"Souvent, les [enquêtes judiciaires ou policières] se terminent par une certitude absolue : oui, c'est Dupont qui a tué Durand et il l'a tué pour telle et telle raison. Mais une enquête appelée à se conclure sur une certitude peut fort bien commencer par des théories reposant sur des conjectures non fondées, et être située dans un cadre gui sera finalement éliminé. Ainsi, dans un film de Clouzot, L'assassin habite au 21, l'enquêteur recherche un coupable. Sans s'en rendre compte, il mène toute une partie de son enquête dans un cadre qui lui apparaîtra finalement inadéquat : la pension où a été commis le crime ayant organisé une petite fête où est exécuté un trio de Beethoven, il comprend tout à coup qu'il lui faut rechercher, non le coupable, mais les trois coupables solidairement responsables du crime. À l'intérieur de ce nouveau cadre, il construit alors la théorie qui lui permet de faire tenir ensemble tous les faits, et qui, elle, est indistinctement vraie, objective et certaine. […] Il est vrai que, sauf au moment où l'enquête s'arrête pour cause de bonne fin, les théories soutenues par l'enquêteur reposent toutes sur des propositions non fondées. Il n'en dérive évidemment par qu'il n'y ait pas d'objectivité possible et que la conclusion de l'enquêteur repose toujours sur des propositions non fondées. Lorsqu'une enquête ne se conclut pas, ce n'est pas en vertu de l'essence même de l'enquête, mais pour des raisons contingentes."

Raymond Boudon, Le juste et le vrai. Études sur l'objectivité des valeurs et de la connaissance, 1995, Chapitre 13, Hachette Littératures, coll. Pluriel, 2009, p. 511-512.
 

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