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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
La notion de territoire

  "D'après Rousseau, le bâtisseur de la première barrière fut le fondateur de la civilisation. Depuis H.E. Howard (1920) nous savons toutefois que beaucoup d'animaux défendent une certaine partie de leur domaine contre leurs semblables, et que, dans un certains sens, ils le délimitent d'une manière spécifique. Le territoire peut être la propriété d'un seul animal qui en repousse tous ses semblables ou seulement ses congénères du même sexe, mais il peut être aussi la propriété d'un petit groupe qui n'en éconduit que les membres étrangers au groupe.
  Éthologiquement un territoire est défini comme un espace dans lequel un animal ou un groupe domine généralement les autres, qui à leur tour peuvent devenir dominants ailleurs. La domination peut être exercée par différents moyens, par exemple menace, combat, chants territoriaux ou marquage chimique olfactif.

  Chez le hamster, le mâle et ra femelle sont des solitaires qui ne vivent ensemble qu'occasionnellement pendant ra saison de reproduction. Les femelles elles-mêmes ne vivent qu'un temps relativement réduit avec leurs petits. Chez beaucoup d'oiseaux, mais aussi chez quelques Mammifères, le couple défend son territoire, mais il existe également beaucoup d'animaux qui occupent un territoire en associations plus vastes : hardes, troupeaux ou grandes bandes, et le défendent contre les groupes étrangers. Il en est ainsi chez les loups, les  hamadryas[1] et les rats, pour ne citer que quelques exemples. Les souris domestiques Mus musculus, les surmulots Rattus norvegicus et les rats noirs R. rattus, vivent dans des sociétés qui s'étendent au-delà de l'unité familiale, par le fait que les générations successives, restent ensemble. Ces animaux défendent en groupe leur territoire contre les étrangers d'autres groupes de leur espèce. […]
  Chez certains animaux la territorialité n'existe que pendant une certaine saison, chez les hirondelles et les étourneaux par exemple, à la saison des accouplements ; ensuite les oiseaux migrent en grands vols jusqu'à leur lieu d'hivernage. Là ils sont plus sociaux, évitant cependant des contacts trop étroits. Posés sur un fil électrique ils garderont une certaine distance entre eux. Il est évident que l'intolérance territoriale ne peut pas toujours être supprimée.
  Le comportement territorial assure un certain espace pour vivre ou un endroit de refuge, à un animal ou à un groupe d'animaux. Il est par exemple très important pour un passereau qu'aucun autre congénère ne couve dans les environs immédiats de son nid, car ce n'est que de cette façon qu'il peut trouver la quantité de nourriture nécessaire à sa nichée. Au-delà, s'impose la question de compétition pour les lieux de nidification ou de refuge. Par exemple les poissons-anémones ne défendent pas leurs anémones comme lieux de pâturage, mais comme endroit de refuge, et ceci est valable pour un bon nombre de poissons de récifs. Les animaux se répartissent plus régulièrement au travers du comportement territorial. Une pression est exercée sur les voisins, et en fin d'analyse cela sert finalement aussi à l'expansion de l'espèce. Finalement le résultat du comportement territorial est peut-être de prévenir la surexploitation d'un emplacement comme par exemple la surpâture. Ceci vaut aussi bien pour les individus, les couples ou les groupes plus importants qui s'opposent les uns les autres comme des unités intolérantes. Si des groupes se font pression les uns sur les autres, cela conduit également à la dispersion. Chez les singes en liberté, la territorialité du groupe est une caractéristique très fréquente, et l'analogie avec le comportement humain est frappante […] Les membres de différents groupes se menacent et se combattent entre eux, et il peut se déclarer de véritables batailles de groupes. […]
  Mâles et femelles peuvent participer de la même façon à la défense de leur territoire. Mais en premier lieu, c'est le plus souvent, et même exclusivement le mâle, qui possède le territoire. Ceci arrive le plus fréquemment pendant la période de reproduction, le reste du temps les animaux pouvant être relativement pacifiques. Ici I'objectif est la possession de la femelle. L'avantage sélectif de tels combats entre rivaux provient du fait que le plus fort, et par là le plus sain, arrive à procréer et, chez certains animaux, le plus fort assume le rôle de protecteur de la nichée. […]
  Pour éviter un malentendu, il doit être souligné que les espèces territoriales ne défendent pas toujours, contre leurs congénères, l'ensemble des lieux qu'ils visitent. De fait, une zone neutre peut exister dans un terrain qui est régulièrement fréquenté par un animal. Le lieu fréquenté mais non défendu par l'animal est appelé son domaine vital. Chez les otaries des Galapagos, Zalophus wollebaeki, les mâles défendent une certaine bande de rivage aussi bien aquatique que terrestre. Par contre en mer, les zones de pêche ne sont pas défendues. […] Parfois un animal défend l'ensemble de son domaine vital qui est alors petit et se confond avec le territoire. Le territoire n'est pas nécessairement une surface délimitée par des frontières rigides ; il peut s'agir aussi d'un système de cheminement avec quelques points fixes. Les surmulots ne poursuivent un congénère étranger qu'aux passages qu'ils ont marqués ; le rat noir par contre défend toute la surface qui est croisée par les chemins qui la sillonnent.
[…]
  Il est erroné de croire que les animaux territoriaux sont inlassablement en querelle avec leurs voisins. Les animaux en général, ne combattent que lors de l'établissement de leur territoire et, occasionnellement contre des étrangers, très rarement toutefois avec le voisin. Ils se connaissent et respectent mutuellement leur territoire. Ainsi, on n'observe chez l'otarie de Galapagos qu'une ébauche de combat entre deux voisins, mais de vives explications avec un intrus étranger.

[…] nous parlerons donc de territoire […] comme d'une surface sur laquelle un individu ou un groupe ne tolèrent pas des membres de leur même espèce, repoussant également tous les étrangers ou seulement ceux du même sexe. La propriété du territoire peut être limitée à des périodes de temps déterminées.
  Des marques naturelles sont souvent admises comme frontières de territoire. Chez l'épinoche on peut modifier expérimentalement les limites territoriales. Une touffe d'Elodea fraîchement plantée est aussitôt prise comme frontière par le poisson, même si elle réduit la dimension du territoire d'origine. […]

  Le lieu accaparé par un animal ou un troupeau est souvent délimité par un marquage particulier ; beaucoup de Mammifères font des marques odorantes, en déposant en des points déterminés autour du territoire, des sécrétions de glandes, des déjections, ou encore de l'urine. […]
  En dehors du marquage par les odeurs, il existe d'autres possibilités pour indiquer la propriété d'un territoire. On peut, par exemple, la proclamer par des appels ou des comportements très ostentatoires. Le mâle de l'otarie crie inlassablement pendant qu'il nage sans arrêt sur toute la longueur de sa partie de rivage. Aux frontières territoriales il grimpe de temps à autre sur la rive et crie vers le voisin qui réagit de la même manière  sans que pour cela il y ait combat. […] Les groupes de singes hurleurs Alouatta palliata marquent leur territoire par des concerts de cris, exécutés plus spécialement aux premières heures matinales. Enfin on connaît bien le chant territorial des passereaux.
  Beaucoup d'animaux paradent d'une manière fortement ostensible sur leur territoire et sont le plus souvent colorés de façon très voyante. Les exhibitions génitales de différents Primates, peuvent être interprétées comme un marquage visuel de territoire.
  La possession d'un territoire est souvent sous-jacente à l'apparition d'un  comportement agressif. Les épinoches nagent en groupes paisibles sans livrée d'apparat jusqu'à ce qu'elles aient trouvé un endroit adéquat pour établir un territoire. Aussitôt qu'un poisson a trouvé un emplacement, son ventre devient rouge ; les autres mâles sont attaqués quand ils s'approchent trop près. Mais la disposition à l'attaque diminue avec l'éloignement de leur territoire […].
  Les individus les plus agressifs conquièrent, en général, des territoires mieux situés et plus vastes. […]
  Parfois les aires défendues sont très petites. Beaucoup d'oiseaux qui couvent en colonie, nichent exactement à la distance de becquetage des voisins.
  De nombreux animaux sont prêts à attaquer un congénère en dehors de leur territoire lorsqu'ils s'approchent de trop près. Ils semblent être entourés par un petit espace inviolable.  La « distance individuelle » lorsqu'elle est franchie par un individu de même espèce déclenchera un combat [...]."

 

Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Éthologie, biologie du comportement, 3e édition, 1984, tr. fr. A. Lehmann et R.G. Busnel, Ophrys, p. 400-409.


[1] Le Babouin hamadryas (Papio hamadryas), ou hamadryas, est un babouin des régions arides qui se rencontre de part et d'autre de la mer Rouge et dans la Corne de l'Afrique ([Djibouti, Éthiopie, Érythrée Somalie).



 "Qu'est-ce qui distingue le territoire des catégories aujourd'hui aussi familières aux sciences humaines que celles de l'espace géographique, de l'espace social et de l'espace vécu ? Qu'est-ce qu'il apporte de plus qu'elles ? Sa vertu essentielle réside sans doute dans la globalité et dans la complexité de son contenu sémantique, dans le fait que sa construction, en un lieu ou en un ensemble de lieux donnés, mobilise tous les registres de la vie humaine et sociale. Son édification combine les dimensions concrètes, matérielles, celles des objets et des espaces, celles des pratiques et des expériences sociales, mais aussi les dimensions idéelles des représentations (idées, images, symboles) et des pouvoirs. Ajoutons que ces différents registres trouvent leur principe unificateur et leur cohérence dans le sens que les individus confèrent à leur existence terrestre, au travers de l'espace qu'ils s'approprient et dont ils font une valeur existentielle centrale."

 

Guy Di Méo, Géographie sociale et territoires, Nathan, 2001.



  "Le territoire peut se définir comme un certain espace où vivent des communautés humaines ayant un sentiment plus ou moins net d'appropriation des lieux qui le composent. Espaces fonctionnels, espaces de vie mais aussi espaces vécus. Les territoires ne sont plus ce qu'ils étaient parce que la mobilité s'est substituée à l'enracinement, parce que la volonté de délimiter, parfois artificiellement, a été remplacée par celle d'ouvrir et de dépasser, parce que l'enracinement local est souvent remplacé par le désir d'ailleurs. Il est donc bien difficile aux géographes contemporains de retrouver maintenant, bien cernés, les pays, les régions, les quartiers. Ce sont encore les circonscriptions administratives qui conservent le mieux les limites. Les nouvelles organisations de l'espace se fondent sur des réseaux, des pôles et des flux, maîtres mots d'une géographie actuelle. Et ces réseaux, pour ne prendre que ceux-ci, ne coïncident pas vraiment sur le même espace. Ils s'ajustent, ils se croisent, ils se superposent, à la mesure des libertés de chacun. Réseaux économiques, réseaux professionnels, réseaux familiaux, réseaux d'amitiés, réseaux de transports ou de loisirs. Les nouveaux territoires, aussi incertains que chaque homme peut l'être, sont faits de cette pâte-là. Ce sont les domaines qu'il faut maintenant explorer."


Armand Frémont, "Géographie et espace vécu", in Les espaces de l'homme, Odile Jacob, 2005, p. 106-107.

 

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Date de création : 02/12/2013 @ 14:03
Dernière modification : 20/01/2014 @ 15:22
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