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Du temps cyclique au temps historique |
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"Par rapport aux religions archaïques et paléo-orientales, aussi bien que par rapport aux conceptions mythico-philosophiques de l'Éternel Retour, telles qu'elles ont été élaborées dans l'Inde et dans la Grèce, le judaïsme présente une innovation capitale. Pour le judaïsme, le Temps a un commencement et aura une fin. L'idée du Temps cyclique est dépassée. Jahvé ne se manifeste plus dans le Temps cosmique (comme les dieux des autres religions), mais dans un Temps historique, qui est irréversible. Chaque nouvelle manifestation de Jahvé dans l'Histoire n'est plus réductible à une manifestation antérieure. La chute de Jérusalem exprime la colère de Jahvé contre son peuple, mais ce n'est pas la même colère que Jahvé avait exprimée par la chute de Samarie. Ses gestes sont des interventions personnelles dans l'Histoire et ne révèlent leur sens profond que pour son peuple, le peuple que Jahvé a choisi. L'événement historique gagne ici une nouvelle dimension : il devient une théophanie[1].
Le christianisme va encore plus loin dans la valorisation du Temps historique. Parce que Dieu s'est incarné, qu'il a assumé une existence humaine historiquement conditionnée, l'Histoire devient susceptible d'être sanctifiée. L'illud tempus[2] évoqué par les Évangiles est un Temps historique clairement précisé – le Temps où Ponce Pilate était le gouverneur de la Judée –, mais il a été sanctifié par la présence du Christ. Le chrétien contemporain qui participe au Temps liturgique rejoint l'illud tempus dans lequel a vécu, agonisé et est ressuscité Jésus, mais il ne s'agit plus d'un Temps mythique, mais du Temps où Fonce Pilate gouvernait la Judée. Pour le chrétien aussi le calendrier sacré reprend indéfiniment les mêmes événements de l'existence du Christ, mais ces événements se sont déroulés dans l'Histoire; ils ne sont plus des faits qui se sont passés à l'origine du Temps, « au commencement » (avec cette nuance que pour le chrétien le Temps commence de nouveau avec la naissance du Christ, car l'incarnation fonde une nouvelle situation de l'homme dans le Cosmos). Bref l'Histoire se révèle comme une nouvelle dimension de la présence du Dieu dans le monde. L'Histoire redevient l'Histoire sainte, telle qu'elle était conçue, mais dans une perspective mythique, dans les religions primitives et archaïques."
Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane, 1957, Folio Essais, 2001, p. 98-99.
[1] Une théophanie (des radicaux grecs théo, "dieu", et phan-, "apparition") est, dans le domaine religieux, la manifestation d'un dieu ou de Dieu, au cours de laquelle a normalement lieu la révélation d'un message divin aux hommes ou simplement un avertissement.
[2] Illud tempus : ce temps.
Date de création : 14/04/2014 @ 11:59
Dernière modification : 14/04/2014 @ 11:59
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