"Le ghetto est un degré intermédiaire du passage de la coexistence à l'hostilité. Le ghetto est par essence fermé, soit fermé géométriquement, et à ce titre le ghetto de Venise est un modèle, soit fermé architecturalement comme les Judengasse de l'Europe Centrale closes par des murs, des portes et des chaînes telles qu'a su les décrire Meyrink. Son symbole est le Mur et la Porte, et l'acte qui lui donne la relation est le franchissement. Condensé de judaïsme, avec un très haut degré de judaïcité au mètre carré, le ghetto correspond à un potentiel culturel important ; micro-univers de la différence par rapport à la société dominante, il reste une structure submissive avec ses obéissances et ses révoltes.
Nous savons bien que le ghetto est tout à la fois prison et protection. Il procure un milieu positif favorable, en échange de lourdes contraintes qu'il établit ; la pauvreté relative, la discrétion du dominé vis-à-vis du dominant, ont donné les traits d'appropriation de son peu d'espace : murs hauts, rues étroites, proximité réciproque et fonctions diverses qui multiplient la densité des actes dans le temps comme dans l'espace, la densité des interactions, la densité du contrôle social ; l'idée de privatisation lui est étrangère. À l'époque contemporaine, le « ghetto » dans lequel on a installé le chauffage central et le tout à l'égout, devient un concept désirable, valorisé positivement ; dans une société des diversités culturelles : on peut légitimement penser qu'un bon nombre de nos groupes sociaux cherchent leurs ghettos, dans un renoncement délibéré à un universalisme qui ressemble de plus en plus à un rêve trop beau, On est bien dans son ghetto, on y vit à l'aise, et l'effort est d'en sortir ; voici donc revenu le temps des ghettos."
Abraham Moles et Élisabeth Rohmer, Psychosociologie de l'espace, L'Harmattan, 1998, p. 140.
Retour au menu sur l'espace