"Mademoiselle Elisabeth v. R…
Au cours de l'automne 1892, un médecin de mes amis me demanda d'examiner une jeune fille qui, depuis plus de deux ans, souffrait de douleurs dans les jambes et marchait avec difficulté. Il ajouta qu'il s'agissait, d'après lui, d'une hystérie, bien qu'aucun des symptômes habituels de cette névrose ne soit décelable. Il connaissait un peu la famille de la malade et savait que les années écoulées lui avaient apporté beaucoup de malheurs et peu de joie. D'abord, la malade avait perdu son père, puis sa mère avait dû subir une grave opération aux yeux et, bientôt après, une de ses sœurs mariée était morte d'une affection cardiaque après son accouchement. C'est notre patiente qui avait eu la plus grande part de tous les soucis ainsi que de tous les soins à donner. […]
Je l'interrogeai donc sur les circonstances et les causes de la première apparition de ses douleurs. Ses pensées s'attachèrent alors à des vacances dans la ville d'eaux où elle était allée avant son voyage à Gastein et certaines scènes surgirent, que nous avions déjà plus superficiellement traitées auparavant. Elle parla de son état d'âme à cette époque, de sa lassitude après tous les soucis que lui avaient causés la maladie ophtalmique de sa mère et les soins qu'elle lui avait donnés à l'époque de l'opération ; elle parla enfin de son découragement final, en pensant qu'il lui faudrait, vieille fille solitaire, renoncer à profiter de l'existence et à réaliser quelque chose dans la vie. Jusqu'alors, elle s'était trouvée assez forte pour se passer de l'aide d'un homme ; maintenant, le sentiment de sa faiblesse féminine l'avait envahie, ainsi que le besoin d'amour et alors, suivant ses propres paroles, son être figé commença à fondre. En proie à un pareil état d'âme, l'heureux mariage de sa sœur cadette fit sur elle la plus grande impression ; elle fut témoin de tous les tendres soins dont le beau-frère entourait sa femme, de la façon dont ils se comprenaient d'un seul regard, de leur confiance mutuelle. On pouvait évidemment regretter que la deuxième grossesse succédât aussi rapidement à la première, mais sa sœur qui savait que c'était là la cause de sa maladie supportait allègrement son mal en pensant que l'être aimé en était la cause. Au moment de la promenade qui était étroitement liée aux douleurs d'Elisabeth, le beau-frère avait tout d'abord refusé de sortir, préférant rester auprès de sa femme malade, mais un regard de celle-ci pensant qu'Elisabeth s'en réjouirait, le décida à faire cette excursion. La jeune fille resta tout le temps en compagnie de son beau-frère, ils parlèrent d'une foule de choses intimes et tout ce qu'il lui dit correspondait si harmonieusement à ses propres sentiments qu'un désir l'envahit alors : celui de posséder un mari ressemblant à celui-là. Puis ce fut le matin qui suivit le départ de sa sœur, et du beau-frère qu'elle se rendit à ce site, promenade rêvée de ceux qui venaient de partir. Là, elle s'assit sur une pierre, et rêva à nouveau d'une vie heureuse comme celle de sa sœur, et d'un homme, comme son beau-frère, qui saurait capter son cœur. En se relevant, elle ressentit une douleur qui disparut cette fois-là encore et ce ne fut que dans l'après-midi qui suivit un bain chaud pris dans cet endroit que les douleurs réapparurent pour ne plus la quitter. J'essayai de savoir quelles pensées l'avaient préoccupée dans son bain ; je ne pus apprendre qu'une seule chose, c'est que l'établissement de bains l'avait fait se souvenir de ce que le jeune ménage y avait habité.
J'avais compris depuis longtemps de quoi il s'agissait. La malade, plongée dans ses souvenirs à la fois doux et amers, ne paraissait pas saisir la sorte d'explication qu'elle me suggérait, et continuait à rapporter ses réminiscences. Elle dépeignait son séjour à Gastein et l'état d'anxiété où la plongeait l'arrivée de chacune des lettres ; enfin lui parvint la nouvelle de l'état alarmant de sa sœur, et Elisabeth décrivit la longue attente, le départ du train, le voyage fait dans une angoissante incertitude, la nuit sans sommeil, tout cela accompagné d'une violente recrudescence des douleurs. Je lui demandai si elle s'était représentée pendant le trajet la tragique possibilité qu'elle trouva réalisée à son arrivée. Elle me dit avoir fait l'impossible pour chasser cette idée, mais sa mère, croyait-elle, s'était depuis le début attendue au pire. Suivit le récit de son arrivée à Vienne. Elle décrivit l'impression causée par les parents qui les attendaient à la gare, le petit trajet de Vienne jusqu'à la proche banlieue où habitait sa sœur, l'arrivée le soir, la traversée rapide du jardin jusqu'à la porte du petit pavillon, la maison silencieuse et plongée dans une angoissante obscurité, le fait que le beau-frère ne vint pas à leur rencontre. Puis l'entrée dans la chambre où reposait la morte, et tout à coup, l'horrible certitude que cette sœur bien-aimée était partie sans leur dire adieu, sans que leurs soins eussent pu alléger ses derniers moments. Au même instant, une autre pensée avait traversé l'esprit d'Elisabeth, une pensée qui, à la manière d'un éclair rapide, avait traversé les ténèbres : l'idée qu'il était redevenu libre, et qu'elle pourrait l'épouser.
Tout s'éclairait. Les efforts de l'analyse étaient couronnés de succès. À cette minute, ce que j'avais supposé se confirmait à mes yeux. L'idée de « rejet » d'une représentation insupportable, l'apparition des symptômes hystériques par conversion d'une excitation psychique en symptômes somatiques[1], la formation – par un acte volontaire aboutissant à une défense – d'un groupe psychique isolé. C'était ainsi et non autrement que les choses s'étaient ici passées. Cette jeune fille avait éprouvé pour son beau-frère une tendre inclination, mais toute sa personne morale révoltée avait refusé de prendre conscience de ce sentiment. Enfin, lorsque cette certitude s'est imposée à elle (pendant la promenade faite avec lui, pendant sa rêverie matinale, au bain et devant le lit de sa sœur), elle s'était créé des douleurs par une conversion réussie du psychique au somatique. À l'époque où j'entrepris son traitement, l'isolement du groupe d'associations relatives à cet amour était déjà fait accompli, sans cela, je crois qu'elle ne se serait jamais prêtée au traitement ; la résistance qu'elle opposa maintes fois à la reproduction des scènes traumatisantes correspondait réellement à l'énergie mise en œuvre pour rejeter hors des associations l'idée intolérable. Toutefois, le thérapeute fut en proie à bien des difficultés dans le temps qui suivit. Pour cette pauvre enfant, l'effet de la prise de conscience d'une représentation refoulée fut bouleversant. Elle poussa les hauts cris, lorsqu'en termes précis, je lui exposai les faits en lui montrant que, depuis longtemps, elle était amoureuse de son beau-frère. À cet instant elle se plaignit des plus affreuses douleurs et fit encore un effort désespéré pour rejeter mes explications : « ce n'est pas vrai, c'était moi qui le lui avais suggéré, c'était impossible, elle n'était pas capable de tant de vilénie, ce serait impardonnable, etc. » Il ne fut pas difficile de lui démontrer que ses propres paroles ne laissaient place à aucune interprétation, mais il me fallut longtemps pour lui faire accepter mes deux arguments consolateurs, à savoir que l'on n'est pas responsable de ses sentiments et que, dans ces circonstances, son comportement, son attitude, sa maladie, témoignaient suffisamment de sa haute moralité".
Freud, Études sur l'hystérie (1893), tr. A. Berman, PUF, pp. 106, 123-125.
"Il n'y a dans ce système ni négation, ni doute, ni degré dans la certitude. Tout cela n'est introduit que par le travail de la censure entre Icset Pcs. La négation est un substitut de refoulement d'un niveau supérieur. Dans l'Ics, il n'y a que des contenus plus ou moins fortement investis.
Il y règne une plus grande mobilité des intensités d'investissement. Par le processus de déplacement, une représentation peut transmettre tout son quantum d'investissement à une autre ; par celui de la condensation, s'approprier tout l'investissement de plusieurs autres. J'ai proposé de considérer ces deux processus comme signes caractéristiques de ce que nous appelons le processus psychique primaire. Dans le système Pcs règne le processus secondaire ; dans le cas où un tel processus primaire peut se dérouler sur des éléments du système Pcs, il apparaît « comique » et provoque le rire.
Les processus du système Ics sont intemporels, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l'écoulement du temps, n'ont absolument aucune relation avec le temps. La relation au temps elle aussi est liée au travail du système Cs.
Pas davantage les processus Ics n'ont égard à la réalité. Ils sont soumis au principe de plaisir ; leur destin ne dépend que de leur force et de leur conformité ou non-conformité aux exigences de la régulation plaisir-déplaisir.
Résumons-nous : absence de contradiction, processus primaire (mobilité des investissements), intemporalité et substitution à la réalité extérieure de la réalité psychique, tels sont les caractères que nous devons nous attendre à trouver aux processus appartenant au système Ics."
Freud, Métapsychologie (« l'inconscient »), 1915, tr. fr. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, éd. Gallimard, pp. 96-98.
"[…] Freud découvrit par une méthode particulière à laquelle il a donné le nom de psychanalyse, le processus qui domine la vie de l'âme. Ses découvertes les plus importantes, qui anéantirent et bouleversèrent un grand nombre de concepts anciens - ce qui lui rapporta au début la haine du monde -, sont les suivantes :
La conscience (psychologique) n'est qu'une petite partie du domaine psychique ; elle est tributaire de processus psychiques inconscients qui échappent pour cette raison au contrôle de la conscience : tout événement psychique - même s'il apparaît dépourvu de sens comme le rêve, l'acte manqué, les propos décousus des psychotiques et des aliénés - a une fonction et un « sens » parfaitement compréhensible si on réussit à l'insérer dans l'histoire du développement de la personne humaine. Par cette découverte, la psychologie qui jusque-là avait végété sous la forme d'une vague physique du cerveau (« mythologie du cerveau ») on comme hypothèse d'un esprit objectif mystérieux, prenait soudain place parmi les sciences naturelles.
La deuxième grande découverte de Freud était celle d'une sexualité infantile très active, complètement indépendante de la fonction de reproduction : la sexualité et la reproduction, le sexuel et le génital ne sont donc nullement identiques ; la dissection analytique des processus psychiques a d'autre part mis en évidence que la sexualité, ou plutôt son énergie, la libido, qui est d'origine somatique, est le moteur central de la vie de l'âme. Préalables biologiques et conditions sociales se rencontrent donc dans le psychique.
La troisième grande découverte fut que la sexualité infantile, dont fait partie aussi l'essentiel de la relation enfants-parents (complexe d'Œdipe), est généralement refoulée parce que l'enfant craint d'être puni pour des actes et des pensées sexuels (c'est là le sens profond de l' « angoisse de castration ») ; ainsi, la sexualité se trouve coupée de l'action et effacée de la mémoire. Le refoulement de la sexualité infantile soustrait celle-ci au contrôle de la conscience sans lui enlever son énergie ; bien au contraire, il la renforce et l'infléchit de telle manière qu'elle se manifeste dans plusieurs troubles pathologiques de la vie de l'âme. Comme cette règle s'applique sans exception à tous les « hommes civilisés », Freud pouvait dire que l'humanité tout entière était sa patiente.
La quatrième découverte importante dans ce contexte fut que les instances morales dans l'homme ne sont nullement d'origine supra-terrestre, mais résultent des mesures pédagogiques que les parents et leurs représentants prennent à l'égard des enfants dès leur plus bas âge. Au centre de ces mesures pédagogiques se trouvent celles qui visent à la répression de la sexualité de l'enfant. Le conflit qui, au début, oppose les désirs de l'enfant aux interdictions des parents, se prolonge par la suite dans le conflit intérieur à la personne entre les pulsions et la morale. Les instances morales, qui appartiennent à la sphère de l'inconscient, se dressent, dans l'adulte, contre sa connaissance des lois de la sexualité et de la vie psychique inconsciente ; elles favorisent le refoulement sexuel (« résistance sexuelle ») et expliquent la résistance du monde contre la découverte de la sexualité infantile."
Wilhelm Reich, La Psychologie de masse du fascisme (1933), trad. P. Kammintzer, Payot, 1972.
"Notre notion de l'inconscient se trouve ainsi déduite de la théorie du refoulement. Ce qui est refoulé, est pour nous le prototype de l'inconscient. Nous savons cependant qu'il existe deux variétés d'inconscient : les faits psychiques latents, mais susceptibles de devenir conscients, et les faits psychiques refoulés qui, comme tels et livrés à eux-mêmes, sont incapables d'arriver à la conscience. Notre manière d'envisager le dynamisme psychique ne peut pas rester sans influence sur la terminologie et la description. Aussi disons-nous que les faits psychiques latents, c'est-à-dire inconscients au sens descriptif, mais non dynamique, du mot, sont des faits préconscients, et nous réservons le nom d'inconscients aux faits psychiques refoulés, c'est-à-dire dynamiquement inconscients. Nous sommes ainsi en possession de trois termes : conscient, préconscient et inconscient, dont la signification n'est plus purement descriptive. Nous admettons que le préconscient se rapproche davantage du conscient que l'inconscient et, comme nous n'avons pas hésité à attribuer à ce dernier un caractère psychique, nous hésiterons d'autant moins reconnaître ce caractère au préconscient, c'est-à-dire à ce qui est latent."
Freud, Essais de psychanalyse, 1923, III, 1, La conscience et l'inconscient.
"Le subconscient est universel autant qu'individuel, comme toutes les autres parties principales de la nature. Mais il a des parties ou des plans différents dans le subconscient. Tout sur terre est basé sur l'Inconscient, comme on l'appelle, bien que réellement il ne soit pas du tout inconscient mais au contraire une complète sub-conscience, une conscience involuée, ou enfermée, qui contient tout, mais en laquelle rien n'est formulé ni exprimé. Le subconscient se trouve entre cet Inconscient et la conscience du mental, de la vie et du corps. Il contient en puissance toutes les réactions primitives devant la vie, qui luttent pour émerger, sortir des rivages ternes inertes de la Matière, et qui, par un développement causal, forment une conscience en évolution, se formulant peu à peu ; il les contient, non comme des idées ou des perceptions ou des réactions conscientes, mais comme la substance fluide de ces choses. En outre, toutes nos expériences conscientes s'enfoncent dans le subconscient, non pas comme des souvenirs précis, bien que submergés, mais comme des impressions d'expérience, à la fois obscures et obstinées ; et ces impressions peuvent à tout moment remonter sous la forme de rêves, de répétitions mécaniques de pensées et de sentiments ou d'actions du passé, de complexes explosant en action ou en événements, etc. C'est surtout à cause du subconscient que tout se répète et que jamais rien ne change, sauf en apparence. C'est pourquoi on dit que le caractère ne peut être changé, et c'est aussi la cause du retour constant des difficultés dont on espérait s'être débarrassé pour toujours. Toutes les semences sont là, ainsi que tous les samskara du mental, du vital et du corps ; c'est le principal support de la mort et de la maladie, et la dernière forteresse (imprenable à ce qu'il semble) de l'Ignorance. Tout ce qui est réprimé, mais non complètement rejeté, s'y enfonce et y demeure comme une semence, prêt à surgir à la surface ou à germer à la première occasion".
Shri Aurobindo, Lettres sur le yoga, 1926-1942, II, p. 146.
"Il y a de la difficulté sur le terme d'inconscient. Le principal est de comprendre comment la psychologie a imaginé ce personnage mythologique. Il est clair que le mécanisme échappe à la conscience, et lui fournit des résultats (par exemple, j'ai peur) sans aucune notion des causes. En ce sens la nature humaine est inconsciente autant que l'instinct animal et par les mêmes causes. On ne dit point que l'instinct est inconscient. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a point de conscience animale devant laquelle l'instinct produise ses effets. L'inconscient est un effet de contraste dans la conscience. On dit à un anxieux : « Vous avez peur », ce dont il n'a même pas l'idée ; il sent alors en lui un autre être qui est bien lui et qu'il trouve tout fait. Un caractère, en ce sens, est inconscient. Un homme regarde s'il tremble afin de savoir s'il a peur. Ajax, dans l'Iliade, se dit : « Voilà mes jambes qui me poussent ! Sûrement un dieu me conduit ! » Si je ne crois pas à un tel dieu, il faut alors que je croie à un monstre caché en moi. En fait l'homme s'habitue à avoir un corps et des instincts. Le psychiatre contrarie cette heureuse disposition ; il invente le monstre ; il le révèle à celui qui en est habité. Le freudisme, si fameux, est un art d'inventer en chaque homme un animal redoutable, d'après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes : les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d'où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce qu'il y a d'indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par là que ce genre d'instinct offrait une riche interprétation. L'homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je ; cette remarque est d'ordre moral."
Alain, Éléments de philosophie (1941), livre II, chap. XVI, note 146, Éd. Gallimard, 1985, p. 155.
"Pour rendre compte de cette osmose entre la vie anonyme du corps et la vie officielle de la personne, qui est la grande découverte de Freud, il fallait introduire quelque chose entre l'organisme et nous-mêmes comme suite d'actes délibérés, de connaissances expresses. Ce fut l'inconscient de Freud. Il suffit de suivre les transformations de cette notion-Protée dans l'œuvre de Freud, la diversité de ses emplois, les contradictions où elle entraîne, pour s'assurer que ce n'est pas là une notion mûre et qu'il reste encore, comme Freud le laisse entendre dans les Essais de psychanalyse, à formuler correctement ce qu'il visait sous cette désignation provisoire. L’inconscient évoque à première vue le lieu d'une dynamique des pulsions dont seul le résultat nous serait donné. Et pourtant l'inconscient ne peut pas être un processus «en troisième personne», puisque c'est lui qui choisit ce qui, de nous, sera admis à l'existence officielle, qui évite les pensées ou les situations auxquelles nous résistons et qu'il n'est donc pas un non-savoir, mais plutôt un savoir non reconnu, informulé, que nous ne voulons pas assumer. Dans un langage approximatif, Freud est ici sur le point de découvrir ce que d'autres ont mieux nommé perception ambiguë. C'est en travaillant dans ce sens qu'on trouvera un état civil pour cette conscience qui frôle ses objets, les éludé au moment où elle va les poser, en tient compte, comme l'aveugle des obstacles, plutôt qu'elle ne les reconnaît, qui ne veut pas les savoir, les ignore en tant qu'elle les sait, les sait en tant qu'elle les ignore, et qui sous-tend nos actes et nos connaissances exprès.
Quoi qu'il en soit des formulations philosophiques, il est hors de doute que Freud a aperçu de mieux en mieux la fonction spirituelle du corps et l'incarnation de l'esprit."
Merleau-Ponty, Signes, Gallimard, coll. «Folio essais», 1960, p. 291.