"[Les Stoïciens] disent que la tendance fondamentale de l'animal est l'instinct de conservation, comme le dit Chrysippe au 1er livre de son ouvrage sur les Fins, la nature le lui a donné dès l'origine, tout animal possède une connaissance spécifique de ce qui convient à sa structure et à sa nature ; en effet il n'est pas permis de dire que l'animal se comporte comme un ennemi à l'égard de lui-même, ni qu'il n'est pas celui qui connaît le mieux ce qui lui convient. Il nous reste donc à dire que la nature l'a disposé à être attaché à lui-même et que c'est ainsi qu'il fuit ce qui lui est nuisible et qu'il recherche ce qui lui est utile. Quant à l'opinion de ceux qui donnent comme tendance fondamentale chez les animaux la recherche du plaisir ils ont montré qu'elle était fausse. En effet, ils disent que le plaisir, s'il existe, ne vient qu'en second après la nature, car elle-même, l'a obtenu, ayant cherché tout ce qui convient à sa constitution ; c'est de cette façon que les animaux se réjouissent, que les plantes fleurissent. Ils disent que la nature n'a fait aucune différence entre les végétaux et les animaux, car si elle gouverne les plantes sans instinct ni sensation, il y a en nous des choses qui se font à la manière des plantes. Quant aux autres tendances de l'animal qui le portent vers ce qui lui convient, elles lui sont données par surcroît et sont réglées selon une tendance naturelle. Comme d'autre part la raison a été donnée aux hommes selon une fonction plus parfaite, pour eux vivre droitement selon la raison, c'est vivre selon la nature ; en effet celle-ci est l'artisan de la tendance. C'est pourquoi Zénon, le premier, dans son livre sur la Nature humaine, a dit que la fin suprême était de vivre conformément à la nature."
Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, livre VII, chap. "Zénon", tr. fr. J. Brun, in Les Stoïciens, PUF. p. 85-86, Itinér. Philos. n°5, p. 16-17.
"Mais la nature ou essence prise en ce sens, peut être envisagée de deux façons :
1° selon la notion propre conçue dans l'absolu : en ce sens, rien n'est vrai au sujet de la notion qui ne lui convienne selon ce qu'elle est; c'est pourquoi tout ce qu'on lui attribue d'autre donne lieu à une attribution fausse. Par exemple, à l'homme en tant qu'homme, conviennent rationnel, animal, et autres choses impliquées dans sa définition; mais blanc ou noir ou autres déterminations qui n'appartiennent pas à la notion d'humanité ne conviennent pas à l'homme en tant qu'homme. Par suite, à la question de savoir si cette nature ainsi conçue peut être déclarée une ou multiple, il ne faut répondre ni l'un, ni l'autre : parce que les deux sont en dehors du concept d'humanité ; et que l'un et l'autre peuvent lui advenir. Si en effet, la pluralité appartenait à son concept, elle ne pourrait jamais être une, alors que cependant elle est une en tant qu'elle est dans Socrate. De même, si l'unité entrait dans son concept et sa notion, alors la nature de Socrate et de Platon, serait une et identique, et ne pourrait être multipliée en plusieurs individus ;
2° selon l'être que possède l'essence en tel ou tel : et ainsi on peut lui attribuer quelque chose par accident en raison de ce en quoi elle se trouve — par exemple, on dit que l'homme est blanc parce que Socrate est blanc, bien que cela ne convienne pas à l'homme en tant qu'homme."
Thomas d'Aquin, L'Être et l'essence, 1256, Chapitre IV, Louis Vivès, 1857.
"Ainsi la nature, dans sa signification la plus étendue, est le grand tout qui résulte de l'assemblage des différentes matières, de leurs différentes combinaisons, et des différents mouvements que nous voyons dans l'univers. La nature, dans un sens moins étendu, ou considérée dans chaque être, est le tout qui résulte de l'essence, c'est-à-dire, des propriétés, des combinaisons, des mouvements ou façons d'agir qui le distinguent des autres êtres."
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre I, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Édtions Alive, 1999, p. 172.
"Si par la nature d'une chose, nous entendons la totalité des vérités à son sujet, il est clair que nous ne pouvons connaître toutes les relations qu'elle entretient avec toutes les entités de l'univers. Mais alors, le mot « nature » étant pris en ce sens, il faut dire que la chose peut être connue sans que sa nature le soit, ou du moins sans que cette connaissance soit exhaustive. Il y a dans cet usage du mot « nature » une confusion entre la connaissance des choses et la connaissance des vérités. Il se peut que nous connaissions quelque chose par connaissance directe, alors même que nous ne connaissons que très peu de propositions à son sujet (théoriquement nous n'avons même pas besoin d'en connaître une seule). L'expérience directe d'une chose ne contient donc pas la connaissance de sa nature au sens défini plus haut. Et bien qu'une expérience directe soit présupposée dans toute connaissance d'une proposition à son sujet, la connaissance de sa nature au sens défini plus haut, ne l'est en aucune façon. Par conséquent : 1) l'expérience directe d'une chose ne présuppose pas logiquement la connaissance de ses relations, et 2) la connaissance de certaines relations où elle se trouve ne présuppose pas la connaissance de toutes ses relations, ni la connaissance de sa nature, toujours au même sens. J'ai par exemple l'expérience directe de mon mal de dents, connaissance aussi complète que peut l'être une connaissance par expérience, et pourtant je ne sais pas tout ce que le dentiste (qui, lui, n'a pas cette expérience directe) pourra m'apprendre sur sa cause. Je ne connais donc pas la « nature », au sens ci-dessus, de mon mal de dents. Le fait qu'une chose ait des relations ne prouve donc pas que ces relations soient logiquement nécessaires. Autrement dit, on ne peut déduire du seul fait qu'elle est ce qu'elle est les diverses relations qui sont les siennes. La conséquence ne paraît bonne que parce que nous connaissons déjà ce qu'il en est".
Russell, Problèmes de philosophie, 1912, chapitre XIV, tr. fr. François Rivenc, Paris, Payot, 1989, p. 168-169.
"If we mean by a thing's 'nature' all the truths about the thing, then plainly we cannot know a thing's 'nature' unless we know all the thing's relations to all the other things in the universe. But if the word 'nature' is used in this sense, we shall have to hold that the thing may be known when its 'nature' is not known, or at any rate is not known completely. There is a confusion, when this use of the word 'nature' is employed, between knowledge of things and knowledge of truths. We may have knowledge of a thing by acquaintance even if we know very few propositions about it -- theoretically we need not know any propositions about it. Thus, acquaintance with a thing does not involve knowledge of its 'nature' in the above sense. And although acquaintance with a thing is involved in our knowing any one proposition about a thing, knowledge of its 'nature', in the above sense, is not involved. Hence, (1) acquaintance with a thing does not logically involve a knowledge of its relations, and (2) a knowledge of some of its relations does not involve a knowledge of all of its relations nor a knowledge of its 'nature' in the above sense. I may be acquainted, for example, with my toothache, and this knowledge may be as complete as knowledge by acquaintance ever can be, without knowing all that the dentist (who is not acquainted with it) can tell me about its cause, and without therefore knowing its 'nature' in the above sense. Thus the fact that a thing has relations does not prove that its relations are logically necessary. That is to say, from the mere fact that it is the thing it is we cannot deduce that it must have the various relations which in fact it has. This only seems to follow because we know it already."
Russell, The Problems of Philosophy, 1912, chapter XIV, Dover Publications, Inc., 1999, pp. 105-106.
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