"Qu'est-ce donc que Dieu ? J'ai interrogé la terre et elle m'a dit : « Je ne suis point Dieu. » Tout ce qui s'y rencontre m'a fait le même aveu. J'ai interrogé la mer et les abîmes, et les êtres vivants qui s'y meuvent et ils m'ont répondu : « Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous ! » J'ai interrogé les vents qui soufflent, et le nom de l'air avec ses habitants m'a dit : « Anaximène se trompe, je ne suis point Dieu. » J'ai interrogé le ciel, le soleil, la lune et les étoiles : « Nous ne sommes pas davantage le Dieu que tu cherches » m'ont-ils déclaré. J'ai dit à tous les êtres qui assaillent la porte de mes sens : « Entretenez-moi de mon Dieu, puisque vous ne l'êtes point, dites-moi quelque chose de lui. » Et ils m'ont crié d'une voix éclatante : « C'est Lui qui nous a créés. » Pour les interroger, je n'avais qu'à les contempler, et leur réponse, c'était leur beauté."[1]
Augustin, Les Confessions, X, 6, GF, 1964, p. 207-208.
[1] Les Confessions, X, 6, GF, 1964, p. 207-208.
"Nature. L'œil de Dieu. Dieu même, toujours attentif à son ouvrage, est proprement la Nature même, et les lois qu'il a posées pour sa conservation, sont les causes de tout ce qui s'opère dans l'Univers. À ce premier moteur ou principe de génération et d'altération, les anciens Philosophes en joignaient un second corporifié, auquel ils donnaient le nom de Nature ; mais c'était une nature secondaire, un serviteur fidèle qui obéit exactement aux ordres de son maître, ou un instrument conduit par la main du souverain Ouvrier, incapable de se tromper. Cette nature ou cause seconde est un esprit universel, vivifiant et fécondant, la lumière créée dans le commencement, et communiquée à toutes les parties du macrocosme. Les Anciens l'ont appelé un esprit igné, un feu invisible, et l'âme du monde.
L'ordre qui règne dans l'Univers n'est qu'une suite dévelopée des lois éternelles. Tous les mouvements des différentes parties de la masse en dépendent. La Nature forme, altère et corrompt sans cesse, et son modérateur présent partout répare continuellement les altérations de son ouvrage.
Le terme de Nature s'entend aussi de la partie de l'Univers que compose le globe terrestre, et tout ce qui lui appartient. Dans ce dernier sens la Nature, selon tous les Physiciens et les Chimistes, est divisée en trois parties, qu'ils appellent règnes ; savoir, le règne animal, le végétal, et le minéral. Tous les individus de ce monde sublunaire sont compris dans cette division, et il n'en est aucun qui n'appartienne à un de ces trois règnes. Tous trois partent du même principe, et néanmoins sont composés de trois substances différentes, qui en sont les semences; savoir, le menstrue pour les animaux, l'eau de pluie pour les végétaux, et l'eau mercurielle pour les minéraux. Chaque règne est encore composé d'un assemblage de trois substances, analogues en quelque manière avec celles des autres règnes; c'est-à-dire, d'une substance subtile, ténue, spiritueuse et mercurielle, d'une substance grossière, terrestre et crasse, et d'une troisième moyenne, et qui participe des deux. Il n'est point de corps d'où l'Art ne vienne à bout de séparer ces trois espèces de principes.
Outre ces trois substances, on en remarque comme une quatrième, qui peut se rapporter à la première par sa ténuité et sa subtilité; mais qui semble en différer, en ce qu'il est comme impossible à l'Art de la réduire en esprit liquoreux, au lieu que l'autre se condense en eau, tel que l'esprit de vin et les autres liqueurs subtiles, auxquelles l'on donne le nom d'Esprit. Cette matière incondensable, est celle que J. B. Van-Helmont appelle Gaz. C'est celle qui se fait sentir, qui s'évapore dès le commencement de la fermentation des corps. Beccher dit n'avoir pu réussir à condenser ce gaz, qui s'évapore du vin lorsqu'il fermente dans les tonneaux.
Dans ces trois classes d'individus, la semence est différente, et selon le même Auteur, contraire l'une à l'autre à certains égards ; quoiqu'elles aient beaucoup d'affinité entre elles, comme sorties d'un même principe, l'une ne peut devenir semence d'un règne différent du sien : de manière que le Créateur ayant une fois séparé ces trois substances du même principe, elles ne sont plus transmuables l'une dans l'autre. Ceux qui scrutent la Nature, y trouvent un caractère trine, qui semble porter l'empreinte du sceau de la Trinité. Les Théologiens verront dans ce caractère des mystères et des choses si surprenantes, qui se font toutes par trois, qu'elles sont bien capables d'affermir notre foi. Les Physiciens habiles et judicieux voient que ce nombre trinaire des trois règnes est bien digne de toute leur attention. L'âge d'un homme, quelque prolongé qu'il soit, n'est pas suffisant pour observer les opérations étonnantes et admirables qui se passent dans les laboratoires de ces trois règnes. Y a-t-il rien de plus incompréhensible que ce qui se passe dans le ténébreux séjour où se conçoit et s'engendre l'homme, d'une substance si vile, si corruptible, d'une manière si simple et si commune, en peu de mois, composé cependant d'une infinité de veines, de nerfs, de membranes, de valvules, de vases, et d'autres organes, dont le moindre ne saurait être imité parfaitement par le plus habile Artiste de l'Univers ? Quoi de plus admirable, que de voir dans une nuit, par une même pluie, dans une même terre, tant de différons végétaux, si divers en couleurs, en odeur, en saveur, en figure, germer et croître et en si grande quantité, qu'il n'est homme au monde qui les ait seulement tous vus, loin d'en avoir connu les propriétés ! Les fossiles n'ont rien de moins admirable, et nous ne sommes pas plus en état d'en expliquer parfaitement la génération, que celle des deux autres règnes. Nous en savons beaucoup, nous en ignorons encore peut-être davantage ; mais ce qui nous est connu suffit certainement pour nous faire écrier avec le Roi Prophète : Que vos ouvrages. Seigneur, sont magnifiques ! Vous avez. fait tout avec une grande sagesse.
Ces trois règnes ont encore une différence dans leur manière d'être, qui les distingue l'un de l'autre. Les animaux ont un corps, dont les parties ne semblent former qu'un assemblage fait par union; les végétaux par coagulation, et les minéraux par fixation. Ces derniers ne se trouvent que dans les entrailles de la terre, et moitié hors de la terre; les animaux sont tous hors de terre, ou en sont totalement séparés.
L'étude de la Nature porte avec elle tant d'agréments, tant de plaisir et tant d'utilité, qu'il est surprenant de voir si peu de gens s'y appliquer."
Antoine-Joseph Pernety, Dictionnaire mytho-hermétique, 1758, article "Nature".
"La nature est la loi immuable de Dieu, par laquelle les choses sont ce qu'il a voulu qu'elles fussent.
La nature ne produit que ce qu'il lui a ordonné de produire ; elle exécute ses desseins primitifs; c'est le grand ouvrier ; elle agit par ses propres forces ; elle fait tout avec science, sans avoir rien appris ; c'est, à proprement parler, l'acte des premiers desseins ; elle agit sans efforts ; elle ne laisse aucun vide dans l'enchantement de ses productions ; elle travaille sourdement, mais constamment ; elle suit toujours dans toutes ses opérations le plan le plus sûr ; elle ne fait rien sans but déterminé ; elle n emploie rien de superflu. Elle fournit à tous les êtres tout ce qui leur est nécessaire ; elle est soumise à l'habitude, ne changeant jamais ses formes ; les éléments sont et ses instruments et les matériaux qu'elle emploie constamment pour la régénération de tous les corps.
Les substances naturelles sont tous les corps observables sur la surface de la Terre. Modelés sur les dessins primitifs du créateur, ils forment trois règnes, dont les limites semblent se confondre dans les Zoophytes :
1. les minéraux, qui sont des agrégations sans vie et sans sentiment ;
2. les végétaux, qui sont des corps organisés, vivants, mais sans sentiment ;
3. les animaux, qui sont des corps organisés, vivants, sentant et pouvant se mouvoir spontanément.
La nature ne produit pas ses ouvrages sur un seul plan : mais elle se plaît à varier ses dessins ; quoique ses forces soient uniformes, elle les dirige avec tant d'art qu'elle renouvelle ses formes sans diminuer la variété de ses représentations.
Les règnes de la nature qui constituent notre planète sont donc au nombre de trois : le minéral informe occupe l'inférieur, il est principalement formé par les sels dans le sein de la terre ; ses mélanges paraissent faits au hasard, quoique soumis aux lois d'affinité.
Le règne végétal verdoyant semble vêtir la terre ; il pompe par des radicules aspirantes les molécules terrestres, huileuses et salines ; il pompe par ses feuilles des éléments plus subtils qui nagent dans l'air ; par une admirable fécondation, le végétal subit une métamorphose ; son module se concentre dans la semence, que plusieurs causes dispersent, suivant les stations les plus avantageuses.
Les animaux doués de sentiment ornent cette planète ; ils se meuvent à volonté ; ils respirent, se propagent par des œufs. La faim en disperse les sujets, mais l'amour les réunit; en consommant les végétaux, ils en empêchent la trop grande multiplication ; plusieurs d'entre eux se dévorent, pour modérer le trop grand nombre des germes, dont la nature est si prodigue.
L'homme, doué d'intelligence et de la parole la plus parfaite comme telle des créatures, l'homme qui porte l'empreinte de la Divinité, qui seul sur la Terre peut s'élever à elle, en contemplant ses œuvres, qui seul en peut évaluer l'ordre, la beauté et qui seul peut en adorer l'Auteur; l'homme reconnaît son créateur : en remontant de génération en génération, en méditant sur la conservation des êtres, il trouve toujours cet être agissant ; mens agitat molem[2]. Tout l'invite à l'adoration, le mécanisme des corps qui l'environnent, leurs rapports, leur fin, leur utilité sur ce globe.
L'action de Dieu change les terres en végétaux, transmue ceux-ci en animaux, et tous en corps humain qui, doué d'intelligence, fait réfléchir les rayons de la sagesse vers la majesté divine, qui la renvoie à ses adorateurs en faisceaux resplendissants. Ainsi le monde est plein de la gloire de Dieu, puisque toutes les créatures glorifient Dieu par l'intermède de l'homme, qui formé de la poussière, mais vivifié par la main divine, contemple la majesté de son auteur, en saisissant les causes finales. C'est un hôte reconnaissant qui prêche le nom de son auteur.
En étudiant la nature dans cette vue sublime, on jouit par anticipation de la volupté céleste ; celui qui la goûte ne marche pas dans les ténèbres : on ne peut être vraiment pieux, c'est-à-dire, connaître ce que nous devons à notre Créateur, sans étudier les productions naturelles, sans en connaître l'harmonie : car l'homme raisonnable est né pour connaître l'auteur de son être ; et l'étude de la nature conduit nécessairement à l'admiration des œuvres de l'Être suprême. […]
Les êtres créés sont donc les témoins de la puissance et de la sagesse divine ; ils constituent seuls la vraie richesse de l'homme, lui procurent le solide bonheur. Nous déduirons un attribut essentiel de la Divinité, en développant leur usage, savoir, sa bonté ; leur harmonie, leur beauté nous prouveront sa sagesse ; l'économie de la nature dans la conservation des êtres, dans leur proportion, dans leur renouvellement, nous prouvera sa puissance : aussi leur recherche a toujours été estimée, même par les premiers hommes abandonnés aux seules lois de nature."
Carl von Linné, Abrégé du système de la nature : histoire des mammaires ou des quadrupèdes et cétacés, tr. fr. J. E. Gilibert, 1805, p. 12-14 et p. 17-18.
[2] L'esprit meut la matière. Virgile, Énéide, liv. VI, v. 727.
"[...] C'est assez, Messieurs, parler à votre raison ; qu'il me soit permis un moment d'en appeler à vos coeurs.
Vous êtes jeunes pour la plupart : vos âmes encore actives ne sont ni flétries par le venin d'un athéisme enraciné, ni desséchées par les calculs de l'intérêt, ni endurcie par le long usage des plaisirs ; vous êtes dans cet âge brillant où une imagination plus ardente, un coeur plus sensible et plus loyal, disposent à se laisser mieux pénétrer aux traits du sentiment et de la vérité. Eh bien ! si jamais, fermant les livres et oubliant tous les raisonnements, vous avez contemplé quelques-unes des grandes scènes de la nature, avez-vous pu vous défendre d'une émotion profonde ! n'avez-vous pas été ravis comme d'une espèce d'enchantement, et du fond de vos coeurs ne s'est-il pas échappé ce cri de vérité : Que tes oeuvres sont belles et magnifiques, Dieu tout-puissant ! Quam magnificata sunt opera tua, Domine !
Oui, voulons-nous goûter et sentir vivement ces douces et profondes émotions qui élèvent jusqu'à la Divinité, sortons du milieu de nos cités, de nos palais, de nos dépôts de richesses littéraires, et de toutes les oeuvres de notre industrie : je ne veux chercher la nature ni dans le laboratoire du savant, ni dans le cabinet des curieux, ni dans ce qui ne fait qu'attester le pouvoir et le génie de l'homme, non, je ne vous conduirai pas auprès de cette enceinte qui renferme des animaux d'Afrique et d'Asie, ou des habitants de nos forêts, dont nous avons enchaîné la sauvage liberté. L'aigle prisonnier peut bien attirer mes regards ; mais, dans cet état de dégradation, il n'a plus rien qui me touche, et peut-être me sentirais-je ému, si je voyais le roi des airs s'élever d'un vol rapide et majestueux vers le séjour du tonnerre. Je ne vous dirai pas de vous armer de l'instrument dont s'aide l'oeil de l'observateur, et de le diriger vers le firmament ; cela même est une fatigue : je n'aime pas à ne voir qu'un point des espaces célestes ; il me faut toute la voûte des cieux, une liberté parfaite qui laisse à mon esprit toute sa force, à mon coeur toutes ses affections.
Et où donc la trouver, cette nature qui parle à nos âmes bien mieux que toute l'éloquence humaine ? Où, Messieurs ? c'est dans ces forêts superbes et majestueuses, où la solitude, le silence, l'épaisseur des ombres semblent pénétrer l'âme d'un saint recueillement et d'une religieuse frayeur ; c'est sur les bords d'une vaste mer tout à tour paisible et courroucée, dont les ondes semblent se jouer sous la main puissante du Dieu qui les irrite ou les apaise à son gré ; c'est sur la cime de ces hautes montagnes d'où l'oeil s'égare au loin, et se perd dans un immense horizon. Là, roi de la nature, l'homme semble planer sur son empire ; et contemplant avec transport ce vaste ensemble de vallons et de coteaux, de monts et de plaines, de champs et de prairies qu'il voit à ses pieds, son âme s'élève naturellement vers l'auteur de tant de merveilles. Où faut-il étudier la nature ? C'est surtout dans les cieux, au milieu de ces nuits tranquilles et pures, quand le silence règne sur la terre et dans les airs, et que la terre, avec ses douces clartés, sembla verser sur l'univers le calme et la fraîcheur.
Alors peut-il venir en pensée qu'il n'y a pas de Dieu ? Ah ! plutôt des sentiments consolants et doux s'insinueront dans votre âme ; quelques larmes d'admiration et d'attendrissement s'échapperont peut-être de vos yeux ; et, tombant à genoux, vous direz :
« Dieu de l'univers, que tes oeuvres sont belles ! Dieu de mon coeur, qu'il m'est doux de croire en toi ! et comment pourrai-je te méconnaître, quand ta présence éclate de toutes parts avec tant de gloire et de magnificence ! Dieu de bonté, pardonne aux erreurs de ma jeunesse ; reçois l'enfant égaré qui se jette dans ton sein paternel et si tu fais paraître ta puissance en réglant le s des astres, montre-toi plus puissant encore en réglant mon coeur, et le soumettant pour toujours aux lois de ton adorable et suprême majesté. »"
Abbé Frayssinous, "L'existence de Dieu prouvée par l'ordre et les beautés de la nature" in Défense du christianisme ou Conférences sur la religion prêchées à la jeunesse française, dans l'église Saint-Sulpice, Paris, de 1803 à 1809 et de 1811 à 1822. Tome I, p. 74.
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Date de création : 06/10/2015 @ 14:58
Dernière modification : 23/04/2016 @ 08:12
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