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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
Les limites du doute ; ce dont on ne peut pas douter

  "Il s'en trouve d'autres, au contraire [des esprits faux], qui, ayant assez de lumières pour connaître qu'il y a quantité de choses obscures et incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire, mettent leur gloire à soutenir qu'il n'y a rien de certain : ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner et, sur ce mauvais principe, ils mettent en doute les vérités les plus constantes, et la Religion même. C'est la source du Pyrrhonisme, qui est une autre extravagance de l'esprit humain, qui, paraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d'attention ; car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d'envisager la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très fausses ; et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines : mais, dans les uns et dans les autres, c'est le même défaut d'application qui produit des effets si différents.
  La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient ; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s'arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens, qui ne détruisent pas l'assurance raisonnable que l'on a des choses certaines, non pas même dans l'esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement qu'il y a une terre, un soleil et une lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu'on en doute, parce que l'on peut mentir ; mais on ne peut pas le faire dire à son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n'est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu'ils disent, mais c'est une secte de menteurs. Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur opinion, leur cœur ne pouvant s'accorder avec leur langue, comme on peut le voir dans Montaigne, qui a tâché de le renouveler au dernier siècle"

 

Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou l'art de penser, 1662, Champs Flammarion, 1978, p. 38-39.



  "Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens[1], qui n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvements, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir.
  Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison – qui voudrait juger de tout – mais non pas à combattre notre certitude. Comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire, plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.
  Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l'ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n'est qu'humaine et inutile pour le salut."

 

Pascal, Pensées, 1670, pensée n° 282, texte de l'édition Brunschvicg, Garnier, 1964, p. 147-148, Lafuma 110.


[1] Pyrrhoniens : désigne les philosophes sceptiques (disciples de Pyrrhon) qui affirment qu'on ne peut parvenir à aucune connaissance véritable et qu'on doit, en conséquence, ne rien affirmer ni nier.



  "Descartes a eu raison de penser que, pour arriver à des connaissances certaines, il fallait commencer par rejeter toutes celles que nous croyons avoir acquises : mais il s'est trompé, lorsqu'il a cru qu'il suffisait pour cela de les révoquer en doute. Douter si deux et deux font quatre, si l'homme est un animal raisonnable, c'est avoir des idées de deux, de quatre, d'homme, d'animal, et de raisonnable. Le doute laisse donc subsister les idées telles qu'elles sont ; ainsi, nos erreurs venant de ce que nos idées ont été mal faites, il ne les saurait prévenir. Il peut pendant un temps nous faire suspendre nos jugements : mais enfin nous ne sortirons d'incertitude, qu'en consultant les idées qu'il n'a pas détruites ; et, par conséquent, si elles sont vagues, et mal déterminées, elles nous égareront comme auparavant. Le doute de Descartes est donc inutile. Chacun peut éprouver par lui-même qu'il est encore impraticable : car si l'on compare des idées familières et bien déterminées, il n'est pas possible de douter des rapports qui sont entre elles. Telles sont, par exemple, celles des nombres. Si ce philosophe n'avait pas été prévenu pour les idées innées, il aurait vu que l'unique moyen de se faire un nouveau fonds de connaissances, était de détruire les idées mêmes, pour les reprendre à leur origine, c'est-à-dire, aux sensations."

 

Étienne Bonnot de Condillac, Essais sur l'origine des connaissances humaines, 1746, Seconde partie, section seconde, chapitre III, Pierre Mortier, p. 264-265.


  "Si l'homme était forcé de se prouver à lui-même toutes les vérités dont il se sert chaque jour, il n'en finirait point ; il s'épuiserait en démonstrations préliminaires sans avancer ; comme il n'a pas le temps, à cause du court espace de la vie, ni la faculté, à cause des bornes de son esprit, d'en agir ainsi, il en est réduit à tenir pour assurés une foule de faits et d'opinions qu'il n'a eu ni le loisir ni le pouvoir d'examiner et de vérifier par lui-même, mais que de plus habiles ont trouvés ou que la foule adopte. C'est sur ce premier fondement qu'il élève lui-même l'édifice de ses propres pensées. Ce n'est pas sa volonté qui l'amène à procéder de cette manière ; la loi inflexible de sa condition l'y contraint.
  Il n'y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu'il n'en établit.

  Ceci est non seulement nécessaire, mais désirable. Un homme qui entreprendrait d'examiner tout par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps et d'attention à chaque chose ; ce travail tiendrait son esprit dans une agitation perpétuelle qui l'empêcherait de pénétrer profondément dans aucune vérité et de se fixer avec solidité dans aucune certitude. Son intelligence serait tout à la fois indépendante et débile. Il faut donc que, parmi les divers objets des opinions humaines, il fasse un choix et qu'il adopte beaucoup de croyances sans les discuter, afin d'en mieux approfondir un petit nombre dont il s'est réservé l'examen.
  Il est vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole d'autrui met son esprit en esclavage ; mais c'est une servitude salutaire qui permet de faire un bon usage de la liberté.
  Il faut donc toujours, quoiqu'il arrive, que l'autorité se rencontre quelque part dans le monde intellectuel et moral. Sa place est variable, mais elle a nécessairement une place."

 

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1840, II, Première partie, Chapitre II, GF, 1981, p. 15-16.


 

  "93. Les propositions qui représentent ce que Moore « sait » sont toutes d'un genre tel que l'on peut difficilement se représenter pourquoi quelqu'un irait croire le contraire. Par exemple, la proposition selon laquelle Moore a vécu à proximité immédiate de la terre. – Là encore je peux parler de moi-même au lieu de Moore. […] Rien dans mon image du monde ne parle pour une vue contraire.
  94. Mais cette image du monde, je ne l'ai pas parce que je me suis convaincu de sa rectitude ; ni non plus parce que  je  suis  convaincu  de  sa  rectitude.  Non, elle est l'arrière-plan dont j'ai hérité sur le fond duquel je distingue entre vrai et faux.

  95. Les propositions qui décrivent cette image du monde pourraient appartenir à une sorte de mythologie. Et leur rôle est semblable à celui des règles du jeu ; et ce jeu, on peut aussi l'apprendre de façon purement pratique, sans règles explicites.
  96. On pourrait se représenter certaines propositions, empiriques de forme, comme solidifiées et fonctionnant tels des conduits pour les propositions empiriques fluides, non solidifiées ; et que cette relation se modifierait avec le temps, des propositions fluides se solidifiant et des propositions durcies se liquéfiant.
  97.  La  mythologie  peut  se  trouver  à  nouveau  prise dans le courant, le lit où coulent les pensées peut se déplacer. Mais je distingue entre le flux de l'eau dans le lit de la rivière et le déplacement de ce dernier ; bien qu'il n'y ait pas entre les deux une division tranchée.
  98. Mais si on venait nous dire : « La logique est donc elle aussi une science empirique », on aurait tort. Ce qui est juste, c'est ceci : la même proposition peut être traitée à un moment comme ce qui est à vérifier par l'expérience, à un autre moment comme une règle de la vérification.
  99. Et même le bord de cette rivière est fait en partie d'un roc solide qui n'est sujet à aucune modification ou sinon à une modification imperceptible, et il est fait en partie d'un sable que le flot entraîne puis dépose ici et là."

 

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, 1954, tr. fr. Jacques Fauve, Paris, Gallimard, tel, 2000, p. 49-50.


 

  "115. Qui voudrait douter de tout n'irait même pas jusqu'au doute. Le jeu du doute lui-même présuppose la certitude".
  "253. À la base de la croyance fondée, il y a la croyance qui n'est pas fondée".

  "337. On ne peut pas procéder à des expérimentations s'il n'y a pas nombre de choses qu'on ne met pas en doute. Mais cela ne veut pas dire que l'on admet certaines présuppositions de confiance. Si je poste une lettre que j'ai écrite, je tiens qu'elle va arriver, je m'y attends.
  Lorsque je procède à une expérimentation, je ne doute pas de l'existence de l'appareillage que j'ai sous les yeux ; j'ai une masse de doutes, mais non celui-là. Lorsque je fais un calcul, je crois sans en douter, que les chiffres qui sont sur le papier ne vont pas permuter d'eux-mêmes, je me fie tout au long à ma mémoire, et je m'y fie de façon inconditionnelle. La certitude qui joue ici est la même que celle de n'être jamais allé sur la lune".
  "341. […] les questions que nous posons et nos doutes reposent sur ceci : certaines propositions sont soustraites au doute, comme des gonds sur lesquels tournent ces questions et doutes".
  "342. […] il est inhérent[1] à la logique de nos investigations scientifiques qu'effectivement certaines choses ne soient pas mises en doute".

 

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, 1951, tr. fr. Jacques Fauve, Gallimard, coll. tel.


 

  "337 - On ne peut pas procéder à des expérimentations s'il n'y a pas nombre de choses qu'on ne met pas en doute. Mais cela ne veut pas dire que l'on admet certaines présuppositions de confiance. Si je poste une lettre que j'ai écrite, je tiens qu'elle va arriver, je m'y attends.
  Lorsque je procède à une expérimentation, je ne doute pas de l'existence de l'appareillage que j'ai sous les yeux; j'ai une masse de doutes, mais non celui-là. Lorsque je fais un calcul, je crois, sans en douter, que les chiffres qui sont sur le papier ne vont pas permuter d'eux-mêmes, je me fie tout au long à ma mémoire, et je m'y fie de façon inconditionnelle. La certitude qui joue ici est la même que celle de n'avoir jamais été sur la Lune.
  338 - Imaginons-nous cependant des gens qui ne seraient pas tout à fait sûrs de ces choses mais qui diraient qu'il en va ainsi très vraisemblablement et que cela ne vaut pas la peine d'en douter. Dans ma situation, ils diraient donc : « Il est hautement invraisemblable que j'aie jamais été sur la Lune, etc. » En quoi la vie de ces gens serait-elle différente de la nôtre ? Des gens disent – il y en a – que, si l'on pose une casserole d'eau sur le feu, il n'est que hautement probable qu'elle se mette à bouillir et non à geler, et donc qu'à strictement parler, ce que nous considérons comme impossible n'est qu'improbable. Quelle différence est-ce que cela fait dans leur vie ? N'est-ce pas seulement qu'ils en disent plus sur certaines choses que nous autres ?

  339 - Imagine-toi un homme qui doit aller chercher un ami à la gare et qui ne se contente pas de consulter l'horaire et de partir à une certaine heure pour la gare, mais qui dise : « Je ne crois pas que le train va vraiment arriver, je vais pourtant aller à la gare. » Il fait tout ce que l'on fait habituellement, mais assortit ce qu'il fait de doute contre soi-même, etc.
  340 - La certitude avec laquelle nous croyons n'importe quelle proposition mathématique est la même que celle que nous avons quand nous savons comment il faut prononcer les lettres A et B, comment s'appelle la couleur de notre sang et quand nous savons que les autres ont du sang qu'ils appellent « sang ».
  341 - C'est-à-dire : les questions que nous posons et nos doutes reposent sur ceci : certaines propositions sont soustraites au doute, comme des gonds sur lesquels tournent ces questions et doutes.
  342 - C'est-à-dire : il est inhérent à la logique de nos investigations scientifiques qu'effectivement certaines choses ne soient pas mises en doute.
  343 - Mais ce n'est pas que nous ne puissions pas nous livrer à une investigation sur tout, bien forcés ainsi de nous contenter de présuppositions. Non. Si je veux que la porte tourne, il faut que les gonds soient fixes."

 

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, § 337-343, Gallimard, «  Idées », tr. fr. Jacques Fauve, 1976, p. 88-90.


 

  "Après avoir conduit son argumentation dans la langue philosophique hautement développée de son temps, [Descartes] résuma ses découvertes dans la fameuse formule latine cogito, ergo sum, voulant dire que si toutes les représentations pouvaient être douteuses, en revanche sa propre pensée et donc sa propre existence ne pouvaient être mises en doute. Et pourtant il exposa tout cela dans des langues telles que le français ou le latin et en s'appuyant sur une tradition érudite à laquelle, en même temps qu'à ces langues, d'autres hommes l'avaient initié. Il tirait donc de ce qu'il avait appris auprès d'autrui jusqu'aux instruments même qu'il utilisait pour découvrir en lui-même, ce qui, à ses yeux, ne pouvait venir de l'extérieur et donc ne pouvait en aucun cas relever de l'illusion. Mais si l'on met en doute, en tant qu'expérience extérieure et donc source possible d'illusion, tout ce qu'on a appris d'autrui, pourquoi ne pas alors considérer également comme autant d'illusions la langue apprise auprès d'autres hommes et l'existence même de ces autres ? Descartes n'a pas poussé le doute assez loin. Il s'est arrêté là même ou il aurait pu commencer à ébranler la croyance axiomatique du philosophe en cette absolue indépendance et autonomie de l' « entendement », qui constituait la preuve apparemment définitive de sa propre existence."

 

Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 71-72.


 

  "En d'autres termes quels sont ces traits structurels de notre schème conceptuel, ces traits de notre cadre de pensée (framework) qui doivent être considérés à la fois comme impossibles à mettre en doute (beyond question) et impossibles à justifier (beyond validation) ? Quels sont ces traits qui s'offrent plutôt au genre de traitement philosophique que j'ai suggéré et qui pourrait être appelé l'« analyse connective » ? Hume au livre premier du Traité de la nature humaine s'intéresse essentiellement, nous l'avons vu, à deux de ces caractères : l'habitude de l'induction et la croyance en l'existence des corps, du monde physique. Wittgenstein semble offrir ou suggérer une collection plus hétérogène, bien qu'il tempère cette hétérogénéité en introduisant dans son tableau un élément dynamique puisqu'il admet la possibilité du changement ; certaines choses qui, à un certain moment, dans un certain contexte, dans une certaine relation, peuvent avoir le statut de traits fondamentaux, au-delà du doute comme de la vérification, peuvent, à une autre époque, dans un autre contexte, dans une autre relation, être remises en question, et même rejetées ; d'autres sont fixes et inaltérables. […]
  Mais, même si on laisse de côté le problème des systèmes de croyances individuels, l'on fera peut-être remarquer que Wittgenstein, en reconnaissant un élément dynamique dans le système collectif de croyances, remet en question l'idée même qui guide notre démarche. […] Personne ne peut nier que la conception géocentrique de l'univers – ou du moins de ce que nous appelons aujourd'hui le système solaire – ait fait partie à une certaine époque du cadre de la pensée humaine. Il en va de même pour tel ou tel mythe de la création. Ou pour telle ou telle forme d'animisme. Si notre « cadre de référence », pour employer  la  formule  de  Wittgenstein [De  la  certitude, §83], peut subir des révolutions aussi radicales que la révolution copernicienne (la vraie, pas la « révolution copernicienne » de Kant [Critique de la raison pure, p. 740], pourquoi devrions-nous supposer qu'il y a dans ce cadre quoi que ce soit de « fixe et inaltérable » ?
  En réalité, il n'y a pas de raison pour que la métaphysique se soumette si humblement à ce genre de pression historiciste. L'image humaine du monde est, bien entendu, sujette au changement. Mais elle demeure une image humaine du monde : l'image d'un monde d'objets physiques (les corps) situés dans l'espace et le temps, d'un monde qui comprend des observateurs capables d'agir, ainsi que d'acquérir et de transmettre des connaissances (et des erreurs), au sujet d'eux-mêmes, des autres et de tout ce qui se trouve dans la nature. L'idée même d'une altération historique de la vision humaine du monde implique, en fait, une certaine conception permanente de ce qui n'est, selon la formule de Wittgenstein, « sujet à aucune modification ou sinon à une modification imperceptible » [De la certitude, § 99].
  Il n'est pas étonnant, étant donné l'aversion extrême dont Wittgenstein fait preuve dans ses dernières œuvres envers tout traitement systématique des problèmes, qu'il n'ait jamais tenté de spécifier les aspects de notre image du monde, de notre cadre de référence, qui ne sont « sujets à aucune modification, ou sinon à une modification imperceptible »,  c'est-à-dire  les  aspects  auxquels  nous sommes attachés par un engagement (commitment) humain ou naturel si profond qu'ils résistent, et résisteront, on peut le penser, à toutes les révolutions de la pensée scientifique ou de l'évolution sociale."

 

P. -F. Strawson, Skepticism and Naturalism : Some Varieties, 1985, tr. fr. J. Lacoste, New York, University of Columbla Press, 1985, p. 25.


[1] Inhérent : c'est ce qui, par sa nature, est inséparable d'une autre chose.

 

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Date de création : 26/01/2015 @ 08:43
Dernière modification : 17/05/2024 @ 15:34
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