"Chaque étendue réelle ne s'accomplit que dans et par l'expérience de la profondeur, et c'est précisément cette extension en profondeur et en distance, cette enjambée de l'impression superficielle sensible sur l'image organisée du macrocosme et l'émotion mystérieuse inhérente en lui, que désigne en premier lieu le mot temps - d'abord pour les sens, surtout la vue, et seulement ensuite pour la pensée. L'homme se sent - et c'est l'état d'individuation réelle de l'être éveillé - entouré u dans, l'étendue. Il suffit de poursuivre cette impression élémentaire de l'universel pour voir qu'il n'existe réellement qu'une vraie dimension de l'espace, savoir : la direction de soi vers le lointain, vers l'au-delà, vers l'avenir et que le système abstrait des trois dimensions est une représentation mécanique, non un fait de la vie. L'expérience de la profondeur étend la sensation en univers. Ce n'est pas en vain qu'on a appelé irréversible le caractère dirigé de la vie, un reste de ce caractère décisif subsiste dans la nécessité de toujours sentir la profondeur de l'univers de soi à l'horizon, jamais de l'horizon à soi. Sur cette direction est fondé le corps mobile de tous les animaux et de l'homme. Ils marchent en avant – au devant de l'avenir, en rapprochant à chaque pas non seulement du but, mais aussi de la vieillesse – et ils sentent aussi dans chacun de leurs regards en arrière un coup d'œil sur quelque chose de passé, déjà devenu histoire."
Oswald Spengler, Le Déclin de l'Occident, Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle, Première partie, 1918, Gallimard, nrf, 1976, p. 170-171.
"Être en place, c'est être d'abord loin de... ou près de... – c'est-à-dire que la place est pourvue d'un sens par rapport à un certain être non encore existant que l'on veut atteindre. C'est l'accessibilité ou l'inaccessibilité de cette fin qui définit la place. C'est donc à la lumière du non-être et du futur que ma position peut être actuellement comprise : être-là, c'est n'avoir qu'un pas à faire pour atteindre la théière, pouvoir tremper la plume dans l'encre en étendant le bras, devoir tourner le dos à la fenêtre si je veux lire sans me fatiguer les yeux, devoir enfourcher ma bicyclette et supporter pendant deux heures les fatigues d'un après-midi torride, si je veux voir mon ami Pierre, prendre le tain et passer une nuit blanche, si je veux voir Anny. Être-là, pour un colonial, c'est être à vingt jours de la France - mieux encore : s'il est fonctionnaire et qu'il attend son voyage payé, c'est être à six mois et sept jours de Bordeaux ou d'Étaples. Être-là, pour un soldat, c'est être à cent dix, à cent vingt jours de la classe ; le futur – un futur projeté – intervient partout: c'est une vie future à Bordeaux, à Étaples, la libération future du soldat, le mot futur que je tracerai avec une plume humectée d'encre, c'est tout cela qui me signifie ma place et qui me la fait exister dans l'énervement ou l'impatience ou la nostalgie. Au contraire, si je fuis un groupe d'hommes ou l'opinion publique, ma place est définie par le temps qu'il faudrait à ces gens pour me découvrir au fond du village où je gîte, pour parvenir à ce village, etc. En ce cas, cet isolement est ce qui m'annonce ma place comme favorable. Être en place, ici, c'est être à l'abri.
Ce choix de ma fin se glisse jusque dans les rapports purement spatiaux (haut et bas, droite et gauche, etc.), pour lui donner une signification existentielle. La montagne est « écrasante », si je demeure à ses pieds ; au contraire, si je suis à son sommet, elle est reprise par le projet même de mon orgueil et symbolise la supériorité que je m'attribue sur les autres hommes. La place des fleuves, la distance à la mer, etc., entrent en jeu et sont pourvues de signification symbolique : constituée à la lumière de ma fin, ma place me rappelle symboliquement cette fin dans tous ses détails comme dans ses liaisons d'ensemble. Nous y reviendrons lorsque nous voudrons mieux définir l'objet et les méthodes de la psychanalyse existentielle. Le rapport brut de distance aux objets ne peut jamais se laisser saisir en dehors des significations et des symboles qui sont notre manière même de le constituer. D'autant que ce rapport brut n'a lui-même de sens que par rapport aux choix des techniques qui permettent de mesurer les distances et de les parcourir. Telle ville sise à vingt kilomètres de mon village et reliée à lui par un tramway est beaucoup plus proche de moi qu'un sommet pierreux situé à quatre kilomètres, mais à deux mille huit cent mètres d'altitude. Heidegger a montré comment les préoccupations quotidiennes assignent des places aux ustensiles qui n'ont rien en commun avec la pure distance géométrique : mes lunettes, dit-il, une fois sur mon nez, sont beaucoup plus loin de moi que l'objet que je vois à travers elles.
Ainsi faudrait-il dire que la facticité de ma place ne m'est révélée que dans et par le libre choix que je fais de ma fin. La liberté est indispensable découverte de ma facticité. Je l'apprends, cette facticité, de tous les points du futur que je projette ; c'est à partir de ce futur choisi qu'elle m'apparaît avec ses caractères d'impuissance, de contingence, de faiblesse, d'absurdité. C’est par rapport à mon rêve de voir New York, qu'il est absurde et douloureux que je vive à Mont-de-Marsan. Mais réciproquement, la facticité est la seule réalité que la liberté peut découvrir, la seule qu'elle puisse néantiser par la position d'une fin, la seule à partir de laquelle cela ait un sens de poser une fin. Car si la fin peut éclairer la situation, c'est qu'elle est constituée comme modification projetée de cette situation. La place apparaît à partir des changements que je projette. Mais changer implique justement quelque chose à changer qui est justement ma place. Ainsi, la liberté est l'appréhension de ma facticité.
Jean-Paul Sartre, L'Être et le néant, 1943, 4e partie, 1, II, A, Éditions Gallimard, coll. Tel, 1976, p. 538-539.
"L'étendue et le temps ne sont point séparables. Mais qu'est-ce dans notre perception que le temps ? Quand nous nous représentons l'étendue dans les choses, nous nous représentons notre puissance sur les choses, c'est-à-dire le pouvoir que nous avons d'atteindre des sensations qui actuellement nous manquent, et cela en passant par certains moyens ou intermédiaires. C'est donc la possibilité de mouvement de moi qui n'est pas représenté par l'étendue. L'étendue est la marque de ma puissance. Le temps est la marque de mon impuissance. Il exprime la nécessité qui lie ces mouvements de moi à tous les autres mouvements de l'univers. Il nous représente donc la nécessité où nous sommes, pour atteindre ces sensations qui nous attendent, de passer par certains intermédiaires, mais aussi de faire une action réelle qui entre dans l'action et la réaction de tous les êtres, c'est-à-dire qui ne dépend pas seulement de nous. L'étendue et le temps nous représentent donc également notre dépendance par rapport aux choses, sous la forme de l'étendue, cette dépendance est représentée à la fois comme réelle et possible, au lieu que sous la forme du temps notre dépendance nous est représentée comme réelle. L'étendue nous représente le possible, le temps nous représente ce qui dans le possible sera réel. Le temps, c'est l'écart toujours nécessaire entre la pensée objective, qui se donne les choses comme actuellement réelles, et la pensée subjective, individuelle, sensible, par laquelle nous analysons ou parcourons l'univers."
Jules Lagneau, "Cours sur la perception", in Célèbres Leçons, P.U.F., 1950, p. 175-176.
"Un nouveau concept apparaît en physique, l'invention la plus importante depuis le temps de Newton : le champ. Il fallait une puissante imagination scientifique pour concevoir que ce ne sont pas les charges, ni les particules, mais le champ dans l'espace entre les charges et les particules qui est essentiel pour la description des phénomènes physiques. Ce concept de champ se montre extrêmement fécond et conduit à formuler les équations de Maxwell, qui décrivent la structure du champ électromagnétique et gouvernent les phénomènes électriques aussi bien que les phénomènes optiques.
La théorie de la relativité naît des problèmes du champ. Les contradictions et les inconséquences des anciennes théories nous obligent à attribuer des propriétés nouvelles au continuum espace-temps, qui est la scène de tous les événements de notre monde physique.
La théorie de la relativité se développe en deux étapes. La première conduit à la théorie de la relativité restreinte, qui s'applique seulement à des systèmes de coordonnées d'inertie, c'est-à-dire à des systèmes où la loi de l'inertie, telle qu'elle a été formulée par Newton, est valable. La théorie de la relativité restreinte est fondée sur deux suppositions fondamentales : les lois physiques sont les mêmes dans tous les systèmes de coordonnées en mouvement uniforme les uns par rapport aux autres ; la vitesse de la lumière a toujours la même valeur. De ces suppositions, pleinement confirmées par l'expérience, sont déduites les propriétés des règles et des horloges en mouvement, où la longueur des premières et le rythme des dernières changent avec la vitesse. La théorie de la relativité modifie les lois de la mécanique. Les anciennes lois ne sont pas valables, si la vitesse d'une particule s'approche de celle de la lumière. Les nouvelles lois pour un corps en mouvement, telles qu'elles ont été formulées par la théorie de la relativité, ont été confirmées avec éclat par l'expérience. Une autre conséquence de la théorie de la relativité (restreinte) est la connexion entre la masse et l'énergie. La masse est énergie et l'énergie a une masse. Les deux lois de conservation sont combinées en une seule, la loi de la conservation de la masse-énergie.
La théorie de la relativité générale donne encore une analyse plus approfondie du continuum espace-temps. La validité de la théorie n'est plus limitée aux systèmes de coordonnées d'inertie. Elle attaque le problème de la gravitation et formule de nouvelles lois de structure pour le champ de gravitation. Elle nous force à analyser le rôle joué par la géométrie dans la description du monde physique. Elle regarde l'égalité de la masse pesante et de la masse inerte comme essentielle et non comme purement accidentelle, ce que faisait la mécanique classique. Les conséquences expérimentales de la théorie de la relativité générale ne diffèrent que très peu de celles de la mécanique classique. Elles résistent bien à l'épreuve de l'expérience partout où la comparaison est possible. Mais la force de la théorie réside dans sa cohésion interne et la simplicité de ses suppositions fondamentales.
La théorie de la relativité insiste sur l'importance du concept de champ en physique. Mais nous n'avons pas encore réussi à formuler une physique fondée uniquement sur le champ. Pour le moment, nous sommes toujours obligés de supposer l'existence de deux réalités : le champ et la matière."
Albert Einstein et Léopold Infeld, L'Évolution des idées en physique, 1938, tr. fr. Maurice Solovine, Flammarion, Champs, 1982, p. 230-232.
"Traditionnellement, on considère que l'espace et le temps sont deux propriétés distinctes du monde. Considérons l'espace métrique : quand nous mesurons une distance, comme c'est le cas en géographie ou en architecture nous prenons du temps pour aller et venir, mais nos mesures ne rendent pas compte de ce temps. Au contraire, la perception immédiate de l'espace est toujours une activité orientée temporellement. La seule manière de retenir une image spatiale qui puisse servir de référence et qui soit en dehors du temps consiste à éliminer mentalement le temps ; c'est le cas lorsqu'on repère le territoire d'un habitat ou qu'on reconnaît un objet particulier. L'indépendance par rapport à l'espace immédiat et à l'écoulement du temps suppose que l'on fasse abstraction d'un ensemble d'événements qui auraient pu être ou qui ont été liés à une action, anticipée ou déjà effectuée."
Jacques Paillard, "Traitement des informations spatiales", in De l'espace corporel à l'espace écologique, PUF, 1974, p. 68.
"Que chacun regarde autour de lui l'espace. Que voit-il ? Voit-il le temps ? Il le vit. Il est dedans. Chacun ne voit que des mouvements. Dans la nature, le temps se saisit dans l'espace, au cœur, au sein de l'espace : l'heure du jour, la saison, la hauteur du soleil au-dessus de l'horizon, la place de la lune et des étoiles dans le ciel, le froid et la chaleur, l'âge de chaque être naturel. Avant que la nature soit localisée dans le sous-développement, chaque lieu porte son âge et la trace, comme le tronc d'un arbre, du temps qui l'a engendré. Le temps s'inscrit dans l'espace et l'espace-nature n'est que l'écriture lyrique et tragique du temps-nature. Ne disons pas comme certains philosophes la dégradation de la durée, ou le simple résultat de l' « évolution ». Or, te temps disparaît dans l'espace social de la modernité. Il ne s'écrit que sur les appareils de mesure, isolés, spécialisés eux aussi : les horloges. Le temps vécu perd forme et intérêt social, sauf le temps de travail. L'espace économique se subordonne le temps ; quant à l'espace politique, il l'évacue comme menaçant et dangereux (pour le pouvoir). Le primat de l'économique et plus encore celui du politique entraîne la suprématie de l'espace sur le temps. Il se pourrait donc que l'erreur concernant l'espace concerne en vérité et plus intimement le temps : plus proche encore, plus fondamental que l'espace. Le temps, ce « vécu » essentiel, ce bien entre les biens, ne se voit pas, ne se lit pas. Il ne se construit pas. Il se consume, il s'épuise, et c'est la fin. Le temps ne laisse que des traces. Il se dissimule dans l'espace sous les débris qui l'encombrent et dont on se débarrasse au plus vite : les déchets polluent.
Cette évacuation apparente du temps ne serait-elle pas un des traits caractéristiques de la modernité ? N'aurait-elle pas une portée plus grande qu'un simple effacement des traces, des ratures, sur une feuille de papier ? S'il est vrai que le temps s'apprécie en argent, qu'il s'achète et se vend comme un objet quelconque (le temps c'est de l'argent !), il disparaît comme tel ; ce n'est même plus une dimension de l'espace, mais le brouillon ou gribouillis qu'une épure bien faite va gommer. Cette évacuation viserait-elle le temps dit historique ? Oui, mais à titre de symbole. C'est le temps de vivre, le temps comme bien irréductible qu'élude la logique de la visualisation et de la spatialisation, pour autant qu'il y ait logique. Porté à la dignité ontologique par les philosophes, le temps est tué par la société."
Henri Lefebvre, La Production de l'espace, 1974, 4e édition, Ed. Anthropos, 2000, p. 114-115.
"[Il faut souligner l'interaction qui s'effectue] entre l'accélération de la mondialisation et une redéfinition sensible du rapport au temps : tout va plus vite et ce « plus vite » est ressenti d'autant plus fortement qu'il est relié à la perception d'une propagation mondiale. La mondialisation se vit sur le mode d'une « tyrannie du temps réel sur l'espace réel », comme si, d'une certaine façon, l'égalisation des conditions d'accès à l'espace par les différents acteurs […] faisait basculer la compétition dans le champ du temps. IL ne s'agit plus de gagner de nouveaux espaces, mais de gagner du temps. Ou, de manière plus précise encore, c'est en gagnant du temps […] que l'on peut regagner de nouveaux espaces (les marchés pour les entreprises). L'espace mondial se trouve ainsi intégralement temporalisé. Être dans le « temps mondial » revient à être partie prenante à une nouvelle dynamique planétaire et non pas appartenir à un espace donné."
Zaki Laïdi, Le Temps mondial, 1997, Éditions Complexe, Paris, p. 33.
"La relativité restreinte exprime une loi […] pour tous les mouvements : pour n'importe quel objet, la vitesse combinée de son mouvement dans l'espace et de son mouvement dans le temps est toujours précisément égale à la vitesse de la lumière. À première vue, nous serions enclins à rejeter cette déclaration puisque nous savons tous que la lumière est la seule à pouvoir cheminer à cette vitesse. Mais cette affirmation familière ne concerne que le mouvement dans l'espace. Nous parlons maintenant de quelque chose qui est bel et bien en rapport avec cela, mais qui est toutefois beaucoup plus riche : il s'agit du mouvement combiné dans l'espace et dans le temps. Le fait capital qu'à découvert Einstein, c'est que ces deux types de mouvement sont toujours complémentaires. Lorsque la voiture initialement à l'arrêt démarre et s'éloigne à toute vitesse, ce qui se passe réellement, c'est qu'une partie de son mouvement dans le temps à la vitesse de la lumière est déviée en mouvement dans l'espace, laissant inchangée la vitesse totale. Cette déviation implique irréfutablement que le mouvement de la voiture dans le temps est ralenti. […]
En outre, la vitesse maximale dans l'espace n'est atteinte que lorsque tout le mouvement dans le temps à la vitesse de la lumière est dévié en mouvement dans l'espace à cette même vitesse (voilà une manière de se convaincre qu'il est impossible de dépasser la vitesse de la lumière dans l'espace). La lumière, qui chemine toujours à la vitesse de la lumière dans l'espace, représente un cas particulier puisque son mouvement se fait toujours uniquement dans l'espace. Et, de même qu'obliquer complètement vers l'est ne laisse plus de vitesse pour aller vers le nord, le mouvement à la vitesse de la lumière dans l'espace ne permet pas d'évoluer dans le temps ! Le temps s'arrête lorsqu'on voyage dans l'espace à la vitesse de la lumière. L'horloge d'une particule de lumière n'émet aucun tic-tac. La lumière réalise le rêve de l'explorateur Ponce de Léon, qui crut trouver la fontaine de Jouvence, et de tous les fabricants de cosmétiques : elle ne vieillit pas.
Cela apparaît clairement : les effets de la relativité restreinte sont d'autant plus prononcés que la vitesse (dans l'espace) est une fraction plus élevée de la vitesse de la lumière. Mais cette complémentarité si peu familière entre le mouvement dans le temps et dans l'espace est toujours vraie. Plus la vitesse est basse, plus faible est l'écart avec la physique relativiste (disons celle du sens commun), mais une chose est sûre : aussi ténu soit-il, l'écart existe néanmoins.
Vraiment. Il ne s'agit pas d'une manière habile de présenter les choses, ni d'un tour de passe-passe, ni d'une quelconque illusion psychologique. C'est vraiment comme ça que l'Univers fonctionne."
Brian Greene, La Magie du cosmos, 2004, tr. fr. Céline Laroche, Folio Essais, 2007, p. 96-98.
"Les effets de l'accélération technique sur la réalité sociale sont sans aucun doute énormes. En particulier, ils ont complètement transformé le « régime spatio-temporel » de la société, c'est-à-dire la perception et l'organisation de l'espace et du temps dans la vie sociale. Ainsi, la priorité « naturelle » (c'est-à-dire anthropologique) de l'espace sur le temps dans la perception humaine, qui est enracinée dans nos organes sensoriels et dans les effets de la gravité, permettant de distinguer immédiatement entre ce qui est « au-dessus » et « en dessous », « devant » et « derrière », mais pas entre ce qui est « plus tôt » ou « plus tard », semble s'être inversée : à l'ère de la mondialisation et du règne de l'actualité que représente Internet, le temps est de plus en plus conçu comme un élément de compression ou même d'annihilation de l'espace. Il semble que l'espace se « contracte » virtuellement par la vitesse des transports et de la communication. Ainsi, mesuré en fonction du temps nécessaire pour franchir la distance entre, par exemple, Londres et New York, l'espace s'est rétréci, depuis l'époque préindustrielle des navires à voiles jusqu'à celle des avions à réaction, pour finir par mesurer un soixantième de sa taille d'origine : là où il fallait environ trois semaines, il faut maintenant à peu près huit heures.
Dans ce processus, l'espace, à bien des égards, perd de son importance pour l'orientation dans le monde de la modernité tardive. Les activités et les développements ne sont plus localisés et les endroits réels tels que les hôtels, les banques, les universités ou les centres industriels tendent à devenir des « non-lieux », c'est-à-dire des endroits sans histoire, sans identité ou sans relation."
Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité, 2010, tr. fr. Thomas Chaumont, La Découverte, 2012, p. 19-20.
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