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Texte à méditer :  L'histoire du monde est le tribunal du monde.
  
Schiller
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La vérité-correspondance

  "La vérité ou la fausseté des choses dépend, du côté des objets, de leur union ou de leur séparation. Par conséquent, être dans le vrai, c'est penser que ce qui est séparé, est séparé et que ce qui est uni est uni ; être dans le faux, c'est penser contrairement à la nature des objets. Quand donc y a-t-il ou n'y a-t-il pas ce qu'on appelle vrai ou faux ? Il faut en effet considérer la signification de ces termes. Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc, qu'en disant que tu l'es, nous disons la vérité."

 

Aristote, Métaphysique, Livre 9, chap. 10, tr. Jules Tricot, Paris, Vrin, 1991, p. 54-55.



  "Assurément, on n'a pas coutume de dire « vrai » un discours qui énonce être ce qui n'est pas ; il a cependant une vérité et une rectitude parce qu'il fait ce qu'il doit faire. Mais lorsqu'il énonce l'existence de ce qui est, il fait doublement ce qu'il doit, puisqu'il signifie et qu'il a reçu d'exprimer ce qui est. Mais c'est en vertu de cette rectitude et vérité, par laquelle elle signifie l'existence de ce qui est, qu'il est d'usage de qualifier l'énonciation de juste et vraie – et non en vertu de celle par laquelle elle signifie l'existence, même de ce qui n'est pas. Elle doit plus à ce pour quoi elle a reçu la signification qu'à ce pour quoi elle ne l'a pas reçue. Or, elle n'a reçu d'exprimer qu'une chose est quand elle n'est pas ou qu'elle n'est pas quand elle est que parce qu'il fut impossible de lui donner seulement d'exprimer l'existence quand elle est ou la non-existence quand elle n'est pas. La rectitude et la vérité de l'énonciation exprimant ce pour quoi elle a été faite sont donc autres que celles qu'elle possède lorsqu'elle signifie qu'elle a reçu d'exprimer. Celles-ci, évidemment, sont immuablement dans ce discours ; celles-là sont changeantes. En effet, le discours possède toujours celles-ci mais non celles-là car il a naturellement celles-ci, mais accidentellement les autres et selon son emploi.
  En effet, lorsque je dis : « Il fait jour » pour signifier ce qui est, je me sers avec rectitude de la signification de ce discours parce qu'il a été fait pour cela et c'est pourquoi on le dit alors signifier avec rectitude. Mais quand j'exprime par le même discours ce qui n'est pas, je ne m'en sers pas avec rectitude parce qu'il n'a pas été fait pour cela. Donc, en ce cas, la signification n'est pas dite droite, bien que, dans certaines énonciations, ces deux rectitudes ou vérités soient inséparables, comme lorsque nous disons : « L'homme est un animal, ou « L'homme n'est pas une pierre ». Toujours, en effet, cette affirmation exprime ce qui est et cette négation ce qui n'est pas, et nous ne pouvons pas nous en servir pour exprimer ce qui n'est pas – l'homme est toujours en effet un animal – ni pour affirmer la non-existence de ce qui est – car l'homme n'est jamais une pierre."

 

Anselme de Cantorbéry, De la Vérité, in Œuvres philosophiques, Aubier, trad. P Rousseau, 1947, p. 231-232.



  "La première signification de Vrai et de Faux semble avoir son origine dans les récits ; et l'on a dit vrai un récit, quand le fait raconté était réellement arrivé ; faux, quand le fait raconté n'était arrivé nulle part. Plus tard, les philosophes ont employé le mot pour désigner l'accord d'une idée avec son objet ; ainsi, l'on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse, celle qui montre une chose autrement qu'elle n'est en réalité. Les idées ne sont pas autre chose en effet que des récits ou des histoires de la nature dans l'esprit. Et de là on en est venu à désigner de la même façon, par métaphore, des choses inertes ; ainsi, quand nous disons de l'or vrai ou de l'or faux, comme si l'or qui nous est présenté racontait quelque chose sur lui-même, ce qui est ou n'est pas en lui."

 

Spinoza, Pensées métaphysiques, 1663, 1ère partie, chap. VI, Gallimard, « La Pléiade », trad. R. Caillois.



  "1. Le monde est tout ce qui arrive.
1.1. Le monde est l'ensemble des faits, non pas des choses [...].

1.2. Le monde se dissout en faits.
1.21. Une chose peut ou bien être ce qui arrive ou bien n'être pas ce qui arrive et tout le reste demeurer égal.
2. Ce qui arrive, le fait, est l'existence d'états de choses.
2.01. L'état de choses est une liaison d'objets (entités, choses) [...]
2.1. Nous nous faisons des tableaux des faits.
2.11. Le tableau représente le fait dans l'espace logique, l'existence et la non-existence des états de choses.
2.14. Le tableau réside dans le fait que ses éléments ont des rapports déterminés les uns avec les autres.
2.141. Le tableau est un fait.
2.15. Le fait que les éléments du tableau ont des rapports déterminés les uns avec les autres tient à ce que les choses se comportent de la même manière les unes vis-à-vis des autres. Cette connexion des éléments du tableau, nous  la nommerons sa structure, et la possibilité de sa structure, la forme de la représentation.
2.151. La forme de la représentation est la possibilité que les choses se comportent les unes vis-à-vis des autres comme les éléments du tableau.
2.1511. Le tableau est ainsi lié à la réalité ; il l'atteint [...].
2.21. Le tableau s'accorde ou non avec la réalité ; il est fidèle ou infidèle, vrai ou faux.
2.22. Le tableau représente ce qu'il représente indépendamment de sa vérité ou de sa fausseté ; au moyen de sa forme de représentation.
2.221. Ce que le tableau représente constitue son sens.
2.222. Dans l'accord ou le désaccord du sens du tableau avec la réalité consiste sa vérité ou sa fausseté.
2.223. Pour reconnaître si le tableau est vrai, nous devons le comparer à la réalité.

2.224. Par lui-même, le tableau ne fait connaître rien de ce qu'il y a de  vrai ou de faux.
2.225. Il n'y a point de tableau qui soit vrai a priori.


Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 1921, trad. P. Klossowski, Gallimard, tel, 1961, p. 29-36.



  "4.021 – La proposition est une image de la réalité. Car je connais par elle la situation qu'elle présente, quand je comprends la proposition. Et je comprends la proposition sans que son sens m'ait été expliqué.
  4.022 – La proposition montre son sens.

  La proposition montre ce qu'il en est des états de choses quand elle est vraie.
  Et elle dit que il en est ainsi.
  4.023 – La réalité doit être fixée par la proposition à oui ou non.
  Il faut pour cela qu'elle soit complètement décrite par la proposition.
  La proposition est la description d'un état de choses.
  Alors que la description d'un objet se fait par ses propriétés externes, la proposition décrit la réalité par ses propriétés internes.
  La proposition construit un monde au moyen d'un échafaudage logique, et c'est pourquoi l'on peut voir dans la proposition, quand elle est vraie, ce qu'il en est de tout ce qui est logique. On peut d'une proposition fausse tirer des inférences.
  4.024 – Comprendre une proposition, c'est savoir ce qui a lieu quand elle est vraie.
  (On peut donc la comprendre sans savoir si elle est vraie.)
  On la comprend quand on comprend ses parties constitutives."

 

Wittgenstein, Tractatus logico-philosophique, 1921, tr. fr. Pierre Klossowski, Gallimard, 1986, p. 47-48.



  "La doctrine fondamentale de la philosophie du Tractatus réside peut-être en ceci, qu'une proposition est la représentation des faits qu'elle affirme. Il est clair qu'une carte fournit des informations, correctes ou incorrectes ; et quand l'information est correcte, c'est parce qu'il y a similitude de structure entre la carte et la région qu'elle représente. Wittgenstein soutenait que cela est également vrai de l'assertion linguistique d'un fait. Il disait, par exemple, que si vous employez le symbole « aRb » pour représenter le fait qu'a a la relation R avec b, votre symbole peut le faire parce qu'il établit une relation entre « a » et « b » qui représente la relation entre a et b. Cette théorie mettait donc l'accent sur l'importance de la structure. […]
  Je pense encore qu'il avait raison de mettre l'accent sur l'importance de la structure ; quant à la théorie selon laquelle une proposition doit reproduire la structure des faits qu'elle concerne, je suis aujourd'hui très sceptique si, à l'époque, je l'ai acceptée. En tout cas, je ne pense pas que, même si elle est vraie dans un certain sens, elle soit d'une grande importance. Pour Wittgenstein, elle était fondamentale. Il en fit la base d'une curieuse sorte de mysticisme logique. Il soutenait que la forme qu'une proposition vraie partage avec le fait correspondant peut seule- ment être montrée, et non pas dite, puisqu'elle ne consiste pas en un autre mot mais en un arrangement de mots ou de choses correspondantes. […]

  C'est là le seul point sur lequel, à l'époque où j'étais presque entièrement d'accord avec Wittgenstein, je demeurais encore sceptique. Dans mon introduction au Tractatus, j'avançais que, si dans toute langue il y a des choses qu'elle ne peut pas exprimer, il est toujours possible de construire une langue d'un ordre supérieur qui permettra de dire ces choses. Il restera des choses qui ne pourront pas se dire dans la nouvelle langue mais que la langue suivante permettra d'exprimer, et ainsi ad infinitum. Cette suggestion, qui était alors nouvelle, est, de- puis, devenue un lieu commun de la logique."

 

Bertrand Russell, Histoire de mes idées philosophiques, 1959, trad. de l'anglais par G. Auclair, Paris, Gallimard, 1961, p. 141.



  "Qu'entend-on ordinairement par « vérité » ? Ce mot si noble et pourtant si usé, au point d'en être presque vide de sens, désigne ce qui constitue le vrai comme vrai. Qu'est-ce qu'être vrai ? Nous disons par exemple : « c'est une vraie joie de collaborer à la réussite de cette entreprise ». Nous voulons dire par là qu'il s'agit d'une joie pure, réelle. Le vrai est donc le réel (Wirkliche). Nous parlons en ce sens de l'or véritable en le distinguant de l'or faux. L'or faux n'est pas réellement ce qu'il paraît être. Il n'est qu'une « apparence », il est, pour cette raison, irréel. L'irréel passe pour le contraire du réel. Mais le cuivre doré est tout de même quelque chose de réel. C'est pourquoi nous dirons plus clairement : l'or réel est l'or authentique (echt). Mais « réels » ils le sort l'un et l'autre, l'or authentique ne l'est ni plus ni moins que le cuivre doré. La vérité de l'or authentique ne peut donc être garantie par sa simple réalité. La question renaît : que signifie ici être « authentique » et être « vrai » ? L'or authentique est ce réel dont la réalité se trouve en accord avec ce que, d'emblée et toujours, nous avons « proprement » en vue lorsque nous pensons à de l'or. Inversement nous dirons, dès que nous soupçonnons avoir affaire à du cuivre doré : « quelque chose ici ne "colle" [stimmt] pas ». Au contraire, nous remarquons à propos de ce qui est « comme il convient » : cela « colle ». La chose est en accord avec ce qu'elle est estimée être.
  Mais nous n'appelons pas seulement vraie une joie réelle, l'or authentique et tout étant de ce genre, mais, encore et avant tout, nommons-nous vraies ou fausses nos énonciations relatives à l'étant, lequel, lui-même, peut être, selon sa nature, authentique ou faux, tel ou tel dans sa réalité. Un énoncé est vrai lorsque ce qu'il signifie et exprime, se trouve en accord avec la chose dont il juge. Ici aussi nous disons : cela « colle ». À présent, ce n'est pas la chose qui est en accord mais le jugement (Satz).

  Le vrai, que ce soit une chose vraie ou un jugement vrai, est ce qui est en accord, ce qui concorde (das Stimmende). Etre vrai et vérité signifient ici : s'accorder, et ce d'une double manière : d'abord, comme accord entre la chose et ce qui est présumé d'elle et, ensuite, comme concordance entre ce qui est signifié par l'énoncé et la chose.
  Ce double caractère de l'accord fait apparaître la définition traditionnelle de l'essence de la vérité : veritas est adaequatio rei et intellectus. Cela peut signifier : la vérité est l'adéquation de la chose à la connaissance. Mais cela peut s'entendre aussi : la vérité est l'adéquation de la connaissance à la chose. D'ordinaire, la définition citée ne s'exprime que dans la formule : veritas est adaequatio intellectus ad rem. Cependant la vérité ainsi comprise, ou vérité de jugement, n'est possible que fondée sur la vérité de la chose, sur adaequatio rei ad intellectum. Ces deux conceptions de l'essence de la veritas visent toujours un « se conformer à... » et pensent donc la vérité comme conformité (Richtigkeit).
  Cependant, l'une de ces conceptions ne résulte pas simplement de la conversion de l'autre. Au contraire, intellectus et res sont pensés différemment dans les deux cas. Pour le reconnaître, il nous faut ramener l'expression courante du concept ordinaire de la vérité à son origine immédiate (médiévale). La veritas, interprétée comme adaequatio rei ad intellectum, n'exprime pas encore la pensée transcendantale de Kant qui est postérieure et ne deviendra possible qu'à partir de l'essence humaine en tant que subjectivité, pensée selon laquelle « les objets se conforment à notre connaissance ». Mais elle découle de la foi chrétienne et de l'idée théologique selon lesquelles les choses, dans leur essence et leur existence, ne sont que pour autant que, créées (ens creatum), elles correspondent à l'idée conçue préalablement par l'intellectus divinus, c'est-à-dire par l'esprit de Dieu. Les choses sont donc ordonnées à l'idea (ideegerecht) conformes (richtig) et, en ce sens, « vraies ». L'intellectus humanus est lui aussi un ens creatum. Faculté accordée à l'homme par Dieu, l'intellectus humanus doit être adéquat à son idée. Or l'intellect n'est conforme à son idée qu'en réalisant dans ses jugements l'adéquation du conçu à la chose, celle-ci devant être, de son côté, conforme à l'idea. La possibilité de la vérité de la connaissance humaine se fonde, si tout étant est « du créé », sur ceci que la chose et le jugement étant pareillement adéquats à l'idée et issus de l'unité du plan divin de la création, ils sont donc coordonnés l'un à l'autre. La veritas comme adaequatio rei (creandae) ad intellectum (divinum) garantit la veritas comme adaequatio intellectus (humani) ad rem (creatam). Veritas signifie partout et essentiellement la convenientia, la concordance des étants entre eux, laquelle se fonde sur la concordance des créatures avec le créateur, « harmonie » (« Stimmen ») déterminée donc par l'ordre de la création.
  Mais cet ordre, détaché de toute idée de création, peut aussi être représenté de manière indéterminée et générale comme l'ordre du monde. Au lieu de l'ordre de la création conçu théologiquement, surgit l'ordination possible de tous les objets par l'esprit qui, comme mathesis universalis (Weltvernunft), se donne sa loi à lui-même et postule ainsi l'intelligibilité immédiate des démarches qui constituent son procès (ce que l'on considère comme « logique »). Il n'est plus nécessaire alors de justifier spécialement que l'essence de la vérité du jugement réside dans la conformité de l'énoncé. Même là où l'on s'efforce avec un remarquable insuccès d'expliquer comment cette conformité peut s'établir, on la présuppose déjà comme l'essence de la vérité. Pareillement la vérité de la chose signifie-t-elle toujours l'accord de la chose donnée avec son concept essentiel tel que « l'esprit » le conçoit. Ainsi naît l'apparence que cette conception de l'essence de la vérité est indépendante de l'interprétation relative à l'essence de l'être de tout étant; cette dernière inclut pourtant nécessairement une interprétation correspondante touchant l'essence de l'homme comme porteur et réalisateur de l'intellectus. Ainsi la formule de l'essence de la vérité (veritas est adaequatio intellectus et rei) acquiert-elle pour chacun et immédiatement une évidente validité. Sous l'empire de l'évidence de ce concept de vérité, à peine médité dans ses fondements essentiels, on admet comme également évident que la vérité a un contraire et qu'il y a de la non-vérité. La non-vérité d'un jugement (non-conformité) est la non-concordance de l'énoncé avec la chose. La non-vérité de la chose (inauthenticité) signifie le désaccord d'un étant avec son essence. La non-vérité se laisse chaque fois comprendre comme non-accord. Celui-ci tombe donc en dehors de l'essence de la vérité. C'est pourquoi la non-vérité, en tant que contraire ainsi conçu de la vérité, peut être négligée lorsqu'il s'agit de saisir la pure essence de cette dernière.

  Est-il encore nécessaire de dévoiler davantage l'essence de la vérité ? L'essence pure de la vérité n'est-elle pas suffisamment explicitée par cette notion communément valable, qu'aucune théorie ne vient troubler et que protège son évidence ? Lorsqu'enfin nous prenons la réduction de la vérité du jugement à la vérité de la chose pour ce qu'elle signifie ordinairement, à savoir pour une explication théologique, et lorsque nous veillons à purifier la détermination philosophique de l'essence de toute intrusion de la théologie et que nous limitons le concept de la vérité à la vérité du jugement, nous rejoignons une tradition ancienne de la pensée, non la plus ancienne il est vrai, et d'après laquelle la vérité consiste dans la concordance d'un énoncé avec une chose."

 

Heidegger, "De l'essence de la vérité", 1954, Questions I et II, Gallimard, tel, 1990, p. 163-168.

 

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Date de création : 01/06/2014 @ 08:27
Dernière modification : 04/01/2015 @ 14:09
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