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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
La science a-t-elle pour but la vérité ?

  "Le but final des sciences théoriques est donc de trouver les causes constantes des phénomènes. Il ne s'agit pas ici de décider si réellement tous les faits peuvent se ramener à de telles causes ; c'est-à-dire, si la nature est toujours intelligible, ou bien si elle présente des variations qui, se dérobant à la loi d'une causalité nécessaire, appartiennent au domaine de la spontanéité, de la liberté. Mais, on peut l'affirmer, la science qui a pour but de concevoir la nature, doit admettre la possibilité de cette conception ; et elle doit, en suite de son hypothèse, poursuivre son œuvre, ne fût-ce que pour acquérir la certitude irrécusable que nos connaissances sont limitées. […]
  Enfin le problème des sciences physiques consiste à ramener tous les phénomènes naturels à des forces invariables attractives et répulsives, dont l'intensité dépend de la distance des centres d'action.

  La possibilité de comprendre parfaitement la nature est subordonnée à la solution de ce problème. [...]
  La science théorique, à moins de s'arrêter à mi-chemin, doit donc mettre ses vues en harmonie avec le principe présenté sur la nature des forces élémentaires et les conséquences de ce principe. Sa mission sera achevée lorsqu'elle aura défini tous les phénomènes au moyen de forces élémentaires, et démontré que cette définition est la seule possible et compatible avec les faits. Une telle définition serait considérée comme la forme nécessaire de la conception de la nature, et l'on pourrait lui donner le titre de Vérité objective."

 

Hermann Ludwig von Helmholtz, Mémoire sur la conservation de l'énergie, 1847, Introduction, tr. fr. Louis Pérard, Paris, Victor Masson et fils, 1869, p. 58-59, 62 et 63.



  "Les concepts physiques sont des créations libres de l'esprit humain et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l'effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l'homme qui essaie de comprendre le mécanisme d'une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n'a aucun moyen d'ouvrir le boîtier. S'il est ingénieux il pourra se former quelque image du mécanisme, qu'il rendra responsable de tout ce qu'il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d'expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d'une telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu'à mesure que ses connaissances s'accroîtront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à l'existence d'une limite idéale de la connaissance que l'esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité objective."

 

Albert Einstein et Léopold Infeld, L'évolution des idées en physique, 1938, tr. fr. Maurice Solovine, Flammarion, Champs, 1982, p. 34-35.



  "Puisqu'il est question de vérité, je tiens à préciser que notre but est de découvrir des théories vraies, ou tout au moins des théories qui se rapprochent davantage de la vérité que celles que nous connaissons jusqu'à présent. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous puissions savoir avec certitude si une seule de nos théories explicatives est vraie. Il nous arrive de pouvoir critiquer une théorie explicative et d'établir qu'elle est fausse. Mais une bonne théorie explicative est toujours une anticipation audacieuse de choses à venir. On devrait pouvoir la tester et la critiquer, mais il sera toujours impossible de montrer qu'elle est vraie ; et, pourvu que l'on prenne « probable » dans l'une des nombreuses acceptions qui satisfont aux exigences du calcul des probabilités, il sera toujours impossible de montrer qu'elle est « probable » (c'est-à-dire plus probable que sa négation)."

 

Karl Popper, L'évolution et l'arbre de la connaissance, in La connaissance objective, 1961, trad. J.-J. Rosat, Champs Flammarion, 1998, p. 396.


 

  "Peut-être le progrès scientifique n'est-il pas exactement ce que nous avions cru. Mais un certain genre de progrès caractérisera inévitablement l'entreprise scientifique, tant qu'elle survit. Et des progrès d'un autre genre ne sont pas nécessaires à la science. Pour être plus précis, disons que nous devrons peut-être abandonner la notion, explicite ou implicite, selon laquelle les changements de paradigmes amènent les scientifiques, et ceux qui s'instruisent auprès d'eux, de plus en plus près de la vérité.
  Il est temps de remarquer que, jusqu'aux toutes dernières pages de cet essai, le terme vérité n'a figuré que dans une citation de Francis Bacon. Et même dans ces pages, il n'apparaît que parce qu'il est la source de la conviction de l'homme de science que des règles incompatibles ne peuvent pas exister dans la pratique des sciences, sauf durant les révolutions où la tâche principale du groupe est de les éliminer toutes, sauf une. Le processus de développement décrit dans cet essai est un processus d'évolution à partir d'une origine primitive – processus dont les stades successifs sont caractérisés par une compréhension de plus en plus détaillée et précise de la nature. Mais rien de ce qui a été dit ou de ce qui sera dit n'en fait un processus d'évolution vers quoi que ce soit. Cette lacune aura inévitablement gêné de nombreux lecteurs. Nous sommes tous profondément habitués à voir la science comme la seule entreprise qui se rapproche toujours plus d'un certain but fixé d'avance par la nature.

  Mais ce but est-il nécessaire ? Ne pouvons-nous pas rendre compte de l'existence de la science comme de son succès en termes d'évolution, à partir de l'état des connaissances du groupe à n'importe quel moment ? Est-il vraiment utile d'imaginer qu'il y a une manière complète, objective et vraie de voir la nature, le critère approprié de la réussite scientifique étant la mesure dans laquelle elle nous rapproche de ce but ultime ? Si nous pouvions apprendre à substituer l'évolution-à-partir-de-ce-que-nous-savons à l'évolution-vers-ce-que-nous-désirons-savoir, un certain nombre de problèmes agaçants disparaîtraient chemin faisant."

 

Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, 1962, tr. Fr. L. Meyer, Champs Flammarion, 1983, p. 232-233.


 

  "Loin d'être un maître solennel et sévère, la vérité est un serviteur docile et obéissant. Le scientifique s'abuse lui-même quand il suppose qu'il est un esprit uniquement voué à la recherche de la vérité. Il ne s'intéresse pas aux vérités triviales qu'il pourrait ressasser sans fin, mais s'occupe de résultats d'observations irréguliers et à facettes multiples, qui ne lui fourniront pas plus que des suggestions pour des structures globales et des généralisations significatives. Il recherche le système, la simplicité et la portée ; et quand il est satisfait sur ces rubriques, il taille la vérité à leur mesure. Il décrète autant qu'il découvre les lois qu'il établit, il dessine autant qu'il discerne les modèles qu'il définit. […] Plutôt que de parler des images comme vraies ou fausses, nous ferions mieux de parler des théories comme correctes ou incorrectes ; car la vérité des lois d'une théorie n'en est qu'une caractéristique particulière et, nous l'avons vu, son importance se trouve souvent écrasée par la puissance, la concision, la portée, le caractère informatif et le pouvoir d'organisation du système global. « La vérité, toute la vérité, rien que la vérité » deviendrait ainsi une règle perverse et paralysante pour un faiseur de monde. Toute la vérité ? Ce serait trop, trop vaste, variable et chargé de banalités. La vérité toute seule ? Ce serait trop peu, car il existe des versions correctes qui ne sont pas vraies – étant soit fausses, soit ni vraies ni fausses – et, même pour des versions vraies, la correction peut importer davantage."

 

Nelson Goodman, Reconceptions en philosophie dans d'autres arts et dans d'autres sciences, 1988, tr. fr. Marie-Dominique Popleard, Paris, PUF, 1994, p. 28-29, Folio essais, 2010, p.  37 et p. 39.

 

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Date de création : 11/11/2014 @ 09:58
Dernière modification : 23/01/2023 @ 16:51
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