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Texte à méditer :   De l'amibe à Einstein, il n'y a qu'un pas.   Karl Popper
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Hors des sentiers battus
La nature de l'espace

  "[Mais] puisque chacune de ces perceptions est une et indivisible, elles ne peuvent absolument pas nous donner l'idée de l'étendue.
  Nous pouvons illustrer cela en considérant le sens du toucher et la distance ou l'intervalle imaginaire que l'on interpose entre des objets tangibles ou solides. Je suppose deux cas, à savoir celui d'un homme flottant dans les airs et faisant aller et venir ses membres sans rien rencontrer de tangible, et celui d'un homme qui, sentant quelque chose de tangible, l'abandonne, puis, après un mouvement dont il a conscience, perçoit un autre objet tangible ; et je demande alors en quoi consiste la différence entre ces deux cas. Nul ne se fera scrupule d'affirmer qu'elle consiste simplement dans le fait de percevoir ces objets et que la sensation qui résulte des mouvements est la même dans les deux cas. Et comme cette sensation n'est pas capable de nous communiquer l'idée d'étendue si elle n'est accompagnée de quelque autre perception, elle ne peut pas davantage nous donner cette idée quand elle est associée à des impressions d'objets tangibles, puisque cette association ne la modifie en rien."

 

Hume, Traité de la nature humaine I, 1739, traduction Philippe Baranger & Philippe Saltel, Paris, G.F., 1995, p. 113.



  "L'espace ne représente aucune propriété des choses en soi, soit qu'on les considère en elles-mêmes, soit qu'on les considère dans leurs rapports entre elles. En d'autres termes, il ne représente aucune détermination des choses qui soit inhérente aux objets mêmes, et qui subsiste abstraction faite de toutes les conditions subjectives de l'intuition. [...]
  L'espace n'est autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c'est-à-dire la seule condition subjective de la sensibilité sous laquelle soit possible pour nous une intuition extérieure. Or, comme la réceptivité en vertu de laquelle le sujet peut être affecté par des objets précède nécessairement toutes les intuitions de ces objets, on comprend aisément comment la forme de tous les phénomènes peut être donnée dans l'esprit antérieurement à toutes les perceptions réelles, par conséquent a priori, et comment, étant une intuition pure où tous les objets doivent être déterminés, elle peut contenir antérieurement à toute expérience les principes de leurs rapports.
  Nous ne pouvons donc parler d'espace, d'êtres étendus, etc., qu'au point de vue de l'homme. Que si nous sortons de la condition subjective sans laquelle nous ne saurions recevoir d'intuitions extérieures, c'est-à-dire être affectés par les objets, la représentation de l'espace ne signifie plus rien.
  Les choses ne reçoivent ce prédicat qu'autant qu'elles nous apparaissent, c'est-à-dire qu'elles sont des objets de la sensibilité. La forme constante de cette réceptivité, que nous nommons sensibilité, est une condition nécessaire de tous les rapports où nous percevons intuitivement des objets comme extérieurs à nous ; et, si l'on fait abstraction de ces objets, elle est une intuition pure qui porte le nom d'espace. [...]
  [...] Personne ne saurait voir a priori la représentation d'une couleur, ou celle d'une saveur, tandis que l'espace ne concernant que la forme pure de l'intuition et ne renfermant par conséquent aucune sensation (rien d'empirique), tous ses modes et toutes ses déterminations peuvent et doivent même être représentés a priori, pour donner lieu aux concepts des figures et de leurs rapports. Lui seul peut donc faire que les choses soient pour nous des objets extérieurs."

 

Kant, Critique de la raison pure, 1787, "Esthétique transcendantale", 1ère section, trad. J. Barni, § 3, Garnier-Flammarion, p. 86-88.


 

  "1. L'espace n'est pas un concept empirique qui ait été tiré d'expériences externes. En effet, pour que certaines sensations puissent être rapportées à quelque chose d'extérieur à moi (c'est-à-dire à quelque chose situé dans un autre lieu de l'espace que celui dans lequel je me trouve), et de même, pour que je puisse me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres, - par conséquent comme n'étant pas seulement distinctes, mais placées dans des lieux différents - il faut que la représentation de l'espace soit posée déjà comme fondement. Par suite la représentation de l'espace ne peut pas être tirée par l'expérience des rapports des phénomènes extérieurs, mais l'expérience extérieure n'est elle-même possible avant tout qu'au moyen de cette représentation.
  2. L'espace est une représentation nécessaire a priori qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. On ne peut jamais se représenter qu'il n'y ait pas d'espace, quoique l'on puisse bien penser qu'il n'y ait pas d'objets dans l'espace. Il est considéré comme la condition de la possibilité des phénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende, et il est une représentation a priori qui sert de fondement, d'une manière nécessaire, aux phénomènes extérieurs.

  3. Sur cette nécessité a priori se fonde la certitude apodictique de tous les principes géométriques et la possibilité de leur construction a priori. En effet, si cette représentation de l'espace était un concept acquis a posteriori qui serait puisé dans la commune expérience externe, les premiers principes de la détermination mathématique ne seraient rien que des perceptions. Ils auraient donc toute la contingence de la perception ; et il ne serait pas nécessaire qu'entre deux points il n'y ait qu'une seule ligne droite, mais l'expérience nous apprendrait qu'il en est toujours ainsi [...].
  4. L'espace n'est pas un concept discursif, ou, comme on dit, un concept universel de rapport des choses en général, mais une pure intuition. En effet, on ne peut d'abord se représenter qu'un espace unique, et, quand on parle de plusieurs espaces, on n'entend par là que les parties d'un seul et même espace. Ces parties ne sauraient, non plus, être antérieures à cet espace unique qui comprend tout, comme si elles en étaient les éléments (capables de le constituer par leur assemblage), mais elles ne peuvent, au contraire, être pensées qu'en lui. Il est essentiellement un ; le divers qui est en lui et, par conséquent, aussi le concept universel d'espace en général, repose en dernière analyse sur des limitations. Il suit de là que, par rapport à l'espace, une intuition a priori (qui n'est pas empirique) est à la base de tous les concepts que nous en formons. C'est ainsi que tous les principes géométriques - par exemple, que dans un triangle, la somme de deux côtés est plus grande que le troisième - ne sont jamais déduits des concepts généraux de la ligne et du triangle, mais de l'intuition, et cela a priori et avec une certitude apodictique."

 

Kant, Critique de la raison pure, 1787, "Esthétique transcendantale", première section, tr. fr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF, 1997, p. 55-57.


 

  "a. L'espace ne représente ni une propriété des choses en soi, ni ces choses dans leurs rapports entre elles, c'est-à-dire aucune détermination des choses qui soit inhérente aux objets mêmes et qui subsiste si on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de l'intuition. En effet, il n'y a pas de déterminations, soit absolues, soit relatives, qui puissent être intuitionnées avant l'existence des choses auxquelles elles appartiennent et, par conséquent, a priori.
  b. L'espace n'est rien autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c'est-à-dire la condition subjective de la sensibilité sous laquelle seule nous est possible une intuition extérieure. Or, comme la réceptivité en vertu de laquelle le sujet peut être affecté par des objets précède, d'une manière nécessaire ? toutes les intuitions de ces objets, on comprend facilement comment la forme de tous les phénomènes peut être donnée dans l'esprit, antérieurement à toute perception réelle — par conséquent a priori — et comment, avant toute expérience, elle peut comme une intuition pure, dans laquelle tous les objets doivent être déterminés, contenir les principes de leurs relations."

 

Kant, Critique de la raison pure, 1787, "Esthétique transcendantale", première section, tr. fr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF, 1997, p. 58.



  "Si deux choses sont parfaitement identiques pour tout ce qui en chacune peut être connu en soi […], il s'ensuit forcément que pour tous les cas et sous tous les rapports l'une peut se substituer à l'autre sans que de cette substitution puisse résulter la moindre différence appréciable. C'est ce qui arrive en effet pour les figures planes en géométrie ; mais diverses figures sphériques montrent toutefois, nonobstant cette complète concordance intérieure, une condition extérieure telle que l'une ne peut pas du tout se substituer à l'autre, par exemple : deux triangles sphériques dans les deux hémisphères, ayant pour base commune l'arc de l'équateur, peuvent avoir côtés et angles parfaitement égaux en sorte qu'aucun d'eux, si on le décrit seul et complètement, ne présentera rien qui ne se trouve aussi dans la description de l'autre, et cependant on ne peut mettre l'un à la place de l'autre (c'est-à-dire dans l'hémisphère opposé) ; il y a donc ici une différence interne des triangles qu'aucun entendement ne peut indiquer comme intrinsèque et que manifeste seulement le rapport extérieur dans l'espace. Mais je vais citer des cas plus extraordinaires que l'on peut emprunter à la vie commune. Que peut-il y avoir de plus semblable, de plus égal de tout point à ma main ou mon oreille que leur image dans le miroir? Pourtant, je ne puis substituer à l'image primitive cette main vue dans le miroir ; car si c'était une main droite, il y a dans le miroir une main gauche et l'image de l'oreille droite est une oreille gauche qui ne peut aucunement se substituer à l'autre. Il n'y a pas là de différences internes que quelque entendement pourrait même concevoir, et pourtant les différences sont intrinsèques, comme l'enseignent les sens, car la main gauche ne peut être renfermée dans les mêmes limites que la main droite malgré toute cette égalité et toute cette similitude respectives (elles ne peuvent coïncider) et le gant de l'une ne peut servir à l'autre. Quelle sera donc la solution ? Ces objets ne sont nullement des représentations des choses comme elles sont en soi et comme l'entendement pur les connaîtrait, mais ce sont des intuitions sensibles, c'est-à-dire des phénomènes dont la possibilité se fonde sur le rapport de certaines choses inconnues en soi à une autre chose, à savoir notre sensibilité. L'espace est la forme de l'intuition externe de celle-ci".

 

Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future, 1783, § 13, tr. fr. J. Gibelin, Vrin, 1968, p. 48-49.



  "[…] ce que nous appelons le monde de notre perception n'est déjà plus quelque chose de simple, un donné qui va de soi dès le début. Ce monde n' « est » qu'à la condition d'être traversé, saisi, par certains actes théoriques fondamentaux qui l' « appréhendent » et le déterminent. Ce rapport fondamental apparaît peut-être avec le plus de clarté lorsqu'on part de l'intuition de notre monde de la perception, de la mise en forme spatiale. Les rapports de coexistence, de proximité, d'exclusion et de juxtaposition dans l'espace ne sont en aucune manière simplement donnés en même temps que les sensations pures, la « matière » sensible qui s'ordonne dans l'espace. Ces rapports sont un résultat extrêmement complexe, et entièrement indirect de la pensée expérimentale. Quand nous attribuons aux choses dans l'espace une grandeur, une situation et un éloignement, nous n'exprimons pas un simple donné de la sensation. Nous insérons au contraire les données sensibles dans un système cohérent de corrélations qui s'avère en dernière analyse n'être rien d'autre que la corrélation pure du jugement. Toute articulation de l'espace suppose une articulation dans le jugement. Toutes les différences de place, de grandeur et de distance ne peuvent être saisies et établies que si chacune des impressions sensibles est justiciable chaque fois d'un jugement et reçoit une signification différente. L'analyse critique du problème de l'espace comme l'analyse psychologique ont éclairé cet état de fait e tous les côtés et l'ont fixé dans ses traits essentiels. Qu'on choisisse de l'exprimer avec Helmholtz par le concept de « syllogismes inconscients », ou qu'on abandonne cette expression, qui recèle de fait certaines ambiguïtés et certains dangers, il reste dans tous les cas un résultat qui est commun à la théorie transcendantale et à la théorie physiologique et psychologique, à savoir que la mise en place spatiale du monde de la perception, dans sa totalité et dans le détail, remonte à des actes d'identification, de différenciation, de comparaison et d'attribution qui sont, quant à leur forme fondamentale, de nature intellectuelle. Il faut que les impressions soient divisées et articulées par de tels actes, et qu'elles soient renvoyées à différentes couches de significations, pour que naisse pour nous, comme un reflet intuitif de cette stratification théorique des significations, l'articulation « dans » l'espace ; et cette « stratification » des impressions, telle qu'elle nous est décrite dans le détail par l'optique physiologique, ne serait pas elle-même possible si elle ne fondait à son tour sur un principe universel, un critère d'un emploi généralisé. Le passage du monde de l'impression sensible immédiate au monde médiatisé de la « représentation » intuitive, et singulièrement spatiale, n'est possible que si, dans le flux de la série toujours identique des impressions, les rapports constants que celles-ci entretiennent entre elles, et sous lesquels elles réapparaissent périodiquement, ne se constituaient pas progressivement en termes autonomes et s'ils ne se distinguaient pas ainsi de manière caractéristique des contenus sensibles instables qui ne cessent de varier d'un instant à l'autre."

 

Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques, Tome 2 : la pensée mythique, 1925, Les Éditions de Minuit, 1999, p. 50-51.
 

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Date de création : 03/01/2014 @ 08:00
Dernière modification : 14/02/2014 @ 16:48
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