"Si la vie matérielle des sociétés primitives se déroule sur fond d'abondance, le mode de production domestique présente en outre une propriété essentielle que met en relief la réflexion de Sahlins, il est sous-tendu par un idéal d'autarcie : chaque communauté aspire à produire elle-même tout le nécessaire à la subsistance de ses membres. Autrement dit, l'économie primitive tend à la fermeture de la communauté sur elle-même et l'idéal d'autarcie économique en dissimule un autre, dont il est le moyen : l'idéal d'indépendance politique. En décidant de ne dépendre que d'elle-même pour sa production de consommation, la communauté primitive (village, bande, etc.) exclut par là même la nécessité de relations économiques avec les groupes voisins. Ce n'est pas le besoin qui fonde les relations " internationales " dans la société primitive, laquelle est capable précisément de satisfaire tous ses besoins sans se voir contrainte de solliciter l'assistance d'autrui : on produit tout (nourriture et instruments) ce dont on a besoin, on est donc en mesure de se passer des autres. En d'autres termes, l'idéal autarcique est un idéal anti-commercial. Comme tout idéal, il ne se réalise pas toujours ni partout : mais des Sauvages on peut dire que, si les circonstances l'exigent, ils peuvent se vanter de se passer des autres.
C'est pourquoi le mode de production domestique ignore les relations commerciales que son fonctionnement économique tend précisément à exclure : la société primitive, en son être, refuse le risque, immanent au commerce, d'aliéner son autonomie, de perdre sa liberté."
Pierre Clastres, Archéologie de la violence : la guerre dans les sociétés primitives, 1977, Éditions de l'aube, 2013, p. 30-31.
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