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Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
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Hors des sentiers battus
Le désir comme essence de l'homme

    "Toute chose s'efforce - autant qu'il est en son pouvoir - de persévérer dans son être. [...]
L'effort par lequel toute chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose. [...]
    Cet effort, en tant qu'il a rapport à l'âme seule, s'appelle : Volonté. Mais lorsqu'il a rapport en même temps à l'Âme et au Corps, il se nomme Appétit. L'appétit, par conséquent, n'est pas autre chose que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle les choses qui servent à sa propre conservation résultent nécessairement ; et par conséquent, ces mêmes choses, l'homme est déterminé à les accomplir. En outre, entre l'appétit et le désir il n'existe aucune différence, sauf que le désir s'applique, la plupart du temps, aux hommes lorsqu'ils ont conscience de leur appétit et, par suite, le désir peut être ainsi défini : "Le désir est un appétit dont on a conscience". Il est donc constant, en vertu des théorèmes qui précèdent, que nous ne nous efforçons pas de faire une chose, que nous ne voulons pas une chose, que nous n'avons non plus l'appétit ni le désir de quelque chose parce que nous jugeons que cette chose est bonne; mais qu'au contraire nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, que nous la voulons, que nous en avons l'appétit et le désir".

 

Spinoza, Éthique, 1675, livre III, théorèmes VI, VII et scolie du théorème IX, trad. R. Lantzenberg, Flammarion, 1947, p. 140-142.

 

  "Proposition IX
   L’esprit, en tant qu’il a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu’il en a de confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une certaine durée indéfinie, et il est conscient de son effort.

  DÉMONSTRATION
L’essencedel’espritestconstituéepardesidées adéquates et des idées inadéquates (comme nous l’avons montré dans la proposition 3) ; par conséquent (selon la proposition 7 ci-dessus) qu’il ait les unes ou les autres, il s’efforce de persévérer dans son être ; et cela (selon la proposition 8 ci-avant) pour une certaine durée indéfinie. – Comme d’ailleurs l’esprit (selon la proposition 23 partie II) est nécessairement conscient de soi par les idées des affections du corps, l’esprit (selon la proposition 7 ci-dessus) est donc conscient de son effort. C.Q.F.D.
  SCOLIE
  Cet effort, quand il se rapporte à l’esprit seul, est appelé Volonté ; mais quand il se rapporte à la fois à l’esprit et au corps, on l’appelle Appétit (Appetitus). L’appétit n’est don rien d’autre que l’essence même de l’homme, et de la nature de cette essence suivent nécessairement les choses qui servent à sa conservation ; et par conséquent l’homme est déterminé à les faire.
  D’ailleurs entre l’Appétit et le Désir, il n’y a aucune différence, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu’ils sont conscients de leur appétit et c’est pourquoi il peut être ainsi défini : le Désir est l’appétit accompagné de (cum) la conscience de lui-même.  
  Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit (appetere) ou désir, parce que nous jugeons qu’elle est bonne ; c’est l’inverse : nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir."

 

Spinoza, Éthique, 1675, livre III, proposition IX, tr. fr. Roland Callois, Gallimard nrf, 1954, p. 158-159.

 



    "Dès lors, il n'est plus possible de combler tous nos désirs : au contraire, en nous donnant la jouissance de tous les objets auxquels ils nous portent, on nous mettrait dans l'impuissance de satisfaire au plus pressant de tous nos besoins, celui de désirer. On enlèverait à notre âme cette activité, qui lui est devenue nécessaire ; il ne nous resterait qu'un vide accablant, un ennui de tout et de nous-mêmes.
    Désirer est donc le plus pressant de tous nos besoins : aussi, à peine un désir est satisfait que nous en formons un autre. Souvent nous obéissons à plusieurs à la fois ou, si nous ne le pouvons pas, nous ménageons pour un autre temps ceux auxquels les circonstances présentes ne nous permettent pas d'ouvrir notre âme. Ainsi nos passions se renouvellent, se succèdent, se multiplient, et nous ne vivons plus que pour désirer et qu'autant que nous désirons."

 

Condillac, Traité des animaux (1755), Seconde partie, chapitre 8, Paris, Vrin, 2004, p. 185.

 
  "L'homme étant par son organisation un être à qui le mouvement est toujours nécessaire, doit toujours désirer ; voilà pourquoi une trop grande facilité à se procurer les objets, les rend bientôt insipides pour lui. Pour sentir le bonheur il faut des efforts pour l'obtenir ; pour trouver des charmes dans la jouissance, il faut que le désir soit irrité par des obstacles ; nous sommes sur le champ dégoûtés des biens qui ne nous ont rien coûté. L'attente du bonheur, le travail nécessaire pour se le procurer, les peintures variées et multipliées que l'imagination nous en fait, donnent à notre cerveau le mouvement dont il a besoin, lui font exercer ses facultés, mettent tous ses ressorts en jeu, en un mot lui donnent une activité agréable dont la jouissance du bonheur lui-même ne peut point nous dédommager. L'action est le véritable élément de l'esprit humain ; dès qu'il cesse d'agir il tombe dans l'ennui. Notre âme a besoin d'idées comme notre estomac d'aliments.
Ainsi l'impulsion que le désir nous donne est lui-même un grand bien ; il est pour l'esprit ce que l'exercice est pour le corps ; sans lui nous ne trouvons aucun plaisir dans les aliments qu'on nous présente ; c'est la soif qui rend le plaisir de boire si agréable pour nous ; la vie est un cercle perpétuel de désirs renaissants et de désirs satisfaits. Le repos n'est un bien que pour celui qui travaille ; il est une source d'ennuis, de tristesse et de vices pour celui qui n'a point travaillé. Jouir sans interruption c'est ne jouir de rien ; l'homme qui n'a rien à désirer est à coup sûr plus malheureux que celui qui souffre."

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre XV, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 363-364.

 
    "Cet effort qui constitue le centre, l'essence de chaque chose, c'est au fond le même, nous l'avons depuis longtemps reconnu, qui, en nous, manifesté avec la dernière clarté, à la lumière de la pleine conscience, prend le nom de volonté. Est-elle arrêtée par quelque obstacle dressé entre elle et son but du moment : voilà la souffrance. Si elle atteint ce but, c'est la satisfaction, le bien-être, le bonheur. Ces termes, nous pouvons les étendre aux êtres du monde sans intelligence ; ces derniers sont plus faibles, mais, quant à l'essentiel, identiques à nous. Or, nous ne pouvons les concevoir que dans un état de perpétuelle douleur, sans bonheur durable. Tout désir naît d'un manque, d'un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrance, tant qu'il n'est pas satisfait. Or, nulle satisfaction n'est de durée ; elle n'est que le point de départ d'un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l'état de souffrance ; pas de terme dernier à l'effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance. [...]
    Déjà, en considérant la nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l'effort, un effort continu, sans but, sans repos ; mais chez la bête et chez l'homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s'efforcer, voilà tout leur être ; c'est comme une soif inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur ; c'est par nature, nécessairement, qu'ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d'objet, qu'une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l'ennui [1] ; leur nature, leur existence, leur pèse d'un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l'enfer, pour remplir le ciel n'ont plus trouvé que l'ennui".


Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, 1819, tome 1, pp. 323-325, Alcan.

[1] Doit être compris ici au sens de vide existentiel, expérience fondamentale qui témoigne de la condition humaine.




Date de création : 05/01/2006 @ 11:37
Dernière modification : 10/06/2019 @ 14:52
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