"La « fête » joue un rôle primordial dans la vie de tous les groupes. Durkheim a montré que, au point de vue sociologique, la fête a pour but de resserrer a solidarité du groupe, de renouveler périodiquement es contacts, la cohésion et l'unanimité entre ses membres.
Dans tous les types de civilisation,la fête présente n certain nombre de caractères constants :
a) La fête comporte toujours la réunion matérielle des membres du groupe, qu'il s'agisse d'un corrobori australien, d'une cérémonie initiatique des peaux-rouges du Mississipi, d'un tam-tam africain, des Jeux Olympiques, des mystères d'Eleusis, d'une kermesse flamande ou du Carnaval.
b) La fête est un rite de dépense ou de gaspillage. Le groupe consomme, et parfois même détruit dans la joie ou la fureur, mais toujours dans l'exaltation (libations, festins, ripailles), des biens qui ont été d'abord lentement accumulés. La fête est aussi l'occasion de largesses : les échanges et les dons sont multipliés. Elles s'accompagnent souvent d'un marché ou d'une foire et sont l'occasion de renouveler les vêtements et les ornements, de se faire des cadeaux, de s'inviter à des divertissements et à des eux.
On retrouve toujours la destruction ostentatoire liée par quelque côté à la guerre. Les peuples sont fiers de leurs pertes. Les rites du triomphe comportent toujours, chez les peuples les plus divers, quelque destruction symbolique. L'incendie de Persépolis a vraisemblablement été un acte mystique, un sacrifice de plus, fait par Alexandre au Dieu de la Victoire. Et à Rome, ce n'est qu'après la cérémonie du triomphe que les chefs ennemis prisonniers étaient étranglés à la prison Mamertine.
c) La fête s'accompagne toujours de la subversion de certaines règles morales, des tabous sont levés. Des actes habituellement interdits sont autorisés, recommandés ou même imposés. Chez les primitifs, la plupart d,es grandes fêtes comportent une part orgiaque dans laquelle sont levés les interdits sexuels. À Rome, pendant les lupercales, ce sont les esclaves qui commandent à leurs maîtres et pendant le triomphe, les soldats raillent grossièrement l'imperator.
d) La fête est un rire d'exaltation collective : danses, boissons, chants provoquent des enthousiasmes fous, des gaietés désordonnées, des actions inaccoutumées, des fureurs et des violences.
e) La fête provoque une certaine insensibilisation physique : les individus assument alors des fatigues et se livrent à des excès inhabituels, qui vont jusqu'à leur faire accepter des coups ou des mutilations. De nos jours, dans les grands pèlerinages persans à Kerbala, des milliers de fidèles suivent les processions couverts de sang par suite des blessures qu'ils se sont infligées. Aux Indes, des fidèles se font écraser par le Char du Dieu au pèlerinage de Civa.
f) La fête s'accompagne de rites sacrificiels chez les primitifs et dans toutes les civilisations archaïques. Sacrifices d'animaux et, dans certaines civilisations, sacrifices humains. Sacrifices partiels ou symboliques également, comme dans les représentations sacrées où certains des acteurs sont effectivement mis à mort, soit en personne, soit que des esclaves ou des condamnés leur soient substitués."
Gaston Bouthoul, La guerre, PUF, Que-sais-je ?, 4e édition, 1969, p. 65-66.
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