"La position libertarienne que j'ai jadis défendue me semble aujourd'hui très discutable, en partie parce qu'elle n'associait pas assez étroitement les considérations humaines et les activités de coopération auxquelles elle faisait place. Elle négligeait l'importance symbolique d'une prise en compte politique officielle des problèmes, comme un moyen de souligner leur importance ou leur urgence, et par conséquent d'exprimer, d'intensifier, de canaliser, d'encourager et de valider nos initiatives privées vis-à-vis de ces sujets de préoccupation. […]
Le point de vue libertarien ne s'intéressait qu'à la fonction du gouvernement, pas à son sens ; de ce fait, il avait une vision trop étroite de sa finalité. Une action politique commune fait plus qu'exprimer symboliquement nos préoccupations communes, elle constitue également un lien relationnel. […] L'absence totale de toute expression publique symbolique de sollicitude et de solidarité nous priverait tous d'une société validant les liens humains. « D'accord, mais pourquoi ceux qui réclament une telle société ne contribueraient-ils pas volontairement au financement de ses programmes publics au lieu d'imposer ceux qui s'en moquent ? » Mais un programme ainsi financé par des contributions volontaires, aussi valable cela soit-il, ne constituerait pas la validation solennelle et symbolique par la société du caractère essentiel de ces rapports de solidarité et de cette communauté d'intérêts. Ce résultat ne peut être obtenu que par le biais d'une action commune officielle, par un engagement au nom de tous. L'important n'est pas seulement d'atteindre ce but particulier — on pourrait y parvenir par le biais des seules contributions privées — ou d'obtenir des autres qu'ils paient aussi — on pourrait arriver au même résultat en leur volant les fonds nécessaires — mais aussi d'exprimer solennellement au nom de tous, au nom de la société, son attachement à ses valeurs."
Robert Nozick, Méditations sur la vie, 1989, trad. Michèle Garène, Paris,
Odile Jacob, 1995, p. 321-324.
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