"Pendant longtemps, l'habitat lui-même n'a pas été perçu d'une autre façon : la relation de l'homme aux lieux de prédilection où il s'installe n'était pas planifiée, mais aménagée en termes de solutions concrètes aux problèmes respectifs de l'habitat et de la production qui se déroulait d'ailleurs dans la sphère de l'habitat ; l'atelier, l'échoppe, ou l'abri dans les champs, étaient le prolongement, l'annexe de l'habitat principal, même s'ils en étaient éloignés. Il y a à peine trois siècles, l'habitat familial se réduisait dans les campagnes à une pièce unique à l'intérieur de laquelle étaient réunis hommes et animaux (les bovins assurant la chaleur animale en hiver), et dans l'enceinte de laquelle se développaient tous les actes de la vie économique et familiale. Or, avec le « progrès économique », la maison change, s'étend, s'enrichit, mais surtout se « spécialise » : chaque pièce porte désormais son nom, et a son utilité propre : chambre à coucher, salle à manger, débarras, garage... L'espace est devenu fonctionnel et même très technique (chaufferie, salle de bain, cuisines « équipées » comme de véritables laboratoires), montrant de la sorte la diffusion de la fonctionnalité industrielle dans la pratique des espaces domestiques. Dans le même ordre d'idées, il convient d'évoquer la spécialisation qui s'est fait jour dans les aménagements urbains. Désormais, chaque ville a son noyau culturel, ses voies de dégagement, ses zones industrielles et sportives périphériques, etc. Le succès et le rayonnement de la fonctionnalité spatiale technicienne démontrent son importance sociale."
Georges Friedmann, Où va le travail humain ?, 1950, chapitre : "Le milieu naturel", Gallimard.
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