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Texte à méditer :  Deviens ce que tu es.
  
Pindare
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Hors des sentiers battus
L'espace vécu

  "J'ouvre les yeux. L'espace clair s'ouvre alors tout grand devant moi. Je vois dans cet espace des couleurs et des différences de luminosité, c'est entendu, mais je vois également des objets aux contours précis et je vois aussi la distance qui les sépare les uns des autres ou « l'à côté » qui les met en rapport plus intime, du point de vue spatial. Je vois les choses, mais je vois de plus l'espace vide, l'espace libre qui se trouve entre elles ; et cet espace, je le vois aussi bien que les objets qui s'y trouvent. Il y a de l'étendue, il y a de « l'espace », aurais-je envie de dire, dans cet espace clair. Certes les choses me paraissent plus matérielles que l'espace qui, lui, paraît plus éphémère et moins palpable ; je ne l'en perçois pas moins bien pour cela, il sert seulement ici de forme, de toile de fond pour les objets qui s'y trouvent et qui, en ce qui concerne leur matérialité, le dominent.
  Il n'est pas dit évidemment que cet espace doive se réduire uniquement à des phénomènes visuels ; nous pouvons fort bien y percevoir des sons, mais ces sons seront rattachés aux objets qui se trouvent dans l'espace ; c'est ainsi que je puis y entendre le tic-tac de la pendule qui est sur ma table ou les paroles prononcées par la personne qui est assise en face de moi.
  Tout dans cet espace est clair, précis, naturel, non problématique.
  Je me situe aussi dans cet espace et en le faisant je me rends semblable, du moins par un côté de mon être, aux choses ambiantes ; exactement comme elles, j'occupe une place dans cet espace, par rapport aux autres objets qui s'y trouvent. Je « rentre dans le rang » de cette façon, pour ainsi dire, et l'espace qui nous englobe tous opère ainsi un travail de nivellement. L'espace devient ainsi « du domaine public », comme je le disais ; je le partage avec tout ce qui s'y trouve ; il n'est pas plus à moi qu'à tout ce qu'il contient en dehors de moi ; je n'y occupe qu'une bien petite place. C'est dans cet espace aussi que je vois mes semblables regarder, se mouvoir, agir, vivre comme moi. L'espace clair est un espace socialisé d'emblée, au sens le plus large du mot. C'est dans cet espace d'ailleurs que viendra également s'épancher, sans entraves, mon activité ; j'y trouverai toujours la place nécessaire pour cette activité ; et là de nouveau ce qui caractérisera cet espace, ce seront les notions de distance, d'étendue et d'ampleur.
  En me situant dans cet espace, je ne me livre pas en entier à lui. Je conserve des recoins de mon être qui restent bien à moi, qui renient l'espace. Et les mots d'extro ou d'introspection, qui sont réellement un regarder en dehors et un regarder en dedans, sans que pour cela ce que nous découvrions par ce « regarder en dedans » soit réellement en dedans de moi, ont un sens uniquement par rapport à cet espace clair."

 

Eugène Minkowski, Le temps vécu, 1933, PUF, 1995, p. 392-393.



  "La définition de l'espace vécu est […] assez simple : c'est l'espace vu des hommes, non seulement dans leurs déplacements qui constituent l'armature de leurs espaces de vie, mais aussi par toutes les valeur qu'ils attribuent à ces espaces en tant qu'hommes. L'espace est perçu, et inégalement perçu, selon des distances qui ne sont pas uniquement kilométriques mais se révèlent aussi distances-temps, distances sociales, distances écologiques, distances culturelles. L'espace est représenté, à la mesure de ces perceptions et des schèmes qui les organisent, les effacent ou les soulignent. L'espace est inégalement valorisé selon les pulsions et les cultures de ceux qui y vivent. L'espace est ainsi porteur d'une charge d'humanité qui fait que, par un glissement abusif, on lui prêtera parfois une personnalité (la personnalité d'une ville ou d'un pays ou même d'un département), un esprit (l' « esprit des lieux »), voire une âme. Il est plus juste d'affirmer que ce sont les hommes qui font les lieux, et par conséquent l'espace, et non l'inverse, même si chaque lieu a sa matérialité propre. L'espace matériel ou objectif, est ainsi paré d'une enveloppe culturelle, mais les deux restent indissociables. […]
  Sur un même espace, en des mêmes lieux, les hommes ont des représentations multiples et variées."

 

Armand Frémont, "Géographie et espace vécu", in Les espaces de l'homme, Odile Jacob, 2005, p. 102-103.
 

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Date de création : 16/11/2013 @ 16:22
Dernière modification : 23/03/2014 @ 15:21
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