclusivement rationnelle, tandis que le dogme exprime par l'image une totalité irrationnelle. Ce mode d'expression rend bien mieux compte d'un fait aussi irrationnel que l'existence de la psyché. [...]
  L'expérience religieuse (et mystique) est absolue. Elle est au sens propre indiscutable. On peut seulement dire qu'on n'a pas fait une telle expérience et l'interlocuteur répondra : « Je regrette, mais moi je l'ai faite ». Et la discussion sera terminée. Peu importe ce que le monde pense de l'expérience religieuse ; celui qui l'a faite possède l'immense trésor d'une chose qui l'a comblé, d'une source de vie, de signification et de beauté et qui a donné une nouvelle splendeur au monde et à l'humanité. Il a la foi et la paix. Où est le critère qui permettrait de dire qu'une telle vie n'est pas légitime, qu'une telle expérience n'est pas valable et qu'une telle foi est une simple illusion ? Y a-t-il en fait une meilleure vérité sur les choses ultimes que celle qui vous aide à vivre ? Telle est la raison pour laquelle je prends soigneusement en considération les symboles élaborés par l'inconscient. [...] Ce qui guérit une névrose doit être aussi convaincant que la névrose et cette dernière n'étant que trop réelle, l'expérience salvatrice doit être d'une égale réalité. Ce doit être une illusion bien réelle, si nous voulons employer le langage pessimiste. Mais quelle différence y a-t-il entre une illusion réelle et une expérience religieuse qui vous guérit ? Ce n'est qu'une simple différence de terminologie. Nous pouvons dire, par exemple, que la vie est une maladie dont le pronostic est bien mauvais : elle traîne pendant des années pour se terminer par la mort ; ou que la normalité est la prédominance généralisée d'une débilité constitutionnelle ; ou que l'homme est un animal dont le cerveau est incurablement hypertrophié. Ce genre d'argument est la prérogative habituelle de grogneurs qui digèrent mal. Personne ne peut savoir ce que sont les choses ultimes. Nous devons par suite les prendre telles que nous les expérimentons, telles que nous les vivons. Et si une telle expérience nous aide à rendre notre vie plus saine, ou plus belle, ou plus complète, ou plus lourde de sens, pour nous-mêmes et pour ceux que nous aimons, nous pouvons tranquillement affirmer : « C'était une grâce de Dieu ». On ne démontre ainsi aucune vérité surhumaine et il faut avouer en tout humilité que l'expérience religieuse extra-ecclesiam, en dehors de l'Église, est subjective et sujette au risque d'erreurs illimitées. L'aventure spirituelle de notre temps c'est d'abandonner la conscience humaine à l'indéfini et à l'indéfinissable, bien qu'il puisse nous sembler - et non sans bonnes raisons - que dans l'illimité aussi règnent ces lois psychiques qu'aucun être humain n'a inventées, mais dont la connaissance lui fut donnée en tant que gnosis, en tant que "connaissance" à travers le symbolisme du dogme chrétien, que seuls essayent d'ébranler des insensés imprudents, mais non les esprits fervents, soucieux de la vie de l'âme."

 

Carl Gustav Jung, Psychologie et religion, 1937, Paris, Buchet/Chastel, 1958, chap. II et III, p. 197-198.

  
  "Quiconque a travaillé réellement à l'édification d'une science quelconque sait, par expérience, que pour franchir la porte, il faut un guide qui, pour être invisible, n'en est pas moins indispensable ; ce guide c'est une foi intrépide.On dit souvent que la science ne fait pas d'hypothèses. Je ne crois pas qu'il y ait un adage ayant plus de désastres à son actif, faute d'avoir été bien compris. La base solide sur laquelle repose toute la science est constituée par son matériel de faits, c'est chose certaine ; mais ce qui ne l'est pas moins, c'est que ce matériel, même si on y adjoint une élaboration logique, ne suffit pas à faire la science. Le trésor des faits restera, en effet, toujours plus ou moins incomplet, il ne se composera jamais que de pièces détachées, si nombreuses qu'on veuille bien les supposer, et ceci s'applique aussi bien aux documents historiques qu'aux tables de mesures des sciences physiques et naturelles. Il est donc absolument nécessaire que les vides soient comblés et cela ne peut se faire qu'au moyen de liaisons idéologiques. Ces liaisons ne sont pas le résultat d'un travail logique, mais un produit de l'imagination créatrice du savant dont l'assentiment ne sera donc pas purement rationnel, même si le mot foi est trop fort pour le caractériser. En tout cas, nous sommes en présence d'une activité dépassant en quelque façon le donné expérimental. De même que d'un chaos de masses séparées, sans aucune force ordonnatrice, il ne peut sortir aucun cosmos, de même aussi aucune science ne peut surgir de l'accumulation d'un matériel de faits sans l'intervention d'un esprit fécondé par la foi."

 

Max Planck, Initiations à la physique, 1934, Chapitre XII, tr. fr. J. du Plessis de Grenédan, Champs Flammarion, 1993, p. 282-283.


  

 "La croyance dans la science est différente de la croyance dans la religion. Les croyances dans la science ne sont pas des croyances auxquelles on adhère dogmatiquement. Les objets de la croyance, aussi bien que les attitudes sous-jacentes, sont tout à fait différents. Nous pouvons avoir soit une attitude scientifique soit une attitude religieuse à l'égard du même objet. Par exemple, le socialisme de Marx peut être ou ne pas être vrai scientifiquement. Cependant, quand les gens croient en lui dogmatiquement, il devient une croyance religieuse. Dans le domaine pur de la science, comme en physique, par exemple, la Loi de la Gravitation découverte par Newton a été présumée vraie jusque dans les années récentes. Nous pouvons croire en elle ou bien avec une ferveur religieuse ou bien avec une attitude scientifique. Si nous y croyons avec une attitude religieuse, en pensant que même les chiffres après la dixième place décimale ne peuvent pas être changés, alors Einstein devrait être tué parce que sa nouvelle théorie de la gravitation est fondamentalement différente de celle de Newton. Newton lui-même était un scientifique et, bien qu'il ait formulé une théorie importante qui n'a pas été contestée pendant trois siècles, il a adopté lui-même une attitude scientifique, en croyant que, aussi exacte que puisse être sa théorie, elle pourrait être corrigée dans l'avenir. Bien des scientifiques adoptent une attitude scientifique."
 
Bertrand Russell, "The Essence and Effect of Religion", 1921, Collected Papers, vol. 15, p. 431-432.

 
  "La religion empêche nos enfants d'avoir une éducation rationnelle ; la religion nous empêche d'éliminer les causes fondamentales de la guerre ; la religion nous empêche d'enseigner l'éthique de la coopération scientifique à la place des vieilles doctrines féroces du péché et du châtiment. Il est possible que l'humanité soit au seuil d'un âge d'or ; mais, si c'est le cas, il sera nécessaire d'abattre d'abord le dragon qui garde la porte, et ce dragon est la religion. […] Une habitude de faire reposer ses opinions sur des preuves, et de ne leur donner que le degré de certitude que les preuves garantissent, guérirait, si elle devenait générale, la plupart des maux dont souffre le monde. Mais, pour le moment, dans la plupart des pays, l'éducation vise à empêcher le développement d'une telle habitude. […] Dans le domaine des émotions, je ne nie pas la valeur des expériences qui ont donné naissance à la religion ; mais je ne peux admettre aucune méthode autre que celle de la science pour parvenir à la vérité".
 
Bertrand Russell, "La religion a-t-elle fait d'utiles contributions à la civilisation ?", 1930, Watts & co., p. 47.


    "La science et la religion sont deux faces de la vie sociale, dont la deuxième a eu de l'importance aussi loin que nous puissions remonter dans l'histoire de l'esprit humain, tandis que la première, après une existence intermittente et vacillante chez les Grecs et les Arabes, a pris subitement de l'importance au XVIe siècle, et a depuis lors façonné toujours davantage les idées et les institutions parmi lesquelles nous vivons. Entre la science et la religion a eu lieu un conflit prolongé, dont, jusqu'à ces dernières années, la science est invariablement sortie victorieuse. [...]
    La science a pour but de découvrir, au moyen de l'observation et du raisonnement basé sur celle-ci, d'abord des faits particuliers au sujet du monde, puis des lois reliant ces faits les uns aux autres, et permettant (dans les cas favorables) de prévoir des événements futurs. À cet aspect théorique de la science est liée la technique scientifique, qui utilise la connaissance scientifique pour produire des conditions de confort et de luxe qui étaient irréalisables, ou tout au moins beaucoup plus coûteuses, aux époques pré-scientifiques. C'est ce dernier aspect qui donne tant d'importance à la science, même aux yeux de ceux qui ne sont pas savants.
    La religion, envisagée au point de vue social, est un phénomène plus complexe que la science. Chacune des grandes religions historiques présente trois aspects : 1° une Église, 2° un Credo, 3° un code de morale individuelle. L'importance relative de ces trois éléments a beaucoup varié selon l'époque et le lieu. Les religions anciennes de la Grèce et de Rome, n'avaient pas grand-chose à dire au sujet de la morale individuelle ; dans l'Islam, l'Église a toujours eu peu d'importance par rapport au souverain temporel ; dans le protestantisme moderne, les rigueurs du credo ont tendance à se relâcher. Néanmoins, ces trois éléments, bien qu'en proportions variables, sont indispensables à la religion en tant que phénomène social, ce qui est son aspect principal dans son conflit avec la science. Une religion purement personnelle, tant qu'elle se contente d'éviter les assertions que la science peut réfuter, pourra survivre paisiblement dans les temps les plus scientifiques.
    Les credos sont la source intellectuelle du conflit entre la science et la religion, mais l'âpreté de la résistance a été due à leurs liens avec les Églises et les codes moraux. Ceux qui mettaient en doute les credos affaiblissaient l'autorité du clergé, et risquaient d'amoindrir ses revenus ; en outre, ils passaient pour saper la moralité, puisque le clergé déduisait les devoirs moraux des credos. Il semblait donc aux dirigeants temporels, tout comme aux gens d'Église, qu'ils avaient de bonnes raisons de craindre les doctrines révolutionnaires des hommes de science. [...]
    Un credo religieux diffère d'une théorie scientifique en ce qu'il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d'arriver à une démonstration complète et définitive."


Bertrand Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 7-9.

 
   "Il existe cependant un aspect de la vie religieuse, le plus précieux peut-être, qui est indépendant des découvertes de la science, et qui pourra survivre quelles que soient nos convictions futures au sujet de la nature de l'univers. La religion a été liée dans le passé, non seulement aux credos et aux Églises, mais à la vie personnelle de ceux qui ressentaient son importance. Chez les meilleurs parmi les saints et les mystiques, on trouve à la fois une croyance à certains dogmes et un certain état d'esprit au sujet des buts de la vie humaine. L'homme qui ressent profondément les problèmes de la destinée humaine, le désir de diminuer les souffrances de l'humanité, et l'espoir que l'avenir réalisera les meilleurs possibilités de notre espèce, passe souvent aujourd'hui pour avoir « une tournure d'esprit religieuse », même s'il n'admet qu'une faible partie du christianisme traditionnel. Dans la mesure où la religion consiste en un état d'esprit, et non en un ensemble de croyances, la science ne peut l'atteindre".

 
Bertrand Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 14. 

 

    "Il est sans doute inutile de vouloir discuter avec celui qui a lui-même éprouvé l'illumination mystique. Mais on peut se demander si les autres doivent accepter son témoignage. En premier lieu, on ne peut pas soumettre ce témoignage aux épreuves ordinaires. Quand un homme de science nous apprend le résultat d'une expérience, il nous apprend aussi comment cette expérience a été faite : d'autres peuvent la répéter, et, si le résultat n'est pas confirmé, on ne le tient pas pour vrai ; mais bien des gens peuvent se mettre dans la situation où la vision du mystique s'est produite, sans obtenir de révélation. À cela, on peut répondre qu'il faut utiliser le sens approprié : un télescope est inutile à celui qui garde les yeux fermés. La discussion au sujet du crédit à accorder au témoignage mystique peut se prolonger quasi indéfiniment. La science doit être neutre, puisqu'il s'agit d'une discussion scientifique, qui doit être menée exactement comme une discussion au sujet d'une expérience douteuse. La science repose sur la perception et la déduction ; son crédit est dû au fait que les perceptions sont vérifiables par tout observateur. Le mystique lui-même peut être certain qu'il sait, et qu'il n'a pas besoin d'épreuves scientifiques ; mais ceux à qui on demande d'accepter son témoignage le soumettront au même genre d'épreuves scientifiques que celui des gens qui disent qu'ils sont allés au Pôle Nord. La science, en tant que telle, ne doit pas anticiper sur le résultat, ni dans un sens, ni dans l'autre. […]
    Étant des gens d'humeur scientifique, nous commencerons naturellement par demander s'il existe un moyen pour nous de faire les mêmes constatations par nous-mêmes. On nous fera des réponses diverses. On pourra nous dire que nous ne sommes pas dans l'état d'esprit réceptif, et que l'humilité nécessaire nous fait défaut ; ou que le jeûne et la méditation religieuse sont nécessaires ; ou (si notre témoin est indien ou chinois) que la condition préalable est une série d'exercices respiratoires. Je pense que nous constaterons que les preuves expérimentales font pencher la balance en faveur de ce dernier point de vue, bien que le jeûne se montre souvent efficace. […]

    La certitude et l'unanimité partielle des mystiques ne sont pas des raisons concluantes pour accepter leur témoignage sur des questions de fait. L'homme de science, quand il veut que d'autres voient ce qu'il a vu, dispose son télescope ou son microscope ; autrement dit, il apporte des changements au monde extérieur, mais n'exige de l'observateur qu'une vue normale. Le mystique, au contraire, exige des changements dans l'observateur, par le jeûne, par des exercices respiratoires, et par l'abstention soigneuse de toute observation extérieure. […]

  L'émotion mystique, si elle est dégagée de toute croyance sans fondement, et si elle n'est pas assez forte pour nous écarter complètement de la vie courante, peut nous fournir un apport de très grande valeur ; du même genre, mais sous une forme plus haute, que l'apport de la contemplation. La largeur, le calme et la profondeur d'esprit peuvent tous prendre leur source dans cette émotion, au sein de laquelle, pour un temps, tout désir personnel est mort, et où l'âme devient le miroir de l'immensité de l'univers. Ceux qui ont éprouvé ce sentiment, et qui croient qu'il est inévitablement lié à des assertions sur la nature de l'univers, se cramponnent naturellement à ces assertions. Pour ma part, je pense qu'elles sont secondaires, et qu'il n'existe aucune raison de les tenir pour vraies. Je ne peux admettre aucune autre méthode que celle de la science pour parvenir à la vérité ; mais, dans le domaine des émotions, je ne nie pas la valeur des expériences qui ont donné naissance à la religion. Par suite de leur association à de fausses croyances, elles ont fait autant de mal que de bien ; libérées de cette association, on peut espérer que le bien seul restera". 
 

Bertrand Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, p. 131-132, 133, 138 et 139-140.

 

  "L'interprétation  historique présente comme adversaires irréconciliables Science et religion et pour une raison facile à percevoir. Celui qui est convaincu par la loi causale régissant tout événement ne peut absolument envisager l'idée d'un être intervenant dans le processus cosmique, pour qu'il raisonne sérieusement sur l'hypothèse de la causalité. Il ne peut trouver un lieu pour un Dieu-angoisse, ni même pour une religion sociale ou morale : il ne peut absolument concevoir un Dieu qui récompense et punit puisque l'homme agit selon des lois rigoureuses internes et externes, s’interdisant de rejeter la responsabilité par l'hypothèse dieu, tout autant qu’un objet inanimé est irresponsable de ses propres mouvements. Pour cette raison la Science et accusée de nuire à la morale. Mais c'est absolument injustifié. Et comme le comportement moral de l’homme se fonde efficacement sur la sympathie et les engagements sociaux, il n’implique nullement une base religieuse. La condition des hommes s'avèrerait pitoyable s'ils devaient être domptes par la peur d'un châtiment ou par l’espoir d’une récompense après la mort. Il est donc compréhensible que les Églises aient, de tous temps, combattu la Science et persécuté ses adeptes. Mais je soutiens que la religion cosmique est le mobile le plus puissant et le plus généreux de la recherche scientifique. Seul, celui qui peut évaluer les gigantesques efforts et, avant tout la passion sans lesquelles les créations intellectuelles scientifiques novatrices n’existeraient pas, peut évaluer la force du sentiment qui seul a créé un travail absolument détaché  de la vie pratique. Quelle confiance profonde en l’intelligibilité de l’architecture du monde et quelle volonté de comprendre, ne serait-ce qu’une parcelle minuscule de l’intelligence se dévoilant dans le monde, devait animer Kepler et Newton pour qu’ils aient pu éclairer les rouges de la mécanique céleste dans un travail solitaire de nombreuses années. Celui qui ne connaît la recherche scientifique que par ses effets pratiques conçoit trop vite et in complètement la mentalité des hommes qui, entoure des contemporains sceptiques, ont montré les routes aux individus qui pensaient comme eux. Or ils se trouvaient dispersés dans le temps et l'espace. Seul, celui qui a voué sa vie à des buts identiques, possède une imagination compréhensive de ces hommes, de ce qui les anime, de ce qui leur insuffle la force de conserver leur idéal, malgré d'innombrables échecs. La religiosité cosmique prodigue de telles forces. Un contemporain déclarait, non sans justice, qu'à notre époque installée dans le matérialisme se reconnaissent, dans les savants scrupuleusement honnêtes les seuls esprits profondément religieux."

 

 

Albert Einstein, Comment je vois le monde, 1934, tr. Fr. Maurice Solovine et Régis Hanrion, Champs Flammarion, p. 18-19.


 

    "Au cours de l'une des soirées que nous passions ensemble à notre hôtel à Bruxelles à l'occasion du congrès Solvay, quelques uns des jeunes participants, parmi lesquels Wolfgang Pauli et moi-même, se retrouvaient dans le hall de l'hôtel. Quelqu'un avait posé la question : « Einstein parle toujours de Dieu, qu'est-ce que cela signifie ? On ne peut guère imaginer qu'un scientifique comme Einstein soit fortement attaché à une tradition religieuse. » « Einstein sans doute pas, mais peut-être Max Planck », répondit quelqu'un d'autre. « Planck a fait des remarques sur la relation entre religion et science, dans ces remarques, il a affirmé qu'il n'y a pas de contradiction entre les deux, qu'elles sont au contraire parfaitement compatibles ». [...]
   « Je présume, dus-je dire, que pour Planck la religion et la science sont compatibles parce que, à son avis, elles se réfèrent à des domaines tout à fait différents de la réalité. La science traite du monde matériel objectif. Elle nous place devant une tâche qui consiste à faire des affirmations justes en ce qui concerne cette réalité objectivement et à comprendre les corrélations qu'elle comporte. La religion, au contraire, traite du monde des valeurs. Il y est question de ce qui doit être, de ce que nous devons faire, et non de ce qui est. Dans la science, il s'agit de ce qui est juste ou faux ; dans la religion, il s'agit de ce qui est bon ou mauvais, de ce qui a une valeur ou n'en a pas. La science est à la base de l'action utilitaire, la religion est la base de l'éthique. Le conflit qui se manifeste entre ces deux domaines depuis le XVIIe siècle ne paraît ainsi reposer que sur le malentendu que l'on crée si l'on veut interpréter les images et les paraboles de la religion comme des affirmations scientifiques, ce qui est évidemment absurde. Dans une telle conception - que je connais bien de par ma propre éducation familiale, - les deux domaines sont associés respectivement à la face objective et subjective du monde. La science représente en un certain sens la manière dont nous faisons face au côté objectif de la réalité, dont nous affrontons celui-ci. La croyance religieuse, par contre, est l'expression d'un choix subjectif par lequel nous décidons des valeurs qui orientent notre action dans la vie. Il est vrai qu'en règle générale nous faisons ce choix en accord avec la communauté à laquelle nous appartenons : famille, peuple, ou milieu culturel. En d'autres termes, ce choix est très fortement influencé par l'éducation et l'entourage. Mais en dernier ressort, il est tout de même subjectif, et n'est donc pas soumis au critère "juste ou faux
». [...] chez [Max Planck] les deux domaines - la face objective et la face subjective du monde - sont très nettement séparés, mais je dois avouer pour ma part que cette séparation ne me met pas à l'aise. Je doute que les sociétés humaines puissent vivre à la longue sur la base d'une telle séparation nettement tranchée entre le savoir et la croyance. » [...]
  
« Par principe, répondit Dirac, je n'ai rien à faire des mythes religieux, ne serait-ce que parce que les mythes des diverses religions se contredisent entre eux. Ce n'est qu'un pur hasard que je sois né en Europe et non en Asie, et ce n'est pas de ce hasard que peut dépendre ce qui est vrai, donc ce que je dois croire. Je ne peux en effet, croire que ce qui est vrai ». [...]
   
« La discussion se poursuivit ainsi encore pendant un moment, et nous fûmes étonnés de noter que Wolfgang [Pauli] avait cessé d'y prendre part. Il écoutait seulement, avec parfois une expression de mécontentement, quelquefois aussi avec un sourire malicieux ; mais il ne disait rien. Finalement, quelqu'un lui demanda ce qu'il pensait. Il leva alors un regard presque étonné et dit : « Oui, notre ami Dirac a lui aussi sa religion. Et cette religion a pour premier commandement : "Dieu n'existe pas, et Dirac est son prophète". » Nous éclatâmes tous de rire, y compris Dirac, et ceci termina notre discussion nocturne."
 

Werner Heisenberg, "Premières discussions sur la relation entre science et religion", 1927, in La Partie et le tout, 1969, Champs Flammarion, 1990, p. 118-119 et 123-124.


  "La position classique des scientifiques, à cette époque [les années 1920] et de nos jours encore – et c'est elle qui a permis notre victoire finale devant la Cour suprême en 1987[1] –, consiste à dire que la science et la religion relèvent de deux domaines ayant chacun leur légitimité, mais complètement séparés. Selon cette thèse « séparationniste », les phénomènes et les mécanismes naturels reviennent aux scientifiques et les principes fondamentaux des choix éthiques aux théologiens et aux humanistes en général – l'âge des roches versus le roc des âges, ou « comment marche le ciel » versus « comment aller au ciel ». En échange d'une totale liberté d'explorer tous les arcanes de la nature, les scientifiques abandonnent toute prétention à fonder des principes moraux dans la structure matérielle du monde – une disposition fort juste puisque, de toute façon, les faits de la nature ne véhiculent aucun sens moral."

 

Stephen Jay Gould, La Vie est belle, 1989, tr. fr. Marcel Blanc, Points Science, 1998, p. 340.


[1] Gould fait ici allusion au procès "Edwards vs. Aguillard", une affaire juridique sur l'enseignement du créationnisme qui a été entendue par la Cour suprême des États-Unis en 1987. La Cour a jugé que la loi de l'État de Louisiane, exigeant que la science de la création soit enseignée dans les écoles publiques, à égalité avec la théorie de l'évolution, était inconstitutionnelle parce qu'elle était spécifiquement destinée à promouvoir une religion en particulier.


  

  "La thèse que je viens d'illustrer […] représente l'attitude classique actuelle de toutes les grandes religions occidentales (et de l'ensemble de la science occidentale). […] L'absence de conflit entre la science et la religion provient d'une absence de recouvrement entre leurs domaines respectifs : la science s'occupe de la nature concrète de l'univers, tandis que la religion est en quête de valeurs morales et de sens spirituel. [...]
  Le texte de Humani generis[1] porte sur le magisterium (ou autorité doctrinale) de l'Église, mot qui ne renvoie pas à la notion de majesté ou de domination impériale incontestable mais à celle, bien différente, de l'enseignement (en latin magister signifie « enseignant »). Nous pouvons, je crois, adopter ce mot et ce concept pour cerner le message central de cet essai et exposer ici la solution théorique du problème constitué par l'hypothétique « conflit » ou « guerre » entre la science et la religion. Normalement, il n'existe pas de conflit, car chacune de ces deux catégories de la pensée humaine possède en propre son magistère (ou domaine d'autorité doctrinale), et l'un et l'autre ne se recoupent pas : il s'agit d'un principe que je désignerais ici du sigle « NOMA » (pour « non-recouvrement des magistères »). La science s'occupe du domaine de la réalité empirique et cherche à savoir de quoi est fait l'univers (recensement des faits) et pourquoi il fonctionne de cette façon (élaboration des théories). La religion s'occupe des valeurs morales et du sens. Ces deux magistères ne se recoupent pas, et ils ne couvrent pas non plus tous les sujets de questionnement (pensez, par exemple, pour commencer, au magistère de l'art et au sens de la beauté). Pour se référer aux clichés habituels, les scientifiques recherchent l'âge des roches, tandis que la religion s'occupe du « rocher des siècles »[2] ; nous étudions la façon dont marche le ciel, et elle nous enseigne comment y aller.
 
La solution du conflit (supposé) entre la science et la religion pourrait rester toujours parfaitement claire si leurs magistères respectifs étaient situés très loin l'un de l'autre, séparés par un vaste territoire vide. Mais, en réalité, ils ont de très nombreux points de contact, et s'interpénètrent de façon merveilleusement complexe le long de leur frontière commune. Un grand nombre des questions les plus profondes que nous nous posons renvoient à différents aspects des deux magistères, constituant les diverses parties d'une réponse complète, et il peut être difficile, dans ces conditions de distinguer ce qui relève légitimement de l'un et de l'autre."

 

Stephen Jay Gould, "Des magistères qui ne se recouvrent pas", 1997, tr. fr. Marcel Blanc, in Antilopes, dodos et coquillages, Points Sciences, 2008, p. 508 et p.  511-512.


[1] Humani generis est une encylique pontificale de Pie XII promulguée le 15 août 1950 et qui porte sur des "opinions et erreurs modernes menaçant de miner les fondements de la doctrine catholique".
[2] Les clichés en question comportent des jeux de mots en anglais impossibles à transposer exactement : «[Science] gets the age of rocks, and religion retains the rock of ages ; we study how the heavens go, and they determine how to go to heaven. » L'expression « rocher des siècles » désigne Dieu dans plusieurs passages de la Bible. [NdT]

 

"The position that I have just outlined by personal stories and general statements represents the standard attitude of all major Western religions (and of Western science) today. [...] The lack of conflict between science and religion arises from a lack of overlap between their respective domains of professional expertise—science in the empirical constitution of the universe, and religion in the search for proper ethical values and the spiritual meaning of our lives. [...]
  The text of Humani Generis focuses on the magisterium (or teaching authority) of the Church—a word derived not from any concept of majesty or awe but from the different notion of teaching, for magister is Latin for "teacher." We may, I think, adopt this word and concept to express the central point of this essay and the principled resolution of supposed "conflict" or "warfare" between science and religion. No such conflict should exist because each subject has a legitimate magisterium, or domain of teaching authority—and these magisteria do not overlap (the principle that I would like to designate as NOMA, or "nonoverlapping magisteria").

  The net of science covers the empirical universe: what is it made of (fact) and why does it work this way (theory). The net of religion extends over questions of moral meaning and value. These two magisteria do not overlap, nor do they encompass all inquiry (consider, for starters, the magisterium of art and the meaning of beauty). To cite the arch cliches, we get the age of rocks, and religion retains the rock of ages; we study how the heavens go, and they determine how to go to heaven.
  This resolution might remain all neat and clean if the nonoverlapping magisteria (NOMA) of science and religion were separated by an extensive no man's land. But, in fact, the two magisteria bump right up against each other, interdigitating in wondrously complex ways along their joint border. Many of our deepest questions call upon aspects of both for different parts of a full answer".

 

Stephen Jay Gould, "Nonoverlaping magisteria", Natural History 106 (March 1997): pp. 18-20.


 

  "On se plaît souvent à dire que la science n'est autre chose que la version moderne du mythe de nos origines. Les juifs avaient Adam et Eve, les Sumériens Marduk et Gilgamesh, les Grecs Zeus et les dieux de l'Olympe, les Germaniques le Walhalla. Des esprits astucieux déclarent : Qu'est-ce que l'évolution des espèces, sinon l'équivalent moderne de l'épopée des dieux et des héros, ni meilleure, ni pire, ni plus ni moins vraie ?
 Le relativisme culturel, cette philosophie de salon à la mode, lorsqu'il est poussé à l'extrême, soutient que la science n'a pas plus le droit de prétendre à la vérité que le mythe tribal : la science, c'est seulement la mythologie que notre tribu d'occidentaux modernes a choisi de privilégier. Il m'est arrivé qu'un collègue anthropologue me force à m'exprimer de manière crue sur le sujet : « Imaginez, lui dis-je, une tribu pour laquelle la Lune serait une calebasse qui, lancée au ciel, pend là, juste au-dessus de la cime des arbres. Oseriez-vous vraiment dire que nos vérités scientifiques - le fait que la Lune est à un quart de million de miles de distance, et qu'elle fait le quart du diamètre de la Terre - ne sont pas plus vraies que la calebasse de la tribu ? - Oui, répondit l'anthropologue. Nous sommes simplement éduqués au sein d'une culture qui a une vision scientifique du monde. Ils sont éduqués à voir le monde différemment. Aucune des deux perspectives n'est plus vraie que l'autre. »
  Présentez-moi un partisan du relativisme culturel à dix mille mètres d'altitude, et je vous présenterai un hypocrite. Les avions sont construits d'après des principes scientifiques, et ils volent. Ils volent, et ils vous acheminent vers la destination que vous avez choisie. Les avions construits selon des spécifications tribales ou mythologiques, tels que les maquettes d'avion vénérées dans les clairières de la jungle, ou les ailes assemblées avec de la cire du mythe d'Icare, n'en font pas autant. Si vous vous rendez en avion à un congrès international d'anthropologues ou de critiques littéraires, la raison pour laquelle vous atteindrez vraisemblablement votre destination - la raison pour laquelle vous ne piquerez pas du nez droit dans un champ - c'est qu'un grand nombre d'ingénieurs ayant étudié les sciences occidentales ont fait des calculs justes. C'est aussi la science occidentale qui, en se fondant sur le fait que la Lune est en orbite autour de la Terre à un quart de million de miles de distance, en utilisant des ordinateurs et des fusées conçus selon ses principes, est parvenue à poser des êtres humains à la surface de la Lune. La science tribale, qui croit que la Lune est située juste au-dessus de la cime des arbres, ne l'atteindra jamais qu'en rêve."
 
Richard Dawkins, Qu'est-ce que l'évolution ? Le fleuve de la vie, 1995, tr. fr. Thiên Nga Lê, Hachette Littératures, Pluriel, 1999, p. 45-46.


  "Toute tribu a eu son mythe originel - une histoire qui explique l'existence de l'Univers, de la vie, de l'humanité. En un sens, la science fournit effectivement l'équivalent de cela, du moins pour la fraction instruite de notre société moderne. On peut même la décrire comme on décrirait une religion, et ce n'était pas une simple plaisanterie de ma part lorsque j'ai publié un court article où je me prononçais en faveur de l'enseignement de la science au sein des cours d'éducation religieuse […]. Comme une religion, la science prétend répondre à des questions profondes sur les origines, l'essence de la vie, et le cosmos. Mais la ressemblance s'arrête là. Les croyances scientifiques reposent sur des faits, et elles produisent des résultats. Pas les mythes et les croyances religieuses".
 
Richard Dawkins, Qu'est-ce que l'évolution ? Le fleuve de la vie, 1995, tr. fr. Thiên Nga Lê, Hachette Littératures, Pluriel, 1999, p. 47.

 

  "Science et religion ne sont pas incompatibles, mais il vaut mieux les séparer. La science vous dit comment faire les choses, comment cela fonctionne. Par exemple, elle vous donne les recettes pour faire des OGM ou des nanotechnologies, mais elle ne vous dit pas s'il est bon de les utiliser. Les questions de valeurs, du bien ou du mal, c'est du domaine de la religion. Celle-ci offre un point de vue hautement subjectif, elle ne peut rien prouver, alors que la science, elle, est objective. Ce sont deux discours différents. Cela n'empêche pas pour autant un très bon scientifique d'être croyant ou athée. [...]
  Concernant la création de l'univers, on n'a pas avancé d'un pouce depuis des millénaires. Mais La Bible n'est pas pour autant un livre scientifique ; c'est un livre de sagesse, de croyances. Il s'agit de contes et légendes qui préexistaient et dont La Bible s'est servie pour faire des contes moraux. Il y a justement des problèmes quand il y a des intrusions, quand la science ou la religion sortent de leur domaine. Ce fut le cas entre Galilée et les Dominicains qui ont, au nom de la religion, cherché à imposer leur conception de l'univers et de l'astronomie. Galilée leur a répondu: «Dites-nous comment on va au ciel et laissez-nous vous dire comment va le ciel.»  […]

  Moi-même je me pose beaucoup de questions sur le sens de la vie. Elles se posent à tout le monde. Cet ensemble de questions reste profondément mystérieux et il faut vivre dans le mystère. Je ne crois pas qu'on puisse arriver à des réponses satisfaisantes. Moi-même, je reste dans l'interrogation."

 

Hubert Reeves, Entretien pour « 20 minutes », 7 septembre 2010.

 
 

 


Date de création : 08/12/2005 @ 10:55
Dernière modification : 29/05/2024 @ 11:07
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