* *

Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Vérité et liberté

  "En général, tout pouvoir, de quelque nature qu'il soit, en quelques mains qu'il ait été remis, de quelque manière qu'il ait été conféré, est naturellement ennemi des lumières. On le verra flatter quelquefois les talents, s'ils s'abaissent à devenir les instruments de ses projets ou de sa vanité : mais tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire, sera toujours odieux à celui qui exercera l'autorité.
  Plus elle est faible et partagée, plus ceux à qui elle est remise sont ignorants et corrompus, plus cette haine est violente [...].

  Il n'est pas nécessaire de fouiller dans les archives de l'histoire pour être convaincus de cette triste vérité ; dans chaque pays, à chaque époque, il suffit de regarder autour de soi. Tel doit être, en effet, l'ordre de la nature ; plus les hommes seront éclairés, moins ceux qui ont l'autorité pourront en abuser, et moins aussi il sera nécessaire de donner aux pouvoirs sociaux d'étendue ou d'énergie. La vérité est donc à la fois l'ennemie du pouvoir comme de ceux qui l'exercent ; plus elle se répand, moins ceux-ci peuvent espérer tromper les hommes ; plus elle acquiert de force, moins les sociétés ont besoin d'être gouvernées."

 

Condorcet, Ve Mémoire sur l'instruction publique, 1792, in Écrits sur l'Instruction publique, vol. 1, Edilig, 1989, p. 227-228.



  "Je ne dis pas que l'homme est toujours libre de reconnaître ou de ne pas reconnaître toute vérité, Il y a des vérités reconnues depuis longtemps et qui sont transmises par l'éducation, les traditions, qui sont tellement entrées dans l'esprit qu'elles sont devenues comme naturelles, et il y a des vérités qui se présentent mal définies, vagues. L'homme n'est pas libre de ne pas reconnaître les premières et n'est pas libre de reconnaître les secondes. Mais il y a une troisième catégorie de vérités qui n'ont pas encore pu devenir les motifs irraisonnés de son action, mais qui lui sont déjà révélées avec une telle netteté qu'il ne peut pas ne pas prendre parti et doit ou les reconnaître ou les rejeter. C'est vis-à-vis de ces vérités que la liberté de l'homme se manifeste.
  Tout homme se trouve, pendant sa vie, vis­ à-vis de la vérité, dans la position d'un piéton qui marche dans l'obscurité à la lumière d'une lanterne dont il projette la clarté devant lui ; il ne voit pas ce que la lanterne n'éclaire pas encore ; il ne voit pas non plus Je chemin qu'il a parcouru et qui est déjà retombé dans l'obscurité; mais, à quelque endroit qu'il se trouve il voit ce qui est éclairé par la lanterne, et il est toujours libre de choisir l'un ou l'autre côté de la route.

  Il y a toujours des vérités invisibles, gui n'ont pas encore été révélées au regard intellectuel de l'homme ; il Y a d'autres vérités déjà vécues, oubliées et assimilées par l'homme, et il y a certaines vérités gui surgissent devant lui à la clarté de son intelligence el guïl ne peut pas ne pas reconnaître. Et c'est par la reconnaissance ou la non-reconnaissance de ces vérités que se manifeste ce que nous appelons liberté.
  Toute la difficulté apparente de la question de la liberté provient de ce que les hommes qui ont à la résoudre se représentent l'homme comme immo­ bile vis-à-vis de la vérité.
  L'homme n'est certainement pas libre si nous le représentons comme immobile, si nous oublions que la vie de l'humanité n'est qu'un mouvement incessant de l'obscurité vers la lumière, de la vérité inférieure à la vérité supérieure, de la vérité plus mêlée d'erreur à la vérité plus pure.
  L'homme ne serait pas libre s'il ne connaissait aucune vérité, et il ne serait pas libre également et n'aurait même pas de notions de la liberté si la vérité lui était révélée dans toute sa pureté, sans mélange d'erreurs.
  Mais l'homme n'est pas immobile vis-à-vis de la vérité, et toujours, à mesure qu'il avance dans la vie, la vérité lui est de plus en plus révélée, et il s'affranchit de plus en pl us de l'erreur.
  La liberté de l'homme ne consiste pas dans sa faculté d'agir indépendamment de la marche de la vie et des causes qui y influent, mais dans son pou­ voir, en reconnaissant et en professant la vérité qui lui a été révélée, de devenir le libre et heureux artisan de l'œuvre éternelle accomplie par Dieu ou par l'humanité, ou, en fermant les yeux à cette vérité, de devenir son esclave et d'être entraîné péniblement là où il ne veut pas aller.
  La vérité nous ouvre l'unique voie que puisse gravir l'humanité. C'est pourquoi les hommes suivront nécessairement, libres ou non, la voie de la vérité : les uns, de leur propre initiative, en accomplissant la mission qu'ils se sont imposée ; les autres, en se soumettant malgré eux à la loi de la vie. La liberté de l'homme est dans ce choix."

 

Léon Tolstoï, Le Salut est en vous, 1893, chapitre IX, tr. fr. Ély Halpérine-Kaminsky, in Inutilité de la violence, Petite Bibliothèque Payot, 2022, p. 170-173.



  "Il est inadmissible de dire que la science est un domaine de l'activité intellectuelle humaine, que la religion et la philosophie en sont d'autres, de valeur au moins égale, et que la science n'a pas à intervenir dans les deux autres, qu'elles ont toutes la même prétention à la vérité, et que chaque être humain est libre de choisir d'où il veut tirer ses convictions et où il veut placer sa foi. Une telle conception passe pour particulièrement distinguée, tolérante, compréhensive et libre de préjugés étroits. Malheureusement, elle n'est pas soutenable, elle participe à tous les traits nocifs d'une Weltanschauung[1] absolument non scientifique et lui équivaut pratiquement. Il est évident que la vérité ne peut être tolérante, qu'elle n'admet ni compromis ni restriction, que la recherche considère tous les domaines de l'activité humaine comme les siens propres et qu'il lui faut devenir inexorablement critique lorsqu'une autre puissance veut en confisquer une part pour elle-même".
 

Sigmund Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, 1915-1917, 35e conférence, tr. fr. Anne Berman, nrf idées, 1971, p. 211, Folio essais, 2000, p. 214.


[1] Weltanschauung : vision du monde.


  "Des affirmations comme « la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits », « la terre tourne autour du soleil », « mieux vaut souffrir le mal que faire le mal », « en août 1914 l'Allemagne a envahi la Belgique » sont très différentes par la manière dont elles ont été établies, mais une fois perçues comme vraies et déclarées telles, elles ont en commun d'être au-delà de l'accord, de la discussion, de l'option, du consentement. Pour ceux qui les acceptent, elles ne sont pas changées par le nombre grand ou petit de ceux qui admettent la même proposition ; la persuasion ou la dissuasion sont inutiles car le contenu de l'affirmation n'est pas d'une nature persuasive mais coercitive.
  […] Ce que Mercier de la Rivière[1] a remarqué un jour à propos de la vérité mathématique s'applique à toutes les espèces de vérité : « Euclide est un véritable despote ; et les vérités géométriques qu'il nous a transmises sont des lois véritablement despotiques ». Dans un même ordre d'idées, Grotius, environ cent ans plus tôt – désirant limiter le pouvoir du monarque absolu –, avait insisté sur le fait que « même Dieu ne peut pas faire que deux fois deux ne fassent pas quatre ». […]

  Quand on la considère du point de vue politique, la vérité a un caractère despotique. Elle est donc haïe des tyrans, qui craignent à juste titre la concurrence d'une force coercitive qu'ils ne peuvent pas monopoliser, et elle jouit d'un statut plutôt précaire aux yeux des gouvernements qui reposent sur le consentement et qui abhorrent la coercition. Les faits sont au-delà de l'accord et du consentement, et toute discussion à leur sujet – tout échange d'opinions qui se fonde sur une opinion exacte – ne contribuera en rien à leur établissement. On peut discuter une opinion importune, la rejeter ou transiger avec elle, mais les faits importuns ont cette exaspérante ténacité que rien ne saurait ébranler, sinon de purs et simples mensonges."

 

Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1967, in La Crise de la culture, trad. P. Lévy, Éd. Gallimard, Folio, 2007, p. 307-308.


[1] Économiste (1720-1793).

 

Retour au menu sur la vérité


Date de création : 19/09/2014 @ 17:39
Dernière modification : 14/04/2024 @ 08:15
Catégorie :
Page lue 7480 fois

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^