"Il est absolument clair qu'en l'absence de croyance, le faux n'existerait pas ; le vrai non plus, dans la mesure où le vrai est corrélatif du faux. Imaginons un monde purement matériel : il n'y aurait pas de place pour le faux, et bien que ce monde contienne ce qu'on peut appeler des « faits », il ne contiendrait aucune vérité, au sens où les vérités sont choses du même genre que ce qui est faux. De fait, vérité et fausseté sont des propriétés des croyances et des affirmations : et donc un monde purement matériel, faute de croyances comme d'affirmations, ne contiendrait ni vérité ni fausseté.
En revanche, il faut noter que la vérité ou la fausseté d'une croyance dépend toujours de quelque chose d'extérieur à la croyance même. Si ma croyance est vraie quand je crois que Charles Ier est mort sur l'échafaud, ce n'est pas en vertu d'une qualité propre à ma croyance, qualité que je pourrais découvrir par simple examen de la croyance ; c'est à cause d'un évènement historique d'il y a deux siècles et demi. Si je crois que Charles Ier est mort dans son lit, c'est là une croyance fausse : je peux bien y croire avec force, avoir pris des précautions avant de m'y tenir, tout cela ne l'empêche pas d'être fausse, toujours pour la même raison, nullement en vertu d'une propriété qui lui soit propre. Bien que la vérité et la fausseté soient des propriétés des croyances, ce sont donc des propriétés qui dépendent de la relation entre la croyance et autre chose qu'elle, non pas d'une qualité interne à la croyance."
Bertrand Russell, Problèmes de philosophie, 1912, chap. XII, "Le vrai et le faux".
"It seems fairly evident that if there were no beliefs there could be no falsehood, and no truth either, in the sense in which truth is correlative to falsehood. If we imagine a world of mere matter, there would be no room for falsehood in such a world, and although it would contain what may be called 'facts', it would not contain any truths, in the sense in which truths are thins of the same kind as falsehoods. In fact, truth and falsehood are properties of beliefs and statements: hence a world of mere matter, since it would contain no beliefs or statements, would also contain no truth or falsehood.
But, as against what we have just said, it is to be observed that the truth or falsehood of a belief always depends upon something which lies outside the belief itself. If I believe that Charles I died on the scaffold, I believe truly, not because of any intrinsic quality of my belief, which could be discovered by merely examining the belief, but because of an historical event which happened two and a half centuries ago. If I believe that Charles I died in his bed, I believe falsely: no degree of vividness in my belief, or of care in arriving at it, prevents it from being false, again because of what happened long ago, and not because of any intrinsic property of my belief. Hence, although truth and falsehood are properties of beliefs, they are properties dependent upon the relations of the beliefs to other things, not upon any internal quality of the beliefs."
Bertrand Russell, The Problems of Philosophy, 1912, chapter XII, Dover Publications Inc., 1999, p. 87-88.
"Une croyance est un certain type d'état mental. Quel état mental précisément ? Ce n'est pas facile à dire. On peut le décrire à l'aide de paraphrases, bien sûr, mais celles-ci requièrent au moins autant d'explications que la description qui utilise le terme « croyance ». Croire que Jupiter a seize lunes, c'est, pourrait-on dire, tenir le monde pour tel que Jupiter y a seize lunes ; ou encore : se représenter le monde comme renfermant un corps céleste particulier qui a seize lunes ; et ainsi de suite. Bien qu'il nous soit sans doute impossible d'analyser la croyance en recourant à des concepts significativement différents, nous pouvons néanmoins voir clairement qu’elle possède trois traits essentiels : toute croyance doit avoir un contenu propositionnel ; toute croyance peut être jugée vraie ou fausse ; et toute croyance peut être justifiée ou injustifiée, rationnelle ou irrationnelle.
Supposons que Margot croie que Jupiter a seize lunes. Nous lui attribuons cette croyance au moyen de la phrase suivante :
« Margot croit que Jupiter a seize lunes. »
Que Jupiter a seize lunes est ce qu'on appelle le contenu propositionnel de la croyance de Margot. Le contenu propositionnel d'une croyance spécifie comment est le monde selon cette croyance. Il spécifie, en d'autres termes une condition de vérité – comment devrait être le monde si cette croyance était vraie. Ainsi :
La croyance de Margot que Jupiter a seize lunes est vraie si et seulement si Jupiter a seize lunes.
Pour le dire encore autrement, la croyance de Margot est vraie si et seulement si c'est un fait que Jupiter a seize lunes. En généralisant, donc, on peur dire :
La croyance du sujet S que p est vraie si et seulement si p.
La partie gauche de ce biconditionnel, « La croyance du sujet S que p est vraie », attribue la vérité à une croyance dotée d'un contenu donné ; et la partie droite, « Si et seulement si p », décrit le fait qui doit exister pour que l'attribution soit vraie. Un contenu propositionnel (ou proposition, pour faire court) est formé de concepts. Donc, pour que quelqu'un soit en mesure de croire la proposition que Jupiter a seize lunes, il doit posséder les concepts à partir desquels cette proposition particulière est formée, à savoir les concepts JUPITER, AVOIR, SEIZE, et LUNE.
On tire de là une autre façon équivalente de parler de la vérité d'une croyance : on peut également dire que la croyance que Jupiter a seize lunes est vraie uniquement dans le cas où l'entité à laquelle réfère le concept placé en position de sujet (ici, le concept JUPITER) a bien la propriété dénotée par le concept placé en position d'objet (ici, le concept AVOIR SEIZE LUNES). Puisque l'entité en question n'a pas la propriété en question (il se trouve que Jupiter a plus de trente lunes), cette croyance est fausse."
Paul Boghossian, La peur du savoir, 2006, Chapitre II, tr. fr. Ophelia Deroy, Agone, 2009, p. 13-15.
"A belief is a particular kind of mental share. If we ask precisely what kind of mental state it is, we find that it is not easy to say. We can describe it in other words, of course, but only in ones that cry out for as much explanation as talk about belief. To believe that Jupiter has sixteen moons, we could say, is to take the world to be such that in it Jupiter has sixteen moons ; or to represent the world as containing a particular heavenly body with sixteen moons ; and so forth.
Although we may not be able to analyze belief in terms of significantly different concepts, we can see clearly that three aspects are essential to it. Any belief must have a propositional content ; any belief can be assessed as true or false ; and any belief can be assessed as justified or unjustified, rational or irrational.
Consider Margo's belief that Jupiter has sixteen moons. We attribute this belief with the sentence :
Margo believes that Jupiter has sixteen moons.
That Jupiter has sixteen moons, we may say, is the propositional content of what Margo believes.
The propositional content of a belief specifies how the world is according to the belief. It specifies, in other words, a truth condition – how the world would have to be if the belief is to be true. Thus,
Margo's belief that Jupiter has sixteen moons is true if and only if Jupiter has sixteen moons.
As we may also put it, Margo's belief is true if and only if it is a fact that Jupiter has sixteen moons.
In general, then, we can say that
S's belief that p is true if and only if p,
with the left-hand side of this biconditional attributing truth to a belief with a given content, and the right-hand side describing the fact that would have to obtain if the attribution is to be true.
A propositional content (or proposition, for short) is built up out of concepts. So, for someone to be able to believe the proposition that Jupiter has sixteen moons, they must have the concepts out of which that particular proposition is built, namely, the concept Jupiter, the concept having, the concept sixteen, and the concept moon.
This gives us yet another, equivalent, way to talk about the truth of a belief. We could equally say that the belief that Jupiter has sixteen moons is true just in case the entity referred to by the concept in the subject position-namely, the concept Jupiter – has the property denoted by the concept in the object position – namely, the concept has sixteen moons. Since the entity in question doesn't have the property at issue-Jupiter, it turns out, has over thirty moons-the belief is false."
Paul Boghossian, Fear of knowledge. Against relativism and constructivism, 2006, Oxford University Press, 2007, p. 10-12.
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