Nietzsche, Ecce Homo : Wie man wird, was man ist (Comment on devient ce que l'on est).
Nietzsche, Le Gai Savoir :
-- § 270 : Que dit ta conscience ? « Tu dois devenir qui tu es. »
-- § 335 : Quant à nous autres, nous voulons devenir ce que nous sommes - les nouveaux, les uniques, les incomparables, ceux-qui-se-font eux-mêmes la loi, ceux-qui-se-créent-eux-mêmes ! Et, dans ce but, il nous faut devenir les meilleurs disciples, les meilleurs inventeurs de tout ce qui est conforme à la loi et à la nécessité dans le monde : il nous faut être des physiciens pour pouvoir être dans ce sens-là des créateurs.
-- Fragments inédits § 11 (106) : Deviens, ne cesse de devenir qui tu es - le maître et le formateur de toi-même ! Tu n'es pas un écrivain, tu n'écris que pour toi ! Ainsi tu maintiens la mémoire de tes heureux instants et tu trouves leurs enchaînements, la chaîne d'or de toi-même !
La formule est en fait reprise de Pindare dans son Ode Pythique.
Voir aussi :
VIe Néméenne : « Il y a la race des hommes, il y a la race des dieux. À la même mère nous devons de respirer, les uns commeles autres ; mais un fossé nous sépare par la puissance qui nous estattribuée, car l'homme est néant tandis que les dieux ont toujours leciel d'airain pour demeure inébranlable. Cependant nous avons quelquerapport avec les immortels par la sublimité de l'esprit et aussi parnotre être physique, quoique nous ignorions quelle voie le destin atracé pour notre course, jour et nuit » (Pindare, Néméennes VI, Pour Alcimidas d'Égine, lutteur vainqueur au concours des garçons, v. 1-13).
De la Ve Isthmique : « N'aspire pas à devenir l'égal de Zeus. […] Aux mortels convient la condition mortelle » (Pindare, Ve Isthmique, PourPhilacidas d'Égine, vainqueur au pancrace, v. 14-16).
Sans oublier bien sûr le distique fameux de la IIIe Pythique mis par Valéry en exergue du Cimetière marin :
« O mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible » (Pindare, IIIe Pythique, Pour Hiéron de Syracuse, IV, v. 61 - 62).
Extrait d'un interview de Raymond Klibansky, lu dans un recueil d'hommages (The Notion of Tolerance and Human Rights. Essays in Honour of Raymond Klibansky) publié aux Belles Lettres par Georges Leroux et Michel Paradis :
J'ai quitté le Goethe-Gymnasium alors que j'avais quinze ans, pour aller dans une autre école tout à fait différente, une école d’un genre nouveau en réaction contre l'enseignement de l'État, en ce sens qu'on ne voulait pas imposer une discipline - cette discipline si chère aux Allemands - par des notes et des bulletins. J'en avais entendu parler par des amis et j'y étais très intéressé. La discipline devait être intérieure. On ne donnait pas de notes à la fin de l'année et l'étudiant devait être stimulé par lui-même à comprendre et à apprendre pour comprendre. C'était un système bien particulier et plus profond que celui pratiqué alors. Il m’a beaucoup aidé. La devise de l'École était le « Genoio hoios esti », « Deviens qui tu es » de Pindare. Mais si pour Pindare il s'agissait que le bien-né devienne ce que demandait sa haute naissance, à l'école on s'attendait à ce que l'élève réalise pleinement son potentiel personnel.
Vladimir Jankélévitch, Le je ne sais quoi et le presque rien :
"Comment l'homme peut il apprendre ce que déjà il sait ? Or on le peut ! Aristote, parlant de l'apprentissage drastique, explique cette contradiction ; de son côté Platon, parlant de l'amour, nous montre comment on peut désirer ce que l'on possède ; et de même, enfin, on peut chercher et redécouvrir (c'est-à-dire, en fait : découvrir) ce que déjà l'on a trouvé. Pascal aussi fait allusion à ce cercle du chercher trouver, mais il est pour lui comme une consolation destinée aux anxieux : si tu me cherches, c'est que tu m'as déjà trouvé, dit le Mystère de Jésus. La promesse est déjà tenue. Or le paradoxe peut aussi être interprété dans un sens pessimiste : ce qu'on croit avoir trouvé, il faut continuer à le chercher. Deviens ce que tu es ne signifie pas : « inutile de devenir puisque tu es déjà ce que tu pourrais devenir », mais bien plutôt : deviens à l'infini, puisque l'homme n'est jamais en acte tout ce qu'il pourrait être. Mon être ne m'est jamais acquis une fois pour toutes, inaliénablement. Apprendre ce que l'on sait, ou croyait savoir, et que pourtant on ne savait pas encore : ces mots résument en quelque sorte tout le mystère du re commencement, ou, mieux encore, de la deuxième première fois. Ce paradoxe nous aidera à comprendre plus tard le mystère de la reconnaissance. Les hommes passent ainsi leur temps à apprendre des choses qu'ils savent fort bien - par exemple la réalité d'un danger, et avant tout la réalité de la mort entrevue au terme d'une grave maladie. Ils se savaient mortels, et ils apprennent qu'ils vont mourir. Quand ils sont traqués. La belle découverte que voilà ! Ne le saviez-vous pas ? Eh bien non ! ils ne savaient pas… Ou plutôt, ils savaient, mais ils ne réalisaient pas ; ils ne savaient pas à quel point ils avaient raison ; c'est-à-dire qu'ils ne prenaient pas la mort au sérieux. Tel est le passage « ontologique », dans et par l'urgence, du savoir notionnel et quiescent à l'échéance affolante de ce soir. Tous les hommes se reconnaissent mortels ; peu nombreux les hommes qui « réalisent », cette possibilité et en prennent au sérieux les présages. C'est donc la « prise au sérieux », qui est ici déficiente, atrophiée, refoulée. D'un mot : la méconnaissance tient sans doute à un manque de sérieux. À cet égard le discours conceptuel, détournant notre attention de la mort sur la mortalité, est avant tout un discours frivole, et il n'est sécurisant qu'au prix de cette superficialité même. Les moines de certaines communautés, paraît il, se disent les uns aux autres, en guise de salutation quotidienne : Frère, il faut mourir… On peut supposer qu'ils récitent parfois cette formule mécaniquement et en quelque sorte du bout des lèvres ; à leur manière, qui est ascétique, ils prennent la mort à la légère. Au lieu de nous interpeller en termes comminatoires : vous allez mourir, vous et pas un autre ; et non pas au sens figuré, mais pour de bon ; et non pas aux calendes, mais demain matin ; au lieu de cela, on donne un avertissement valable pour l'être mortel et applicable à tous les représentants de cette espèce, et cet avertissement ne fait acception d'aucun délai précis. Il glisse donc sur nous sans ébranler la sinécure. Le concernement personnel, l'effectivité, la proximité sont en effet les trois éléments essentiels d'une prise de conscience qui débouche sur la prise au sérieux."
Raymond Aron, Introduction (1959) à Le savant et le politique de Max Weber, 10-18 :
"3. De même que la radicale diversité des époques ou des institutions à travers le temps dévaloriserait la sociologie historique, de même la radicale irrationalité des décisions dévaloriserait le souci de la discrimination rigoureuse entre science et politique, entre rapports aux valeurs et jugements de valeur. Après tout, pourquoi ne pas donner pour science ce qui est politique si, en dernière analyse, l'honnêteté n'est qu'un choix entre d'autres, ni plus ni moins valable que le choix contraire du cynisme, de l'hypocrisie ou de la confusion ? Le danger est d'autant plus réel qu'à certains moments Max Weber semble donner pour idéal, pour suprême aboutissement de son propre choix, le devoir pour chacun d'obéir à son dieu ou à son démon. Deviens ce que tu es, serait le dernier mot de ce que l'on ne devrait appeler ni morale ni sagesse mais peut-être « éthique personnelle »."