"Le domaine de la philosophie dans son sens cosmopolite se ramène aux questions suivantes : 1. Que puis-je savoir ? 2. Que dois-je faire ? 3. Que m'est-il permis d'espérer ? 4. Qu'est-ce que l'homme ?
À la première question répond la métaphysique, à la seconde la morale, à la troisième la religion, à la quatrième l'anthropologie. Mais au fond, on pourrait tout ramener à l'anthropologie, puisque les trois premières questions se rapportent à la dernière.
La philosophie doit donc déterminer : 1. la source du savoir humain. 2. l'étendue et l'usage possible de tout savoir. 3. la limites de la raison. Cette dernière détermination est la plus indispensable, c'est aussi la plus difficile, mais le philodoxe ne s'en préoccupe pas. Il y a principalement deux choses qui sont nécessaires à la philosophie : 1. Une culture du talent [ici intellectuel] et l'habileté à en user à toutes sortes de fins. 2. L'adresse à se servir de tous les moyens en vue de toutes les fins possibles [description kantienne de la culture générale] Il faut réunir les deux ; car sans connaissances on ne deviendra jamais philosophe, mais jamais non plus les connaissances ne suffiront à faire un philosophe, si n'y vient s'y ajouter une harmonisation convenable de tous les savoirs et de toutes les habiletés jointes à l'intelligence de leur accord avec les buts les plus élevés de la raison humaine. De façon générale, nul ne peut se nommer philosophe s'il ne peut philosopher. Mais on n'apprend à philosopher que par l'exercice et par l'usage que l'on fait soi-même de sa propre raison."
Kant, Logique, 1800, tr. fr. Louis Guillermit, Vrin, 1997, p. 24-26.
"On peut ranger les énoncés (doués de sens) de la manière suivante : en premier lieu, ceux qui sont vrais en vertu de leur seule forme (ou « tautologies » d'après Wittgenstein. Ils correspondent à peu près aux « jugements analytiques » kantiens). Ils ne disent rien sur le réel. À cette espèce appartiennent les formules de la logique et de la mathématique ; elles ne sont pas elles-mêmes des énoncés sur le réel, mais servent à leur transformation. En second, viennent les négations des premiers (ou contradictions) qui sont contradictoires, c'est-à-dire fausses en vertu de leur forme. Pour décider de la vérité ou fausseté de tous les autres énoncés, il faut s'en remettre aux énoncés protocolaires, lesquels (vrais ou faux) sont par là même des énoncés d'expérience (Erfahrungssätze) et relèvent de la science empirique. Si l'on veut construire un énoncé qui n'appartient pas à l'une de ces espèces, cet énoncé sera automatiquement dénué de sens.
Et puisque la métaphysique ne veut ni formuler d'énoncés analytiques ni se couler dans le domaine de la science empirique, elle est contrainte d'employer des mots en l'absence de tout critère, des mots qui sont de ce fait privés de signification, ou bien de combiner des mots doués de sens de sorte qu'il n'en résulte ni énoncés analytiques (éventuellement contradictoires), ni énoncés empiriques. Dans un cas comme dans l'autre, on obtient inévitablement des simili-énoncés. […]
Mais que reste-t-il alors finalement à la philosophie, si tous les énoncés qui disent quelque chose sont de nature empirique et appartiennent à la science du réel ? Ce qui reste, ce n'est ni des énoncés, ni une théorie, ni un système, mais seulement une méthode : la méthode de l'analyse logique. Nous avons montré dans ce qui précède comment appliquer cette méthode dans son usage négatif : elle sert en ce cas à éradiquer les mots dépourvus de signification, les simili-énoncés dépourvus de sens. Dans son usage positif, elle sert à clarifier les concepts et les énoncés doués de sens, pour fonder logiquement la science du réel et la mathématique. L'application négative de la méthode est, dans la situation historique présente, nécessaire et importante."
Rudolf Carnap, "Le dépassement de la métaphysique", tr. de l'allemand, in A. Soulez, Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p. 172.
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