"Lecture de l'espace? Oui et non. Oui : le « lecteur » déchiffre, décode. Le « locuteur », qui s'exprime, traduit en discours ses parcours. Et cependant non. L'espace social n'est jamais une page blanche sur laquelle on (mais qui ?) aurait écrit son message. L'espace naturel et l'espace urbain sont surchargés. Tout y est brouillon et brouillé. Des signes ? Plutôt des consignes, des prescriptions multiples, interférentes. S'il y a texte, trace, écriture, c'est dans un contexte de conventions, d'intentions, d'ordres, au sens du désordre et de l'ordre social. L'espace est signifiant ? Certes. De quoi ? De ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Ce qui renvoie au pouvoir. Mais le message du pouvoir est toujours embrouillé, volontairement. Il se dissimule. L'espace ne dit pas tout. Il dit surtout l'interdit (l'inter-dit). Son mode d'existence, sa « réalité » pratique (incluant sa forme) diffère radicalement de la réalité (de l'être-là) d'un objet écrit, d'un livre. Résultat et raison, produit et produisant, c'est aussi un enjeu, un lieu de projets et d'actions mis en jeu par ces actions (stratégies), objet donc de paris sur le temps à venir, paris qui se disent, mais jamais complètement."
Henri Lefebvre, La production de l'espace, 1974, 4e édition, Ed. Anthropos, 2000, p. 167.
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