"Les directives pour l'interprétation de la nature se répartissent en deux genres : le premier qui traite de l'extraction et du dégagement des axiomes à partir de l'expérience ; le second de la déduction et de la dérivation de nouvelles expériences à partir des axiomes. Et le premier se divise à son tour en trois parties, c'est-à-dire en trois sortes d'assistances : l'assistance aux sens, l'assistance à la mémoire, l'assistance à l'esprit ou à la raison.
Il faut en effet d'abord préparer une histoire naturelle et expérimentale qui soit suffisante et de qualité. C'est le fondement de tout, car il ne faut ni imaginer ni supposer, mais inventer ce que la nature fait et admet.
Mais l'histoire naturelle et expérimentale est si variée et si disséminée qu'elle confondrait et disperserait l'esprit, si elle n'était présentée et offerte dans un ordre convenable. C'est pourquoi il faut constituer des tables et des arrangements d'instances, selon un mode et une disposition telle que l'entendement puisse s'y appliquer.
Mais malgré de tels secours l'esprit laissé à lui-même et à ses propres mouvements se montre incompétent et inapte à forger des axiomes, s'il n'est pas gouverné et renforcé. C'est pourquoi, en troisième lieu, il faut recourir à l'induction légitime et vraie qui est la clé de l'interprétation."
Francis Bacon, Novum Organum, 1620, Livre II, § 10, tr. fr. M. Malherbe et J.-M. Pousseur, PUF, 1986, p. 194-195.
"La méthode, qui est l'âme de la science, indique d'un coup d'œil les caractères distinctifs de chaque substance créée ; ces caractères entraînent le nom, qui fait bientôt connaître tout ce que l'on connaît du sujet à déterminer. Par la méthode, l'ordre naît dans le plan de la nature ; sans elle tout paraît confus, vu la faiblesse de l'esprit humain.
Tout système, toute méthode peut se réduire à cinq membres : 1. la classe ; 2. l'ordre ; 3. le genre ; 4. l'espèce ; 5. la variété. La classe répond au genre suprême, l'ordre au genre intermédiaire, le genre au genre prochain, l'espèce à l'espèce, la variété à l'individu.
La géographie nous offre par analogie les provinces, les territoires, les paroisses, les hameaux, les domiciles.
Nos armées nous présentent des cohortes, des compagnies, des chambrées, des soldats.
Césalpin a déjà dit : « Si on ne distingue pas les objets très nombreux, à peu près comme les généraux distinguent leurs troupes, tout sera confondu et sans ordre. »
Que les noms répondent à la méthode systématique ; on doit donc donner un nom à la classe, à l'ordre, aux genres, aux espèces et aux variétés.
On doit donc déduire les caractères de la classe, de l'ordre, du genre, de l'espèce et des variétés.
Les caractères doivent porter sur des attributs distinctifs; car ils constituent seuls la vraie science. Sans ces caractères énoncés par des termes bien définis, tout sera en confusion.
L'homme en sortant des mains du Créateur a prouvé son intelligence, en saisissant les différences de chaque substance, et en leur donnant à chacune un nom propre.
La vraie science en histoire naturelle est basée sur l'ordre méthodique et sur la nomenclature systématique ; ces deux moyens seront des fils d'Ariane pour se tirer du labyrinthe de la nature.
Dans les méthodes, la classe et l'ordre sont les fruits de l'entendement humain ; mais les genres et les espèces sont formés, constitués par la nature. Nos connaissances sont d'abord spéciales ; elles deviennent plus générales et plus philosophiques, par la formation des genres.
Quant à l'ordre à suivre dans l'étude de la nature, on peut suivre celui du Créateur, ou celui de l'habitant de la Terre. Le Créateur, employant les éléments les plus simples, a formé : 1. les pierres ; 2. les végétaux ; 3. les animaux ; l'homme paraît avoir été son dernier ouvrage. Mais si le naturaliste veut faire des progrès, qu'il commence à s'étudier lui-même, et passant ensuite aux animaux qui ont plus de rapports avec lui, qu'il descende aux végétaux, et qu'il n étudie les minéraux qu'après avoir parcouru les deux autres règnes.
L'auteur d'un système méthodique étudie d'abord les espèces ; de leur examen il forme les genres ; l'analyse de ceux-ci lui suggère les ordres et les classes. Le professeur, au contraire doit commencer par les généralités et descendre par gradation des classes aux ordres, des ordres aux genres, des genres aux espèces. Car, comme les fontaines forment les ruisseaux, ceux-ci les rivières, celui qui veut connaître leurs cours remonte les fleuves autant qu'il peut; mais, malgré ses efforts, il parviendra difficilement à leurs premières sources.
Dès qu'on a acquis une connaissance réelle, caractéristique, des produits de la nature, on peut alors étudier avec fruit leurs rapports, leurs phénomènes, leurs qualités, leurs propriétés, leurs usages. Par ces connaissances on voit évidemment que la science de la nature est le fondement de la diète, de la médecine, de l'agriculture, de l'économie domestique ; et ce qui est le plus intéressant, tous ces rapports combinés entre eux constituent une grande branche des connaissances humaines, et ce que nous appelons l'économie de la nature."
Carl von Linné, Abrégé du système de la nature : histoire des mammaires ou des quadrupèdes et cétacés, tr. fr. J. E. Gilibert, 1805, p. 15-17.
"Observer la nature, étudier ses productions, rechercher les rapports généraux et particuliers qu'elle a imprimés dans leurs caractères, enfin essayer de saisir l'ordre qu'elle fait exister partout, ainsi que sa marche, ses lois et les moyens infiniment variés qu'elle emploie pour donner lieu à cet ordre ; c'est, à mon avis, se mettre dans le cas d'acquérir les seules connaissances positives qui soient à notre disposition, les seules, en outre, qui puissent nous être véritablement utiles, et c'est en même temps se procurer les jouissances les plus douces et les plus propres à nous dédommager des peines inévitables de la vie.
En effet, qu'y a-t-il de plus intéressant dans l'observation de la nature, que l'étude des animaux ; que la considération des rapports de leur organisation avec celle de l'homme ; que celle du pouvoir qu'ont les habitudes, les manières de vivre, les climats et les lieux d'habitation, pour modifier leurs organes, leurs facultés et leurs caractères ; que l'examen des différents systèmes d'organisation qu'on observe parmi eux, et d'après lesquels on détermine les rapports plus ou moins grands qui fixent le rang de chacun d'eux dans la méthode naturelle ; enfin, que la distribution générale que nous formons de ces animaux, en considérant la complication plus ou moins grande de leur organisation, distribution qui peut conduire à faire connaître l'ordre même qu'a suivi la nature, en faisant exister chacune de leurs espèces ?
Assurément on ne saurait disconvenir que toutes ces considérations et plusieurs autres encore auxquelles conduit nécessairement l'étude des animaux, ne soient d'un bien grand intérêt pour quiconque aime la nature, et cherche le vrai dans toute chose.
Ce qu'il y a de singulier, c'est que les phénomènes les plus importants à considérer n'ont été offerts à nos méditations que depuis l'époque où l'on s'est attaché principalement à l'étude des animaux les moins parfaits, et où les recherches sur les différentes complications de l'organisation de ces animaux sont devenues le principal fondement de leur étude.
Il n'est pas moins singulier d'être forcé de reconnaître que ce fut presque toujours de l'examen suivi des plus petits objets que nous présente la nature, et de celui des considérations qui paraissent les plus minutieuses, qu'on a obtenu les connaissances les plus importantes pour arriver à la découverte de ses lois, de ses moyens, et pour déterminer sa marche.
Cette vérité, déjà constatée par beaucoup de faits remarquables […] devra plus que jamais nous persuader que, relativement à l'étude de la nature, aucun objet quelconque n'est à dédaigner."
Lamarck, Philosophie zoologique, 1809, Discours préliminaires, GF, 1994, p. 65-66.
"Le mot Nature n'est susceptible chez les naturalistes que d'une seule interprétation : l'acception de ce mot, il la trouvent, comme tous les physiciens, ils la croient donnée par le sens de cette phrase : Dieu est l'auteur et le maître de la Nature. C'est qu'en effet la nature s'entend de l'universalité des choses créées.
Comment après cela se permettre de détourner cette acception nette et précise, pour lui donner dans le même écrit un autre sens, pour faire jouer aussi à la Nature le rôle d'un être intelligent, qui ne fait rien en vain, qui agit par les plus courts moyens, qui ne les excède jamais et fait tout pour le mieux.
Cette double acception est sans doute de ressource dans une argumentation ; mais, à mon tour, j'use de mon droit, en rejetant toute application que l'on voudrait illégitimement faire de cette extension, en rappelant et n'acceptant que la signification admise en histoire naturelle.
C'est cela aussi que l'on s'était proposé par cette autre objection, à la date du 22 mars. « Concluons que vos prétendues identités, que vos prétendues analogues, s'il y avait en eux la moindre réalité, réduiraient la Nature à une sorte d'esclavage, dans lequel heureusement son auteur est bien loin de l'avoir enchaînée : on n'entend plus rien aux êtres, ni en eux-mêmes, ni dans leur rapports. Le monde est une énigme indéchiffrable. »
S'il y avait en eux la moindre réalité. C'est à dire, que s'il y avait vérité dans l'énoncé de la proposition, vous ne la rejetteriez pas moins! Serait-ce qu'un fait d'histoire naturelle, n'oblige pas toujours le naturaliste ? Eh quoi ! nous pourrions, en nous abandonnant à notre jugement, préférer le mieux à ce qui est. Se féliciter de ce que la Nature ait échappé à une sorte d'esclavage, c'est donner à entendre que les spéculations de notre faible raison pourraient entrer pour quelque chose, compter comme un correctif dans les arrangements pourtant si admirables de l'univers.
J'entends tout autrement les devoirs du naturaliste : s'il prend pour bon tout ce qui est, s'il en recherche la connaissance par l'observation et s'il l'expose sans phrase à effet, il s'est renfermé dans le rôle d'un simple historien des faits ; rôle dont il lui est défendu de jamais sortir.
Vous répugnez par des considérations d'utilité en faveur de la jeunesse à de certaines analogies. C'est déplacer la question. Ces analogies sont ou non la juste expression généralisée d'observations particulières ; voilà le seul point qu'à titre de naturalistes, nous soyons appelés à juger. Vraies, et fussent-elles même difficiles à saisir, nous leur devons accueil ; fausses, seraient-elles de nature à faciliter les premiers pas de la jeunesse, il convient de les rejeter. La majesté des sciences réside tout entière dans le respect pour la vérité ; et c'est s'en écarter, je crois, que d'argumenter par des raisonnements comme celui-ci.
« Sans doute il est plus commode pour un étudiant en histoire naturelle de croire que tout est un, que tout est analogue, et que par un être on peut connaître tous les autres : comme il est plus commode pour un étudiant en médecine de croire que toutes les maladies n'en font qu'une ou deux (arg. à la date du 11 mars). »
Ce qu'il faut aux étudiants, tout aussi bien qu'aux savants de profession, c'est d'être dans le vrai. Tout le prix des sciences est là : toute bonne philosophie repose sur cet axiome.
Des recherches constamment suivies et longtemps mûries sur les analogies des êtres ne tendent pas à faire du monde une énigme indéchiffrable !"
Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Principes de philosophie zoologique, 1830, Discours préliminaire, p. 24-27.
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